La Sécurité sociale

Le Monde.fr : Comptes de la Sécu : une réduction du déficit inattendue et un débat à venir sur les excédents

Juin 2018, par infosecusanté

Comptes de la Sécu : une réduction du déficit inattendue et un débat à venir sur les excédents

Le déficit devrait « fortement » se réduire en 2018, pour atteindre 300 millions d’euros, en raison de la bonne conjoncture économique et de fortes économies.

LE MONDE

06.06.2018

Par François Béguin et Raphaëlle Besse Desmoulières

La Sécu va-t-elle revenir à l’équilibre plus tôt que prévu ? Alors que le gouvernement avait envisagé d’atteindre cet objectif en 2020, la commission des comptes de la Sécurité sociale a annoncé mardi 5 juin que, selon ses prévisions, le déficit cumulé du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui verse les cotisations retraites des chômeurs et le minimum vieillesse, devrait « fortement » se réduire en 2018, pour atteindre 300 millions d’euros. Soit un résultat « quasiment à l’équilibre », le meilleur depuis 2001, bien en deçà des 2,2 milliards d’euros prévus, à l’automne 2017, dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Et loin des 5,1 milliards constatés en 2017.

Cela s’explique d’abord par la bonne santé économique de la France. Le gouvernement a en effet revu à la hausse, en avril, ses hypothèses de croissance pour 2018, à 2 % au lieu de 1,7 %. Idem pour la masse salariale dans le privé, désormais attendue en hausse de 3,9 %, contre 3,1 % initialement anticipé. De quoi doper les recettes : la Sécu devrait ainsi récupérer 2,8 milliards d’euros supplémentaires par rapport aux prévisions initiales en cotisations, impôts, taxes ou autres prélèvements.

Des rentrées qui permettront, précise la commission, de neutraliser « des dépenses de prestations sociales supérieures de 700 millions d’euros » à ce que prévoyait la LFSS pour 2018, ainsi que la suppression d’une cotisation suite à l’adossement du régime d’assurance-maladie des étudiants au régime général intervenu après le vote de la LFSS.

« Les Français l’ont payé »

La commission note cependant que ce bon résultat pourrait être « entaché d’une incertitude », à hauteur de 600 millions d’euros, liée à une compensation fiscale que l’Etat pourrait ne pas verser, même s’il s’y était engagé. Dans ce cas de figure, le déficit cumulé du régime général et du FSV s’établirait à 900 millions d’euros mais resterait tout de même « en forte baisse » par rapport à 2017.

Dans le détail, le régime général reviendrait dans le vert, à 2,5 milliards d’euros. Si le déficit du FSV ne se réduirait que sensiblement à 2,8 milliards d’euros, trois branches seraient excédentaires (famille, accidents du travail et vieillesse). Mais c’est surtout l’amélioration spectaculaire de la branche maladie qui est à noter. Elle serait enfin proche de l’équilibre avec un déficit de 500 millions d’euros, contre 4,9 milliards d’euros en 2017, soit près de dix fois moins, grâce à des recettes portées par la croissance de la masse salariale ou encore la hausse du prix du tabac, mais aussi aux importants efforts demandés au système de santé.

Certes l’objectif national de dépense de santé (Ondam) pour 2018 a été légèrement desserré à 2,3 %, mais la contrainte budgétaire reste forte. « L’année 2018 est l’année du plan d’économie le plus sévère de l’histoire, avec 4,2 milliards d’économies, rappelle Claude Le Pen, économiste de la santé à l’université Paris-Dauphine. Ce retour à l’équilibre, les Français l’ont payé. » Ces derniers mois, les tensions se sont exacerbées dans le secteur de la santé et du médico-social, avec des grèves dans les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les hôpitaux psychiatriques, et des services d’urgence saturés. Les hôpitaux se disent « à l’os » après des années d’économies et de « gains d’efficience » pour compenser la baisse des tarifs imposée régulièrement par l’Etat.

Débat sur l’utilisation des recettes

Selon la commission, le retour à l’équilibre des comptes de la Sécu interviendrait en 2019 avec un excédent de 3,3 milliards d’euros, puis 7,7 milliards en 2020. Les rapporteurs soulignent cependant plusieurs « incertitudes », notamment concernant la prévision de croissance du gouvernement « qui peut paraître optimiste en fin de période » après un tassement observé au premier trimestre 2018. Ils rappellent, en outre, que contrairement aux années passées, les dépenses de retraites ne bénéficieront plus des effets des réformes des retraites mises en œuvres depuis 2010.

Un autre bémol concerne la réalisation effective des économies, dont la nature reste « à documenter, alors même qu’il faut tenir compte de la situation des hôpitaux comme des Ehpad ». De fait, l’exécutif a commencé à lâcher un peu de lest. La ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, a déjà promis la semaine dernière 300 millions d’euros supplémentaires pour, notamment, venir en aide aux Ehpad en 2019. La réforme du système de santé que le chef de l’Etat doit annoncer avant la fin du mois pourrait également être accompagnée de moyens supplémentaires.

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Reste qu’un débat ne manquera pas de s’ouvrir sur l’utilisation de ces recettes. Mme Buzyn et son collègue de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, ont précisé dans un communiqué que les marges de manœuvre ainsi dégagées « contribueront à redresser les comptes publics, à sauvegarder notre système de Sécurité sociale et permettront la conduite des grandes réformes sociales qui nous attendent ».

Pour Olivier Véran, député La République en marche de l’Isère, elles pourraient servir à « financer la dépendance ». « Il serait normal que ces bénéfices puissent revenir en premier chef à ceux à qui on a demandé des efforts depuis 2010 », juge-t-il aussi. Julien Damon, professeur associé à Sciences Po et spécialiste de ces sujets, est moins optimiste :
« La tentation sera de récupérer ces excédents non pas pour améliorer la protection sociale mais pour les comptes de l’Etat. »