Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde - Il n’y a pas de victoire possible contre le Covid-19 sans une lutte contre « les inégalités sociales et territoriales »

Mai 2020, par Info santé sécu social

TRIBUNE CORONAVIRUS ET PANDÉMIE DE COVID-19

Collectif

Un collectif de représentants associatifs, d’acteurs de la santé publique et de chercheurs affirme, dans une tribune au « Monde », que la stratégie de déconfinement doit s’accompagner d’une politique ambitieuse pour les territoires les plus pauvres et les plus denses où le virus circule le plus.

Tribune. La « coupure des chaînes de transmission » du Covid-19 est devenue l’obsession des politiques préparant le déconfnement. Ce credo a trouvé un nom : Covisan. Mis en place à l’initiative de l’AP-HP et de la Ville de Paris, ce projet, destiné à être répliqué très largement, vie à repérer les malades puis leurs contacts, à promouvoir l’« aller vers » en s’appuyant sur des équipes mobiles à la fois sanitaires et sociales pour dépister les sujets contacts, à distribuer du matériel de prévention aux malades (masques et solution hydroalcoolique) et enfn à proposer des mesures d’isolement.

De plus, et en cas de difficultés pour s’isoler, un hébergement en chambre d’hôtel peut être proposé aux personnes porteuses du virus ainsi qu’une logistique afn d’éviter les sorties (et donc les contacts) si la personne préfère rester chez elle.

Populations les plus pauvres

Pourtant, ce dispositif, utile s’il n’exclut personne, ne peut être qu’un élément d’une stratégie globale et sera largement insuffisant si une politique ambitieuse de réduction des risques n’est pas rapidement mise en œuvre sur les territoires où le virus circule le plus et se transmet le plus facilement.

Même si on ne dispose pas encore d’études épidémiologiques permettant de les défnir précisément (absence de cartographie du nombre de cas à l’échelle des villes ou des quartiers), on peut partir du fait, corroboré par les premières observations de terrain et rarement démenti dans l’histoire longue des épidémies, que ces dernières touchent en priorité les populations les plus pauvres, que cela soit en termes de fréquence mais aussi de gravité.

Ainsi, il est logique de penser, au regard de ce que nous connaissons du Covid-19, que les risques de transmission du virus sont plus importants dans les lieux collectifs ou suroccupés, dans les lieux où s’isoler est plus difficile, dans les lieux où la densité des habitants est plus élevée, a fortiori dans les squats, les bidonvilles, les terrains d’accueil des gens du voyage.

On peut aussi imaginer que les risques d’être infecté sont plus importants quand la durée de transport collectif pour se rendre à son travail est plus longue, ou quand les bus sont bondés, ou bien encore quand les files d’attente dans les services publics s’allongent faute d’agents en nombre suffisant.

Triple peine

Enfn, dans les territoires les plus défavorisés, l’épidémie due au coronavirus se double d’une « épidémie » de diabète, de surpoids et autres comorbidités souvent retrouvées dans les formes graves de la maladie. Les territoires défavorisés de la république sont donc à la fois les lieux où la maladie se transmet le plus vite mais aussi ceux où l’on voit les cas les plus graves, notamment chez les jeunes. Si on y rajoute un accès aux soins limité, en lien, en particulier, avec une densité médicale en berne, on est bien là dans la triple peine !

Or, à ce jour, l’Etat semble ignorer ces inégalités porteuses d’un risque accru et ne reconnaît aucune priorité sociale ou territoriale. Aucune mesure ciblée n’est proposée - si on mêt de côté les dispositifs destinés aux personnes sans domicile fixe - pour prendre en compte le facteur social dans la transmission du virus et la gravité du Covid-19. Rien n’est fait pour prendre en compte les inégalités sociales et territoriales dans les réponses proposées.

Pourtant, il y a urgence.

Si on s’accorde sur le fait que les populations les plus touchées sont celles qui sont les premières victimes des inégalités sociales et territoriales, alors il semble indispensable, pour éviter une nouvelle phase de propagation du virus, de promouvoir une politique active de réduction des risques visant en priorité les territoires les plus pauvres (en particulier les territoires prioritaires pour la politique de la ville) et les plus denses.

Bon sens et justice

Cette politique peut ou doit se traduire dans ces territoires par les mesures suivantes, déclinées finement au niveau local mais soutenues fortement par l’Etat :

• Distribution gratuite et massive de masques et de solution hydroalcoolique.

• Accès prioritaire aux tests.

• Renforcement des transports en commun afn de limiter la promiscuité.

• Mise à disposition de vélos et/ou paiement des heures de transport à vélo pour se rendre à son travail.

• Soutien aux acteurs qui vont vers ces populations pour leur apporter des aides.

• Consultations médicales remboursées à 100 % par la Sécurité sociale.

• Accompagnement global des personnes mises en « quatorzaine ».

• Primes au personnel des services publics et des associations travaillant dans les territoires prioritaires

De la même manière, à l’heure où le président et premier ministre semblent s’apercevoir du rôle et des actions soutenues, initiées ou portées par les collectivités territoriales et leurs élus, il est tout aussi indispensable que l’Etat soutienne massivement les plans de prévention élaborés de manière collaborative par les acteurs locaux (élus, professionnels et associations) au plus près des habitants et de leurs besoins.

Ces mesures ne sont pas simplement des mesures de bon sens permettant d’éviter une seconde vague, elles constituent un impératif de justice sociale alors que les plus pauvres de nos concitoyens sont et risquent d’être encore pour longtemps les principales victimes de cette pandémie.

Les signataires de cette tribune sont :
 Olivier Bouchaud, professeur des universités au CHU d’Avicenne ;
 Thierry Brigaud, ancien président de Médecins du monde ;
 Jean-Sébastien Cadwallader, maître de conférences des universités en médecine générale (Seine-Saint-Denis) ;
 Mohab Djouab, médecin généraliste (Seine-Saint-Denis) ;
 Christophe Deltombe, président de la Cimade ;
 Didier Duhot, maître de conférences associé en médecine générale (Seine-Saint-Denis) ;
 Laurent Elghozi, président de l’association Elus, santé publique & territoires ;
 Fabrice Giraux, directeur de la santé à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ;
 Julien Le Breton, directeur de la santé à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ;
 Pierre Lombrail, professeur de santé publique (Seine-Saint-Denis) ;
 Pierre-Etienne Manuellan, directeur de la santé à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ; - - Maria Melchior, directrice derecherche à l’Inserm (Seine-Saint-Denis) ;
 Pierre Mendiharat, directeur adjoint des opérations à Médecins sans frontières ; - — Régine Raymond, directrice du centre municipal de santé Docteur-Pesqué à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ;
 Yannick Ruelle, professeur associé de médecine générale (seine-Saint-Denis).