Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : en Allemagne, le faible taux de mortalité interroge

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : en Allemagne, le faible taux de mortalité interroge

Un grand nombre de tests a été pratiqué de manière précoce outre-Rhin par rapport au degré d’avancement de l’épidémie.

Par Thomas Wieder•

Publié le 21 mars 2020

Chaque matin, quand l’institut de santé publique Robert-Koch publie les chiffres de l’épidémie de Covid-19 en Allemagne, le constat est à la fois alarmant, rassurant et intrigant. Alarmant car le nombre de malades augmente tous les jours un peu plus vite outre-Rhin. Rassurant car celui des morts y est toujours particulièrement bas. Intrigant car l’écart considérable entre les deux courbes pose la question d’une singularité allemande qui reste en partie énigmatique.

Avec 16 662 cas de coronavirus répertoriés par l’institut Robert-Koch, l’Allemagne était, samedi 21 mars, le quatrième pays le plus touché après la Chine, l’Italie et l’Espagne. Avec 46 décès, en revanche, elle restait loin derrière plusieurs autres comptant pourtant moins de personnes détectées, comme la Corée du Sud (8 652 cas, 94 morts) ou le Royaume-Uni (4 014 cas, 177 décès). Le taux de létalité au Covid-19, calculé en divisant le nombre de morts par celui des malades repérés, est actuellement de 0,3 % en Allemagne, contre 3,6 % en France, 4 % en Chine et 8,5 % en Italie.

Pourquoi un taux aussi faible ? L’explication tiendrait au grand nombre de tests ainsi qu’à leur précocité par rapport au degré d’avancement de l’épidémie. Selon la Fédération allemande des médecins conventionnés, 35 000 personnes ont été testées dans la semaine du 2 mars, alors qu’aucun mort n’avait encore été répertorié outre-Rhin, et 100 000 pendant la suivante, au cours de laquelle ont été enregistrés les premiers décès. A ces chiffres s’ajoutent ceux des tests réalisés dans les hôpitaux et les cliniques, qui ne sont pas connus.

Biais statistique

Lors de son point-presse quotidien, mercredi, le président de l’institut Robert-Koch, Lothar Wieler, a annoncé que l’Allemagne pouvait désormais dépister 160 000 personnes par semaine, soit à peu près autant que celles testées en Italie jusqu’à présent. « Depuis le début, nous avons encouragé les médecins à tester les personnes présentant des symptômes, ce qui nous a permis d’intervenir alors que l’épidémie était encore dans une phase peu avancée en Allemagne », avait expliqué M. Wieler, le 11 mars. A l’époque, seulement trois décès liés au Covid-19 avaient été répertoriés en Allemagne.

Dans un premier temps, il est possible que le grand nombre de tests pratiqués ait introduit un biais statistique. Par rapport à l’Italie, où la plupart des personnes détectées positives sont âgées et présentent déjà des problèmes de santé, l’Allemagne compte davantage d’individus plus jeunes et moins vulnérables parmi ceux qui se sont fait tester. En Italie, l’âge moyen des malades est de 63 ans. En Allemagne, il est de 47 ans. Le virus tuant très majoritairement les personnes âgées, le fait qu’il ait été détecté chez nombre de personnes assez jeunes explique pourquoi le taux de létalité enregistré jusqu’à présent outre-Rhin est si faible.

Même s’ils espèrent que cette détection à grande échelle a incité ceux qui se savaient porteurs du virus de s’isoler pour éviter d’en contaminer d’autres, les spécialistes ne se font guère d’illusion dans un pays où les écoles et la plupart des commerces ont été fermés cette semaine mais où la population n’est pas encore confinée, sauf en Bavière et dans la Sarre depuis samedi 21 mars. Or, la vitesse de progression de l’épidémie s’accélère rapidement en Allemagne, où le nombre de cas double tous les deux jours, une croissance qualifiée d’« exponentielle » par le président de l’institut Robert-Koch.

« Nous n’allons pas pouvoir augmenter notre capacité en tests aussi vite que l’épidémie progresse, explique Christian Drosten, chef du département de virologie à l’hôpital de la Charité, à Berlin, dans entretien à Die Zeit, paru vendredi.

« Une partie de ceux qui sont déjà malades vont mourir du Covid-19. Ensuite, puisque nous ne pourrons plus tester tout le monde, nous n’aurons plus tout le monde dans les statistiques. Le taux de létalité va alors augmenter. On aura l’impression que le virus est devenu plus dangereux (…). Cela va seulement refléter ce qui se passe déjà, à savoir que nous passons à côté de plus en plus de cas d’infections. »

Respirateurs artificiels

Si les spécialistes s’accordent pour dire que le très faible taux de létalité au Covid-19 va bientôt augmenter en Allemagne, nul ne sait, en revanche, jusqu’où il augmentera. La réponse dépendra de la capacité du système de santé à résister à la vague de nouveaux cas qui s’annonce. Pour cela, l’Allemagne mise d’abord sur ses 28 000 lits de soins intensifs, soit 6 pour 1 000 habitants, ce qui la classe au 3e rang mondial derrière le Japon et la Corée du Sud, très loin devant la France (3,1 pour 1 000, 19e rang) ou l’Italie (2,6 pour 1 000, 24e).

Le deuxième facteur-clé est le nombre de respirateurs artificiels. Le gouvernement allemand vient d’en commander 10 000 à l’entreprise Dräger, mais ce n’est qu’à la fin de l’année que la plupart seront livrés. Sur ce point, le virologue Christian Drosten, qui s’est imposé comme l’expert de référence sur le Covid-19 grâce à son podcast vidéo quotidien, est plus sceptique.

S’il salue le plan d’urgence annoncé, mercredi, par le gouvernement, qui prévoit notamment l’installation d’unités de soins intensifs dans des hôtels et des centres de congrès, il craint qu’il n’arrive bien tard alors que l’Allemagne, selon lui, « devra au moins doubler ses capacités pour pouvoir ventiler tous ceux qui en auront besoin ».