Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : Emmanuel Macron impose sa cadence au gouvernement et aux scientifiques

Avril 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : Emmanuel Macron impose sa cadence au gouvernement et aux scientifiques

Faudra-t-il déconfiner par régions ? A partir de quel âge ? Le président a décidé que le gouvernement présenterait « d’ici quinze jours » le « plan de l’après-11 mai ». Mais rien n’est vraiment prêt.

Par Cédric Pietralunga et Olivier Faye

Publié le 16/04/2020

Lundi 13 avril, 19 h 45. Dans un quart d’heure, Emmanuel Macron prendra la parole pour annoncer aux Français la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai et la réouverture progressive des écoles à partir de cette date.

A Matignon, Edouard Philippe se penche vers sa pieuvre téléphonique, nouvel objet star du pouvoir confiné qui permet d’appeler des dizaines de personnes à la fois. Tous les ministres et secrétaires d’Etat, ainsi que plusieurs dirigeants de la majorité, se trouvent au bout du fil. Le chef du gouvernement les informe de la teneur de l’allocution à venir du président de la République. Hormis les rares ministres pleinement impliqués dans la gestion de crise du coronavirus, « tout le monde a découvert à ce moment-là ce qu’elle contenait », relate un membre du gouvernement. Comme n’importe quel Français, un quart d’heure plus tard, devant sa télévision.

Est-ce pour cette raison qu’il règne depuis comme un sentiment de flottement ? Le lendemain, le brouillard, en tout cas, planait. « C’est une date d’objectif : ce n’est pas le déconfinement le 11 mai », assurait ainsi le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. « Toutes les écoles ne seront pas ouvertes le lundi 11 mai », ajoutait son collègue ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, précisant que cela ne se fera « pas du jour au lendemain ». « On va élaborer toute une méthodologie », a précisé le ministre.

Rien n’est vraiment prêt
Car, si Emmanuel Macron a décidé que le gouvernement présenterait « d’ici quinze jours » le « plan de l’après-11 mai », rien n’est vraiment prêt. Edouard Philippe, d’ailleurs, se montre plus vague que le locataire de l’Elysée sur la question du calendrier de ce plan. « J’aurai l’occasion de le présenter quand il sera prêt, largement avant la date du 11 mai », a-t-il simplement assuré, mardi, à l’Assemblée nationale, expliquant que le déconfinement « doit être travaillé en consultation avec beaucoup d’acteurs pour être véritablement à la hauteur des enjeux ».

L’Elysée, convient-on en Macronie, a « mis sous pression le gouvernement ». « Le président n’a pas décidé seul. Mais, lassé de tergiversations et d’indécisions, il a tranché », assure un poids lourd de la majorité, qui échange quasi quotidiennement avec le chef de l’Etat. « Le président a décidé de mettre l’administration sous tension », abonde un proche. A Matignon, on reconnaît se trouver encore dans la phase de « fabrication du questionnaire » lié au déconfinement plutôt que dans l’élaboration de la liste complète des solutions.

Faudra-t-il, par exemple, déconfiner par régions ? L’hypothèse « a du plomb dans l’aile », estime un conseiller de l’exécutif, en raison « des difficultés à créer des frontières intérieures », même si « des options territoriales » pourraient être introduites. Où devra-t-on placer, après le 11 mai, les personnes testées positives au Covid-19, conformément au souhait de mise en quarantaine des malades émis par le chef de l’Etat ? Chez elles, a priori. Le recours à la réquisition des hôtels pourrait n’être favorisé que pour les personnes seules ou précaires. « Qu’est-ce que tu ferais des familles, sinon ? », souligne un conseiller.

Enfin, à partir de quel âge considère-t-on que l’on est une « personne âgée » devant rester confinée chez soi au-delà du 11 mai, comme l’a demandé le chef de l’Etat ? « C’est un sujet important à trancher », élude-t-on à Matignon. Le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, chargé de conseiller l’exécutif, l’estime à « 65 ou 70 ans ». Selon lui, la population totale des personnes vulnérables invitées à rester chez elles monterait à 17 millions ou 18 millions. Une gageure.

Le président multiplie les contre-pieds
« Nous sommes dans le fonctionnement normal des institutions : le président donne le cap et fixe une date, le gouvernement exécute et prépare le plan, relativise un proche d’Edouard Philippe. Il n’y a pas de flottement mais des incertitudes et c’est normal car tout n’est pas prêt. Nous sommes transparents avec les Français. » Mardi soir, le chef du gouvernement a une nouvelle fois convoqué – par visioconférence – ses ministres. Objectif : s’assurer qu’ils soient tous mobilisés.

« Le plan de déconfinement, ce n’est pas juste l’affaire du premier ministre et de [Jean] Castex [le délégué interministériel chargé de préparer la reprise des activités]. Tous les ministres doivent mettre la main à la pâte », estime un proche. « Nous avons quinze jours pour construire le plan et nous concerter avec les élus locaux, les forces économiques, les partenaires sociaux. Tout est imbriqué, ça va être de la dentelle », abonde un conseiller ministériel. Jusqu’à ce que le chef de l’Etat décide éventuellement de reprendre la maille dans l’autre sens.

Depuis le début de la crise, Emmanuel Macron multiplie en effet les contre-pieds. Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, se montre circonspect sur l’usage de masques artisanaux en textile ? Le chef de l’Etat annonce que tous les Français pourront en récupérer un, dès le 11 mai, auprès de leur mairie. La majorité est divisée sur le cas du microbiologiste Didier Raoult et l’usage de l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19 ? M. Macron se rend à Marseille pour rencontrer le médecin, puis loue sur RFI, mercredi, ce « grand scientifique (…) une de nos plus grandes sommités ».

Un conseil scientifique circonspect et divisé
Même les experts découvrent cet art du bougé tout macronien. Les annonces du chef de l’Etat, lundi, ont en effet laissé le conseil scientifique circonspect et divisé. « Cette date du 11 mai, je comprends qu’elle ait été donnée pour le citoyen, mais c’est un continuum. Il n’y aura pas un avant et un après. Il faut faire extrêmement attention à ça, sinon le virus peut repartir », a prévenu Jean-François Delfraissy, mercredi, devant la mission d’information Covid-19 de l’Assemblée nationale, avant d’ajouter : « On ne pourra entrer dans la période post-confinement que lorsqu’il y aura un certain nombre de mesures et de prérequis : utilisation des masques, nombre de tests… S’il n’y a pas ces prérequis, il faudra aller plus loin que le 11 mai. »

Dimanche, à la veille de l’allocution de M. Macron, le même affichait son indépendance dans un entretien au quotidien italien La Repubblica. « Quand notre comité s’est installé, le 10 mars, j’ai tout de suite dit à M. Macron que l’unique voie à suivre était le confinement (…). Je ne réponds pas sur les tergiversations politiques. Je peux, à l’inverse, dire que mon avis a été tranchant », a-t-il souligné.

Le politique aussi entend montrer son indépendance. « Nous avons, en tant que gouvernement, à prendre des décisions qui sont politiques, qui s’appuient sur le rationnel scientifique, mais une décision politique est une décision politique », a justifié la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, à propos du 11 mai, mettant en avant, avec la réouverture des écoles, des « impératifs sociaux ».

« L’annonce du président, c’est le retour du politique, après une première phase où l’on assumait que les décisions se calquaient presque sur les avis du conseil scientifique, explique un ministre. Il fixe la date du 11 mai sans qu’il y ait de consensus scientifique. Il ne peut pas y en avoir de toute façon. » Raison pour laquelle un homme se permet de tout trancher.