Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : à l’hôpital, la « déprogrammation » d’autres patients monte d’un cran

Octobre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : à l’hôpital, la « déprogrammation » d’autres patients monte d’un cran

Signe de l’aggravation de la situation sur le front de l’épidémie, les hôpitaux de la région lyonnaise sont les premiers à déclencher une déprogrammation massive de leur activité.

Par Camille Stromboni

Publié le 17/10/2020

La décision prise ce vendredi 16 octobre ne manquera pas de provoquer quelques sueurs froides : la région Auvergne-Rhône-Alpes est la première à enclencher de nouveau une déprogrammation massive de l’activité dans ses hôpitaux, pour anticiper l’afflux de patients atteints du Covid-19. L’agence régionale de santé l’a annoncé aux établissements publics et privés, qui sont tous concernés, durant une réunion de crise en fin de matinée.

Dans trois territoires hospitaliers – « Loire », « Rhône-nord Isère » et « Alpes Dauphiné » –, seules les urgences, les interventions dont le report changerait le pronostic du malade, ainsi que la médecine et la chirurgie ambulatoire (ne nécessitant pas une hospitalisation) seront maintenues à compter de lundi. Et ce pour les quinze prochains jours. Tout le reste sera annulé, soit une difficile impression de revivre un scénario similaire à celui de la première vague de mars, que redoutaient les médecins depuis plusieurs semaines.

« On fait face, tient à rassurer le professeur Olivier Claris, président de la Commission médicale d’établissement des Hospices civils de Lyon (HCL). Mais nous sommes arrivés au bout de ce qu’on pouvait faire, sans déprogrammer. » Dans l’institution lyonnaise qui compte quatorze hôpitaux publics, la tension n’a cessé de monter depuis le début de semaine : ce sont huit à neuf patients contaminés par le SARS CoV-2 qui sont admis en réanimation chaque jour, saturée par des patients atteints du Covid-19 à 46 % désormais. « Depuis quatre jours, ça devient intenable », constate Olivier Claris.

Risque de saturation des services de réanimation
Avec une conjonction spéciale : trois grandes villes de la région, Lyon, Saint-Etienne et Grenoble, sont fortement touchées en même temps. Le risque de saturation des services de réanimation et des soins intensifs, mais aussi d’hospitalisation conventionnelle « est désormais réel à court terme », peut-on lire dans un communiqué de l’agence régionale de santé, qui indique que près de 90 % des lits de réanimation de la région sont occupés, dont 37 % par des malades atteints du Covid-19.

La déprogrammation doit permettre avant tout d’ouvrir des lits de réanimation, et de réaffecter des personnels, notamment des blocs opératoires, soit les plus à même d’être mobilisés dans ces services – les médecins anesthésistes et les infirmiers anesthésistes. Pour les personnels « déjà sous le choc de devoir affronter ce qu’on a déjà vécu », « c’est un deuxième coup de massue », reconnaît le professeur lyonnais Olivier Claris.

Pour répartir la charge et par anticipation, des premiers transferts de patients contaminés par le SARS CoV-2 entre territoires ont débuté, pour trois patients de Lyon vers Chambéry ce vendredi, ou encore quatre de Saint-Etienne vers Clermont-Ferrand quelques jours plus tôt. « Nous avons demandé à tous nos services d’établir la liste les patients qui pourraient, si nécessaire, être transférés dans les jours qui viennent », précise Olivier Claris.

« Situation préoccupante »
Une semaine plus tôt, les Hospices civils de Lyon (HCL) avait annoncé une première marche de déprogrammation, « de l’ordre de 25 % de l’activité chirurgicale », alors que la ville venait d’entrer en « zone d’alerte maximale ». La structure mise en place dans ce cadre, pour organiser la déprogrammation, sur avis médical, site par site, va désormais devoir passer à la vitesse supérieure.

A Marseille, à Montpellier, en Ile-de-France… Alors que la vague de « patients Covid-19 » monte, les décisions de déprogrammation se multiplient aussi pour réussir à tenir, particulièrement dans les services de réanimation, même si on est encore loin du coup d’arrêt de l’Auvergne-Rhône-Alpes.

« La situation n’est pas catastrophique, mais elle est très préoccupante, estime François-René Pruvot, le président de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement des CHU (centre hospitalier universitaire), les structures qui représentent les médecins hospitaliers. D’après ses remontées, outre la région lyonnaise, les déprogrammations ont été actées officiellement dans les CHU d’au moins six métropoles sous haute tension (en Ile-de-France, à Aix-Marseille, Rouen, Montpellier, Toulouse, Lille), dans une fourchette, quand elle est chiffrée, allant de 20 % à 30 % d’arrêt de l’activité, loin encore de l’arrêt massif et brutal de l’activité intervenu en mars, parfois jusqu’à 80 %.

L’inquiétude est là, car tous ont en tête les pertes de chance constatées chez certains patients au lendemain de la première vague. « Il ne faut pas se voiler la face, reprend le chirurgien lillois François-René Pruvost. Il y a un travail supplémentaire à fournir avec les patients touchés par le Covid, les moyens ne sont pas extensibles. Forcément, une partie des autres patients que l’on devait prendre en charge le seront de manière sous-optimale. »

« Il nous faut toujours un coup d’avance »
Chez lui, au CHU de Lille, pas de pourcentage de déprogrammation fixé, mais un ensemble de fermetures vont s’appliquer à compter de lundi, pour anticiper l’ouverture de 20 lits de médecine nécessaires pour des patients atteints du Covid-19. Vingt plages opératoires (une journée de bloc) vont être fermées, de même que les unités de chirurgie ambulatoire et digestive. « C’est inéluctable, on va continuer de voir l’épidémie monter dans les quinze prochains jours, il nous faut toujours un coup d’avance », dit-il.

Comment établit-on la liste des patients à reporter ? A Marseille, où une nouvelle étape a été enclenchée mardi 13 octobre pour atteindre 30 lits de réanimation supplémentaires dans la région, les décisions sont prises « après discussion entre équipes médicales, selon le critère de gravité du patient, quelle que soit sa pathologie », explique Richard Nicollas, directeur médical de crise à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, où 14 lits vont être ouverts.

« On choisit entre celui qui peut attendre un peu plus, et celui qui ne peut plus attendre, détaille-t-il. Il est certain qu’en tant que médecin, ce n’est jamais satisfaisant ; quand on prévoit une opération, c’est qu’elle est nécessaire. » Déjà, depuis la rentrée, il existe une déprogrammation « masquée », rapporte-t-il : « Quand on voit un patient, on se demande toujours : est-ce qu’il est possible d’attendre quelques mois avant de l’opérer. »

« Un arbitrage, c’est forcément compliqué », abonde Stéphane Gaudry, professeur de médecine intensive-réanimation à l’hôpital Avicenne, à Bobigny (Seine-Saint-Denis). La situation est de plus en plus tendue en Ile-de-France, avec un taux de saturation des lits de réanimation par des patients atteints du Covid-19 de 47,1 % au 16 octobre. Ce sont entre 20 % et 30 % de déprogrammation qui ont commencé dans les établissements franciliens, depuis l’annonce d’un plan blanc « renforcé » par l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, le 8 octobre. « Mais on n’en est pas à un moment où il faut faire des choix affreux, reprend M. Gaudry. On fait tout notre possible pour ne jamais y arriver ! »

Choisir entre « urgent » et « non urgent »
Si ces déprogrammations doivent permettre d’apporter suffisamment de renforts de personnels infirmiers, le professeur reste néanmoins inquiet quant aux médecins. Dans son hôpital, à Avicenne, huit réanimateurs supplémentaires étaient venus, notamment d’autres régions, aider pendant la première vague pour faire tourner le service. « Là, cela n’est pas le cas, si on arrive à en trouver deux ou trois, ce sera déjà un bel exploit », dit-il. L’annulation des congés des médecins est déjà actée « jusqu’à nouvel ordre » et les heures supplémentaires n’apporteront qu’une marge de manœuvre limitée : « On a déjà des médecins qui tournent de soixante-quinze à quatre-vingts heures par semaine », pointe-t-il.

Y a-t-il une hiérarchie en faveur des patients atteints du Covid-19 au détriment des autres ? « Il n’y a pas de hiérarchie, souligne le docteur Gaudry. On ne choisit pas entre Covid et non-Covid, mais entre “urgent” et “non urgent”. Quand il s’agit de malades qui peuvent mourir dans les heures qui suivent, il faut pouvoir les prendre en charge. »

« Ce n’est pas un débat éthique », confirme Yann Parc, président du syndicat des chirurgiens des hôpitaux de Paris, qui exerce à l’hôpital Saint-Antoine. Chez lui, on ferme l’un des trois blocs opératoires, celui de chirurgie ambulatoire, pour permettre d’ouvrir une unité de réanimation de huit lits. Ce sont les blocs de chirurgie digestive et d’orthopédie qui vont chacun absorber à leur manière l’activité, et reporter ce qu’il est possible de repousser. « C’est toujours embêtant d’appeler des patients pour leur dire que leur opération est reportée, reprend le médecin. Mais il ne faut pas dramatiser ou scénariser le pire, on en est loin, même si c’est certain qu’on est tous inquiets. »

Camille Stromboni