Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : « Il y a une cocotte-minute en Chine »

Janvier 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : « Il y a une cocotte-minute en Chine »

Dans un entretien au « Monde », Arnaud Fontanet, responsable de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur, et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, estime que « les autorités chinoises font face à une crise sanitaire très complexe ».

Propos recueillis par Rémi Barroux •

Publié le 25/01/2020

Responsable de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur, et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, Arnaud Fontanet évoque la récente survenue en Chine d’une épidémie de coronavirus et les moyens mis en œuvre pour l’endiguer. Il estime que « les autorités chinoises font face à une crise sanitaire très complexe ».

Pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, les autorités chinoises ont étendu les mesures de quarantaine à quelque vingt millions de personnes. Cela n’avait pas été le cas lors du précédent épisode du SRAS en Chine en 2003.

Cette mesure n’avait en effet pas été prise lors de l’épidémie de 2003, l’épisode le plus récent et comparable que l’on ait. Ce qui avait alors été préconisé, c’était des mesures ciblées, comme la fermeture des lieux publics – restaurants, bars… – et l’annulation d’évènements comme des conférences ou des concerts… Les autorités avaient aussi organisé des mises en quarantaine dans les hôpitaux. Des universités avaient également été fermées.

Lors du pic d’avril 2003, avec une centaine de nouveaux cas par jour, il y avait eu aussi des coupures de route spontanées par des habitants à l’extérieur de Pékin. Ils avaient aussi construit, dans l’urgence, deux hôpitaux, ce qu’ils font d’ailleurs à Wuhan avec le chantier d’un nouvel hôpital. Mais ils n’avaient pas fermé de villes à ma connaissance.

Cette mesure est-elle suffisante ?

Dans un pays comme la Chine, les autorités ont les moyens de bloquer les transports publics, trains, avions, bus… On peut imaginer que certains voudront partir en voiture, et tout dépendra de l’attitude des autorités qui ont demandé aux résidents de rester chez eux.

D’un point de vue mécanique, la limitation des déplacements a un impact immédiat sur la propagation de l’épidémie. Mais tout dépendra de l’existence ou non de foyers importants dans d’autres villes, ce qui affaiblirait considérablement l’impact de cette mesure. Il semble que ce soit le cas à Pékin et à Canton.

Que faut-il faire alors ?

Ce qui a fonctionné lors de la période critique du SRAS en avril 2003, c’était une combinaison de mesures restrictives.

D’une part, demander aux gens de rester chez eux, fermer les lieux publics, par ailleurs déserts, et organiser la prise en charge la plus précoce possible des malades et leur mise à l’isolement. Il faut informer les populations afin que les personnes fébriles se déclarent et puissent, si nécessaire, être mises à l’isolement.

D’autre part, y associer des mesures drastiques d’hygiène dans les hôpitaux, notamment le port de masques, le lavage des mains, le circuit des instruments, de la literie… Ce que l’on appelle des « mesures barrières ». Il faut arriver à faire en sorte que le dernier malade arrivé à l’hôpital n’ait infecté personne, que l’endroit puisse être déclaré « clean ». Ce travail est essentiel comme nous l’a appris l’expérience des Canadiens qui ont été confrontés en 2003 à une forte épidémie de SRAS à partir d’un hôpital à Toronto (Ontario). Il faut donc « stériliser » les hôpitaux et associer les mesures communautaires que nous avons évoquées.

Le travail d’identification des contacts des patients est-il nécessaire ?

Oui, surtout s’ils sont étroits, c’est-à-dire des contacts à moins d’un mètre, la distance d’un postillon. Ce travail de traçage est une mesure lourde à mettre en place. Pour une personne infectée, il peut y avoir plusieurs dizaines de cas contacts qu’il faut alors suivre pendant quatorze jours, la durée maximum d’incubation du virus. Ces personnes doivent rester chez elles, prendre leur température deux fois par jour et prévenir les services sanitaires si elles ont de la fièvre.

Mais, rappelons-le, il faut qu’il y ait eu un contact étroit. Ont aussi été incriminées, sans qu’on ait pu le vérifier, des poignées de porte et des boutons d’ascenseur. D’où l’importance de se laver les mains et ne pas les porter à la bouche.

Plusieurs pays ont déclaré des cas « importés » de Chine. Faut-il craindre une épidémie mondiale ? Qu’en est-il de la France ?

En France, le dispositif repose sur deux éléments. D’abord, l’information à destination des voyageurs qui reviennent de Chine. S’ils sont fiévreux, toussent ou ont des difficultés respiratoires, ils doivent appeler le 15. Là, le régulateur évaluera le risque. L’élément le plus important est de savoir si la personne revient de Chine ou a été en contact avec des personnes provenant de la zone infectée.

Ensuite, si nécessaire, il y a une prise en charge dans un des hôpitaux de référence habilités à recevoir des patients infectés par le MERS – le syndrome respiratoire du Moyen-Orient –, qui est toujours actif. Ils sont équipés pour mettre à l’isolement les patients, en attendant la confirmation du diagnostic et en assurant les soins si nécessaire.

En période hivernale, c’est compliqué puisque les signes sont les mêmes que ceux de la grippe. Le critère déterminant est donc le contact avec l’origine en Chine. Cela permet d’éliminer beaucoup de cas suspects.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) aurait-elle dû décréter un état d’urgence internationale ?

C’est difficile à dire. On se rend compte que la déclaration de l’OMS a été très débattue : retardée d’un jour, avec un communiqué qui indique que les membres du comité avaient des avis différents, ce qui exceptionnel.

Pour déclarer une « urgence de santé publique de portée internationale », il faut que ce soit soudain, grave, d’une ampleur mondiale et que la réponse nécessite une action coordonnée à l’échelle internationale.

Or, pour le moment, la dimension mondiale est encore incertaine, puisque dans tous les pays où des cas ont été enregistrés, il n’y a pas eu de cas secondaire, c’est-à-dire pas de personne secondairement infectée dans l’entourage du cas importé. Même si on se rend compte qu’il y a une cocotte-minute en Chine. Qu’en sera-t-il dans quinze jours ?

Peut-on avoir confiance dans les déclarations des autorités chinoises ?

Sur la partie virologique, oui, ils ont été très rapides. Ils ont identifié le nouveau virus en un mois et ils en ont partagé la séquence immédiatement avec les autorités sanitaires dans le monde entier. Ils ont posté la séquence sur un site spécialisé pour les virologues, ce qui a permis entre autres de mettre au point un test de dépistage. La situation était compliquée du fait qu’il s’agissait d’un nouveau virus pour lequel aucun test commercial n’était disponible. Le Centre national de référence des infections respiratoires de l’Institut Pasteur a pu ainsi mettre au point un premier test.

Sur la partie épidémiologique, par contre, les informations sont plus poussives. Mais il faut comprendre que les autorités chinoises font face à une crise sanitaire extrêmement complexe. On est à près de 1 300 cas avec leurs contacts à suivre, et on sait, grâce aux travaux de modélisation mathématique qu’il y en a beaucoup plus ; il est normal qu’elles soient débordées.

Lors de l’épidémie de 2003, Pékin a caché pendant trois mois l’existence de l’épidémie. Là, ils l’ont déclarée au bout de quinze jours. La première zone d’infection était la ville de Wuhan (elle compte 11 millions d’habitants) avec des cas isolés dont il a fallu retracer la provenance et s’apercevoir que parmi les premiers cas, il y avait plusieurs vendeurs d’un même marché.

Il n’existe aucun traitement ?

Non, il n’existe pas de traitement antiviral efficace. On procède à un traitement symptomatique, c’est-à-dire que l’on propose une assistance respiratoire, pour les cas les plus atteints, et on lutte contre les symptômes.

La mortalité du virus est estimée à quelques pour cent, mais cela pourrait augmenter avec le temps. Pour le moment, ce sont essentiellement des personnes âgées avec d’autres maladies associées, avec un système immunitaire affaibli, qui ont été les victimes de ce virus.

Rémi Barroux