Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde - Covid-19 (France) : « Ouvrir 3 000 nouveaux lits de réanimation est nécessaire, mais il faut faire évoluer notre système de soins critiques »

Avril 2021, par Info santé sécu social

Tribune

Mercredi 7 avril 2021, par DUREUIL Bertrand , MIRA Jean-Paul

La demande du chef de l’Etat de lits supplémentaires suppose de disposer du personnel suffisant, alertent, dans une tribune au « Monde », les présidents des deux conseils nationaux professionnels de réanimation, qui formulent des recommandations pour une mise en œuvre de cette mesure.

Sommaire
Compétences professionnelles
Une formation en soins (...)

La circulation du coronavirus n’est actuellement pas contrôlée. Face à ce constat, le président Emmanuel Macron a proposé de nouvelles mesures visant au freinage de la troisième vague, mais également au renforcement de notre système de santé avec notamment la création de 3 000 lits de réanimation. Cela permettrait de porter à 10 000 le nombre des lits de réanimation alors que plus de 5 000 d’entre eux sont déjà occupés par des patients souffrant de formes graves du Covid-19. Si personne ne peut contester la nécessité de renforcer les capacités des hôpitaux en lits de réanimation, nous nous interrogeons sur la mise en œuvre pratique de cette mesure.

En effet, la création de 3 000 lits de réanimation dans les prochains jours sous-entend que nous disposions d’environ 4 800 à 6 000 nouveaux infirmiers, mais aussi d’aides-soignants, de kinésithérapeutes, de psychologues et de médecins supplémentaires. Cette demande en personnels intervient dans un contexte de pénurie de personnels soignants médicaux et paramédicaux antérieur à la crise, et dans celui d’une grande fatigue des professionnels de santé.

Compétences professionnelles
Au-delà de l’aspect quantitatif, déjà préoccupant, se pose la question de la compétence en soins critiques de ces personnels de renfort tout particulièrement pour ce qui concerne les infirmiers. En effet, les compétences professionnelles indispensables pour travailler dans l’environnement technique très complexe de la réanimation auprès de patients dont l’évolution est suivie en continue ne s’acquièrent pas en quelques jours. Ces observations conduisent les conseils nationaux professionnels d’anesthésie-réanimation, médecine péri-opératoire et médecine Intensive et réanimation à rappeler trois recommandations, déjà formulées en juillet 2020, pour que notre système de soins critiques soit effectivement en condition de mieux s’adapter en situation de crise sanitaire :

Premièrement, la reconnaissance des compétences très spécifiques des infirmiers des services de réanimation qui, aujourd’hui, ne sont absolument pas prises en compte et valorisées en France. Alors que de nouveaux lits sont à ouvrir, ces personnels non reconnus s’interrogent sur leur départ des unités de réanimation.

« Aujourd’hui, la réserve soignante est encore un projet et nous ne disposons pas de soignants “familiarisés” au quotidien avec les soins critiques »

Deuxièmement, le renforcement du ratio actuel infirmier/patient en réanimation, qui doit être porté de 1 infirmier pour 2,5 patients à 1 infirmier pour 2 patients. Cette mesure, justifiée par la charge en soins très lourde, permettrait, en cas de crise et d’extension de nos réanimations, de disposer de davantage d’infirmiers experts en réanimation pour encadrer les personnels venus en renfort. Aujourd’hui, le nombre insuffisant de nos infirmiers experts est un frein à l’ouverture de nouveaux lits de réanimation.

Une formation en soins critiques
Troisièmement la création d’une réserve soignante compétente en soins critiques au sein des établissements disposant d’une unité de réanimation. Ces personnels, volontaires (essentiellement infirmiers et aides-soignants) et travaillant habituellement dans d’autres services, recevraient une formation en soins critiques sous la forme de sessions régulières, à la fois théoriques et pratiques, apprentissage qu’ils entretiendraient de façon régulière en pratiquant la réanimation en conditions réelles sur une fraction de leur temps de travail annuel, en contrepartie d’une reconnaissance financière. En cas de crise sanitaire nécessitant l’extension rapide des soins critiques, ils rejoindraient alors les unités de réanimation dont l’environnement leur serait déjà familier. Aujourd’hui, la réserve soignante est encore un projet et nous ne disposons pas de soignants « familiarisés » au quotidien avec les soins critiques.

Dans la situation épidémique actuelle, nous redisons que l’objectif du président Emmanuel Macron d’ouvrir 3 000 nouveaux lits de réanimation répond à une forte nécessité. Mais nous ne pouvons que regretter les conditions dans lesquelles cette mesure sera mise en œuvre au sein de nos établissements, et la pression qui va peser davantage encore sur les équipes de soins critiques. Nous considérons que des orientations et un calendrier précis doivent être posés sans attendre, et au plus haut niveau, de manière à ce que notre système de santé acte les conditions qui, à terme, lui permettront de disposer des moyens (en particulier en ressources humaines médicales et paramédicales) indispensables pour répondre aux besoins de nos concitoyens.

Alors que les équipes de réanimation sont en première ligne depuis plus d’un an, il n’est pas possible de leur demander de fournir un effort supplémentaire et d’ouvrir 3 000 nouveaux lits sans apporter une réponse immédiate à leurs demandes concernant les évolutions structurelles et organisationnelles indispensables pour la sécurisation de notre système de soins critiques.

Bertrand Dureuil
Chef du pôle réanimations anesthésie SAMU (CHU de Rouen)

Jean-Paul Mira
Chef de service de médecine intensive-réanimation (AP-HP ; hôpital Cochin)

P.S.

• Bertrand Dureuil est chef du pôle réanimations anesthésie SAMU (CHU de Rouen) et président du Conseil national professionnel d’anesthésie-réanimation, médecine péri-opératoire (CNP ARMPO) ; Jean-Paul Mira est chef de service de médecine intensive-réanimation (AP-HP ; hôpital Cochin) et président du Conseil national professionnel de médecine intensive réanimation (CNP MIR).

Bertrand Dureuil(Chef du pôle réanimations anesthésie SAMU (CHU de Rouen)) et Jean-Paul Mira(Chef de service de médecine intensive-réanimation (AP-HP ; hôpital Cochin))