Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Au Chili, le coronavirus met en lumière les inégalités dénoncées par le mouvement social

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Au Chili, le coronavirus met en lumière les inégalités dénoncées par le mouvement social

Un confinement a été décrété dans plusieurs communes de la région de Santiago. Trop peu, trop tard, dénoncent les Chiliens, qui gardent intacte leur colère contre le gouvernement.

Par Aude Villiers-Moriamé•

Publié le 27 mars 2020

Le mois de mars devait marquer le grand retour des manifestants dans les rues de la capitale, Santiago, après un été austral au cours duquel la mobilisation contre les inégalités sociales au Chili, démarrée fin octobre 2019, avait logiquement faibli. Mais avec la fin des vacances scolaires sont aussi arrivés les premiers cas de coronavirus dans le pays, importés par des touristes étrangers et des Chiliens ayant voyagé en Europe et en Asie.

La Plaza Italia, où se tenaient tous les vendredis des manifestations, s’est progressivement vidée ; le référendum du 26 avril sur la rédaction d’une nouvelle Constitution, pour remplacer celle datant de la dictature militaire d’Augusto Pinochet, a été reporté au mois d’octobre. « La mobilisation est de fait interrompue par le coronavirus, indique Carlos Ruiz Encina, sociologue et président du think tank Nodo XXI, proche de la coalition de gauche Frente Amplio. Pour une société qui a été récemment confrontée au problème de la violence et des morts provoquées par la répression policière, le coronavirus incarne une souffrance supplémentaire. »

Au vendredi 27 mars, le Chili comptait 1 610 cas confirmés de coronavirus, dont cinq mortels. Le président de droite, Sebastian Piñera, a décrété un confinement obligatoire d’au moins une semaine, à partir du jeudi 26, pour sept communes de la région métropolitaine de Santiago. « Dans la mesure où les communes de Santiago sont collées les unes aux autres, je ne comprends pas pourquoi le confinement n’a pas été décidé pour l’ensemble de la région métropolitaine, déplore José Miguel Bernucci, secrétaire national du Colegio médico, principal syndicat de médecins, qui réclamait depuis la mi-mars un confinement de toute la région. Ces mesures sont tardives. Si elles avaient été prises plus tôt, nous aurions pu aplanir rapidement la courbe de nouveaux cas. »

Effondrement des cours du cuivre

« Bienvenue au Chili, où l’économie vaut davantage que la vie des gens. » Sur les réseaux sociaux, les messages de ce calibre se multiplient depuis quelques jours : les Chiliens sont nombreux à s’indigner du manque de réactivité du gouvernement, qui adopte une politique des petits pas, afin de ne pas affecter davantage une économie mise à mal par l’impact du mouvement social sur certains secteurs-clés, comme le commerce et le tourisme. En conséquence du coronavirus et de l’effondrement des cours du cuivre, dont dépend en grande partie l’économie chilienne, les experts prévoient une croissance de 0,5 % au maximum en 2020. Les chutes des Bourses mondiales, début mars, ont également causé de lourdes pertes aux Administrateurs de fonds de pension (AFP) privés auxquels cotisent les Chiliens, et significativement réduit leur capital retraite.

Depuis l’arrivée du Covid-19 sur le sol chilien, le gouvernement a enchaîné les couacs, sous-estimant la gravité du virus – le ministre de la santé a déclaré que le virus pourrait muter et « se transformer en bonne personne » – et mettant en place des mesures controversées, comme un couvre-feu de 22 heures à 5 heures du matin. « Une décision contre-productive : les travailleurs, souvent les plus précarisés, s’agglutinent pour prendre le premier métro, multipliant les risques de contagion », dénonce le sociologue Carlos Ruiz Encina.

La quasi-totalité des communes confinées de la région métropolitaine – Lo Barnechea, Vitacura, Las Condes, Providencia, Santiago, Ñuñoa, Independencia – sont celles où se sont déclarés la plupart des premiers cas, et dont les habitants ont un pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne des Chiliens. « Ces personnes se sont fait traiter dans des cliniques privées, et se trouvent généralement dans un meilleur état de santé que la plupart des Chiliens, ce qui peut expliquer le faible taux de mortalité enregistré pour l’instant, indique José Miguel Bernucci, du Colegio médico. Le problème va se poser lorsque la contagion va s’accélérer dans les communes les plus vulnérables. »

Un système de santé publique saturé et déficient

L’épidémie de coronavirus expose une fois de plus les failles du système néolibéral chilien, que les manifestants s’évertuent à dénoncer depuis fin octobre. Loin d’affaiblir leur mouvement de colère, la gestion tâtonnante du Covid-19 par le président Sebastian Piñera risque de l’alimenter. « La mobilisation sociale a fait que la société chilienne est aujourd’hui davantage informée et solidaire, estime M. Ruiz Encina. Le tissu social que les Chiliens ont reconstruit ces derniers mois les a mieux préparés à faire face à cette épidémie que le gouvernement. »

Le système de santé public, au cœur des critiques des manifestants depuis le mois d’octobre 2019, est, selon le Dr José Miguel Bernucci, « sous-équipé pour faire face à l’épidémie ». Selon l’OCDE, le Chili ne dispose que de 2,1 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants, moitié moins que la moyenne des pays membres de l’organisation (la France compte 6 lits pour 1 000 habitants).

« Le système de santé a été largement privatisé au Chili : les dépenses de l’Etat dans la santé ont augmenté, mais au lieu de financer les hôpitaux publics, cet argent est allé subventionner le système privé, auquel on a délégué le traitement de certaines pathologies », explique le sociologue Carlos Ruiz Encina. Près de 80 % des Chiliens dépendent de ce système public saturé et déficient. En cas de maladie grave, ils sont confrontés à de longs délais avant de pouvoir être traités, ou doivent s’endetter afin d’être soignés rapidement dans le système privé.

Le 19 mars, le gouvernement a dégainé un plan d’urgence pour faire face aux conséquences économiques du coronavirus. A hauteur de 11 milliards de dollars (9,9 milliards d’euros), il prévoit notamment des aides pour les PME et les familles les plus vulnérables, mais ne prend pas suffisamment en compte les emplois précaires, de l’avis de M. Ruiz Encina : « Au Chili, moins de 30 % des emplois peuvent être effectués en télétravail. Les conséquences de l’épidémie pour les personnes employées dans le secteur informel [30 % des travailleurs], et notamment pour les femmes et les immigrés, plus concernés encore, vont être gravissimes. »

Jeudi 26 mars, la direction du travail a déclaré que les entreprises étaient en droit de ne pas rémunérer leurs salariés si ces derniers ne pouvaient se rendre au travail en raison du confinement.

Aude Villiers-Moriamé(Buenos Aires, correspondante)