La Sécurité sociale

Alternative économique - INFLATION Pouvoir d’achat : la Sécu et le climat sacrifiés sur l’autel du court terme

Août 2022, par Info santé sécu social

LE 11 AOÛT 2022

Socialement injustes, les mesures en faveur du pouvoir d’achat adoptées cet été sont aussi une menace pour les finances de la Sécurité sociale et la santé de la planète.

Par Jean-Christophe Catalon, Christian Chavagneux et Vincent Grimault

A force de ne plus en voir la couleur sous nos latitudes, on la croyait presque disparue. Et puis l’inflation a surgi au détour de l’année 2022, se hissant en quelques semaines tout en haut de l’agenda politique. Balayés, les plans de relance censés préparer « le monde d’après ». Dorénavant, la priorité est de sauver les porte-monnaie.

C’est donc une loi d’urgence sur le pouvoir d’achat qui, au cœur de l’été, a constitué la première pierre du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. En 2017, l’acte de naissance du premier mandat – les ordonnances travail – avait envoyé un message politique très clair : il fallait déverrouiller un pays sclérosé par les normes pour libérer le potentiel de croissance de l’économie.

Cinq ans plus tard, le texte sur le pouvoir d’achat et le projet de loi de finances rectificative (PLFR), adoptés tous deux par le Parlement début août, montrent que Macron II garde le même logiciel : face à l’inflation et aux crises que traverse la France, c’est de l’activité économique et du travail que viendra le salut.

« On doit réussir à ouvrir tout ce qui peut être ouvert », indiquait récemment le président de la République. A quel prix ? A lire les deux textes estivaux, il est élevé. Notamment pour la Sécu et le climat.

Les primes plutôt que les salaires
La Sécurité sociale d’abord. Pour augmenter un salarié, un patron peut jouer sur plusieurs lignes de la fiche de paye. Première possibilité : augmenter le salaire brut, tout en haut de la feuille. Ce qui a un triple avantage pour le salarié : constituer un nouveau salaire plancher en dessous duquel le patron ne pourra plus descendre, cotiser davantage aux caisses sociales et donc bénéficier à terme de prestations (retraite, chômage…) plus élevées et, bien sûr, toucher un salaire net plus élevé.

L’autre grande option se situe plus bas sur la fiche de paye, au niveau des primes. Avantage pour le patron : une prime n’est pas durable, elle peut être réduite, voire disparaître. Un salarié dont les fins de mois sont difficiles se laissera probablement tenter, car les primes sont généralement moins taxées (sous forme de cotisations et d’impôts) que les augmentations de salaire.

Résultat : une prime rapporte plus, à court terme, qu’une hausse du brut. Avec la loi pouvoir d’achat, le gouvernement poursuit sa politique consistant à favoriser les primes au détriment des salaires de base, au grand bonheur des employeurs.

Ainsi, la « prime Macron », mise en place exceptionnellement au moment des gilets jaunes, renommée « prime pour le partage de la valeur », est désormais pérennisée et son plafond a été triplé. Les employeurs peuvent verser jusqu’à 3 000 euros par an sous cette forme, contre 1 000 auparavant, sans avoir à verser de cotisations patronales.

Jusque-là réservée aux salariés payés moins de trois fois le Smic, la mesure est désormais possible pour tous les niveaux de rémunération. Seule limite : la prime sera un peu moins défiscalisée qu’auparavant. Les employeurs devront s’acquitter du forfait social et les salariés verront trois impôts la frapper1. Ceux payés moins de trois Smic en seront cependant exonérés jusqu’à fin 2023.

Cette prime pourra même monter à 6 000 euros pour les entreprises disposant d’un mécanisme d’intéressement. Largement exonéré de cotisations sociales lui aussi, il permet aux patrons de verser des primes à leurs salariés lorsque les comptes de l’entreprise sont dans le vert.

La loi pouvoir d’achat facilite au passage la mise en place de dispositifs d’intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés, dans lesquelles leur existence était et reste optionnelle. Ces choix font deux perdants. Le premier est le salarié qui, à terme, risque de toucher des primes plutôt que des hausses durables de salaire.

Théoriquement, la loi interdit de remplacer des augmentations de salaire par des primes, mais plusieurs études montrent qu’il existe des effets de substitution. Par ailleurs, ces dispositifs sont inégalitaires, car ils sont surtout utilisés dans les grandes entreprises. Par exemple, en 2018-2019, 17 % des entreprises de moins de dix salariés avaient versé la « prime Macron », contre 58 % de celles de plus de 1 000 salariés.

Des exonérations qui coûtent cher
Le second perdant de cette politique des primes est la Sécurité sociale, car ces exonérations de cotisations coûtent cher. D’autant que d’autres dispositifs contenus dans les deux lois estivales vont également l’appauvrir. Tout d’abord, les cotisations qui pèsent sur les indépendants vont baisser. 2,2 millions de professionnels devraient y gagner environ 550 euros annuels. Mais cela privera la Sécu de 500 millions d’euros par an, détaille le gouvernement.

A cela s’ajoute un renforcement de la défiscalisation et de la désocialisation des heures supplémentaires, avec un plafond d’exonération fiscale plus haut pour les salariés et des cotisations patronales encore réduites. De plus, les salariés pourront plus facilement transformer des jours de RTT en salaires, ces revenus étant défiscalisés et désocialisés au même niveau que les heures sup.

En 2020, 59,9 milliards d’euros de revenus salariés échappaient déjà à la taxation normale (épargne salariale, mutuelles d’entreprise, chèques-restaurants…). Cette assiette, qui va progresser, accentuera le manque à gagner, qui s’élèvera à plusieurs milliards d’euros par an. En 2019, la première vague de défiscalisation des heures supplémentaires avait coûté 3 milliards d’euros.

Enfin, la prime d’activité, une prestation sociale versée aux travailleurs pauvres, sera réévaluée. Cette fois, il ne s’agit pas d’une perte directe pour la Sécu mais, de fait, les patrons seront moins incités à augmenter leurs employés à faibles salaires, puisque l’Etat donne un coup de main.

En théorie, tous ces manques à gagner seront compensés par l’Etat, qui y affectera d’autres ressources budgétaires (taxes sur le tabac, TVA…). Mais en 2018, pour la première fois, le gouvernement avait fait une entorse à cette règle, laissant un trou dans les caisses de la Sécu de plus de 2,8 milliards d’euros.

De quoi faire redouter à l’opposition de gauche le scénario « d’une politique des caisses vides », consistant à réduire volontairement les recettes, puis s’alarmer du déficit, avant de se dire contraint de baisser les dépenses publiques. Ceci étant, en matière d’exonérations de cotisations, le gouvernement n’est pas responsable de tout : nombre de ces mesures ont été poussées par Les Républicains (LR), notamment au Sénat, où la droite est majoritaire.

Fort soutien aux énergies fossiles
Voilà pour la Sécu. Un second bien commun est également menacé par les deux textes votés cet été : la planète. Pour lutter contre l’explosion des prix de l’énergie, le gouvernement a sorti le chéquier. Logique, tant les ménages précaires se sont retrouvés étranglés par la hausse des prix. Mais les options choisies font débat.

Principale mesure : le blocage des prix du gaz et de l’électricité pour le consommateur, compensé par l’Etat auprès des fournisseurs. Ce « bouclier tarifaire » a coûté plusieurs dizaines de milliards d’euros depuis octobre dernier. Le gouvernement a aussi consenti, sous la pression des députés LR, à augmenter et prolonger la remise sur les carburants routiers. La subvention passe de 18 à 30 centimes par litre du 1er septembre au 30 octobre, puis redescendra à 10 centimes le litre en novembre et décembre, avant, en théorie, de s’éteindre.

Le plafond de la prime transport va quant à lui doubler, passant de 200 à 400 euros. Elle permet aux entreprises de verser une aide défiscalisée à leurs salariés pour leurs déplacements domicile/travail. En plus de subventionner la consommation d’énergies fossiles, et donc les émissions de gaz à effet de serre, ces aides ne sont pas ciblées sur les plus pauvres. Pire, elles sont largement antiredistributives, car les plus riches roulent plus que les pauvres…

Enfin, face à la menace russe de couper les livraisons de gaz, la loi pouvoir d’achat prévoit une relance des énergies fossiles. La centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), qui avait fermé ses portes en mars, en théorie définitivement, pourra être réactivée cet hiver.

Le gouvernement a aussi autorisé un allègement des règles environnementales pour permettre au groupe Total de construire au plus vite un terminal méthanier flottant de gaz naturel liquéfié (GNL) au Havre, afin de pouvoir importer du gaz de schiste américain.

Au global donc, les dizaines de milliards d’euros consacrés à la lutte contre l’inflation depuis le début de l’année ne répondent pas aux enjeux sociaux et écologiques de moyen terme. Bien sûr, d’autres mesures contenues dans le paquet législatif de l’été sont positives, comme les revalorisations anticipées des minima sociaux et des retraites, la prime de rentrée exceptionnelle pour les plus pauvres, ou encore la hausse du point d’indice des fonctionnaires, qui, contrairement aux primes dans le privé, est durable.

Mais Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a reconnu début août que l’inflation continuera d’augmenter jusqu’à fin 2022 au moins. Autrement dit : la plupart de ces revalorisations seront insuffisantes pour ceux qui ne peuvent pas facilement « travailler plus pour gagner plus » dans le privé (fonctionnaires, retraités, bénéficiaires des minima sociaux…).

L’automne devrait libérer la France des canicules qui ont fait suffoquer le pays tout l’été. Mais le climat social, lui, a toutes les chances de rester bouillant.

L’austérité au menu du quinquennat
Fin juillet, le gouvernement a présenté son programme de stabilité, ce document que chaque pays de l’Union européenne doit fournir à ses partenaires pour les rassurer sur la trajectoire économique et budgétaire. Le texte confirme la priorité absolue de l’exécutif français : travailler plus (réforme des retraites, de l’assurance chômage, contraintes renforcées sur les bénéficiaires du revenu de solidarité active…) pour aboutir au plein-emploi.

En matière budgétaire, le gouvernement promet une poursuite de la baisse des impôts (suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, suppression de la redevance télé…) et un encadrement de la hausse des dépenses publiques, qui sera limitée à + 0,6 % par an hors inflation. Dans le détail, l’Etat et les collectivités locales devront réduire leurs dépenses respectivement de 0,4 % et 0,5 % par an. Seule la Sécurité sociale devrait être épargnée (+ 1,3 %).