Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde - Jean-Paul Teissonnière et Sylvie Topaloff. Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail

Avril 2020, par Info santé sécu social

Les deux avocats dénoncent l’archaïsme de la loi de 1898, qui ne permet pas de réparer le préjudice subi par les victimes contaminées au travail.

Il y a plus d’un siècle, à propos du débat sur la loi portant réparation des accidents du travail, le professeur Louis Josserand (1868-1941) rappelait l’impossible neutralité du droit. Si un système juridique est incapable après un accident d’attribuer le risque, alors la place vide du responsable sera occupée par la victime. C’est elle qui dans sa chair et jusqu’au prix de sa vie en supportera les conséquences sans pouvoir s’en décharger ne serait-ce que symboliquement sur ceux qui sont à l’origine de son malheur.

Or dans les catastrophes sanitaires les acteurs sont nombreux, les causes souvent multiples, la complexité qui tient à la nature des faits permet difficilement de remonter la chaîne causale.

Il appartient au système juridique d’attribuer le risque. Or les systèmes d’indemnisation des victimes sont exagérément diversifiés, inégaux et incohérents.

Le 21 mars, la mort du docteur Razafindranazy suscitait une vive émotion dans tout le pays. Pour la première fois, un médecin urgentiste était tué par le virus dans l’exercice de ses fonctions. Alors qu’il était à la retraite, il était spontanément revenu à l’hôpital et il avait pris une garde de nuit à l’hôpital de Compiègne pour soulager ses collègues. Quelques jours plus tard il était testé positif au Covid-19. Il n’a même pas pu être inhumé comme il le souhaitait dans son île natale à Madagascar. Nous avons une dette à l’égard de sa famille.

De la même façon, la mort, le 26 mars, d’Aïcha Issadounène, 52 ans, caissière au supermarché Carrefour de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) depuis trente ans, laisse ses proches dans une immense détresse. Un des effets de cette pandémie aura été que nous nous mettions à regarder avec reconnaissance et considération ces travailleurs autrefois invisibles. Au travers d’une juste indemnisation de ses enfants nous dirons que nous ne les abandonnons pas sur le bord du chemin une fois la crise surmontée.

Injustice

Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail dont les conséquences en l’état actuel du droit échapperont à toute forme de régulation efficace. Accident du travail  ? Mais comment démontrer la date de la contamination qui est une des clefs de la reconnaissance  ? Maladie professionnelle  ? Mais la plupart n’atteindront pas le taux d’incapacité minimal de 25 % sans lequel la reconnaissance est impossible  !

A quoi bon applaudir nos soignants tous les soirs, clamer dans tous les médias notre reconnaissance pour les héros du quotidien que sont les caissières de supermarché, les postiers, les éboueurs, et tous les autres, si nous leur appliquons l’archaïque système d’indemnisation issu de la loi sur les accidents du travail de 1898 fondé sur le partage de responsabilité toujours partiellement en vigueur aujourd’hui  ?

Pour aller à l’essentiel : de nombreuses victimes seront exclues du champ de l’indemnisation et celles qui seront indemnisées ne le seront que partiellement.

Cette injustice-là, par nature évitable, apparaîtra rapidement insupportable parce qu’elle ajoute inutilement au malheur des victimes… Il faut d’urgence construire un système moderne de reconnaissance et d’indemnisation intégrale sous forme d’un fonds cofinancé par les entreprises (branche AT-MP) et par l’Etat, afin d’affirmer par des actes notre reconnaissance et notre solidarité et éviter ainsi d’ajouter un scandale judiciaire à la crise sanitaire…