Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : comment le français Sanofi s’est retrouvé distancé dans la course au vaccin

Janvier 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : comment le français Sanofi s’est retrouvé distancé dans la course au vaccin

Après des débuts prometteurs, une erreur de laboratoire a fait perdre cinq à six mois au groupe. Sans renoncer à ses projets, l’hypothèse qu’il mette son outil industriel à disposition de ses concurrents les plus avancés est à l’étude.

Par Claire Gatinois et Chloé Aeberhardt

Publié le 11/01/2021

Il fut un temps où l’on se disputait les doses du futur vaccin anti-Covid développé par Sanofi et son associé britannique GSK. C’était en 2020 – il y a une éternité. En mai, le directeur général du groupe pharmaceutique français, Paul Hudson, avait suscité un tollé en expliquant que, une fois homologué, le vaccin serait distribué en premier aux Etats-Unis, car ils avaient largement financé la recherche. Exprimée par un fleuron national, leader mondial du vaccin contre la grippe saisonnière, cette préférence américaine avait achevé d’élever la souveraineté sanitaire au rang des priorités de l’exécutif.

En juin 2020, lors d’une visite symbolique sur le site de recherche et de production de vaccins de Sanofi, à Marcy-l’Etoile (Rhône), le président Emmanuel Macron avait annoncé le déblocage de 200 millions d’euros pour accélérer la mise au point d’un vaccin et de traitements contre le coronavirus. De son côté, Sanofi s’était engagé à investir 610 millions dans de nouvelles infrastructures hexagonales. Le groupe renforcerait son empreinte sur le territoire, les doses espérées du vaccin anti-Covid n’échapperaient pas aux Français, tout était bien qui s’annonçait bien.

Voilà pour l’histoire ancienne. Car celle qui s’écrit aujourd’hui n’en a plus que pour les gagnants – les vaccins à ARN messager innovants et extraordinairement efficaces de Pfizer-BioNTech et Moderna, qui sont, pour l’instant, les seuls à être autorisés dans l’Union européenne (UE).

De champion désiré à éventuel sous-traitant
De Sanofi, on n’entend plus parler. Ou si peu. Mi-décembre 2020, des voix se sont élevées dans la presse allemande, accusant la France d’avoir fait pression sur la Commission pour qu’elle achète moins de doses Pfizer-BioNTech et plus de Sanofi. Paris et Bruxelles ont démenti. Nouveau rebondissement, vendredi 8 janvier : sous la pression de Bercy, le groupe français pourrait mettre son outil industriel à disposition de ses concurrents les plus avancés, et dont les capacités de production sont limitées. « J’ai incité Sanofi à étudier sérieusement la proposition de produire le vaccin pour d’autres laboratoires », a confirmé au Monde la ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher.

Sollicitée, la direction de Sanofi n’a pas souhaité s’exprimer. Quant au service de communication du groupe, il est resté flou et prudent : « Compte tenu des circonstances uniques de cette crise, nous évaluons en interne la faisabilité technique de l’exécution de certaines étapes de fabrication pour soutenir d’autres fabricants de vaccins Covid-19. A ce stade, c’est encore très préliminaire, car les technologies de fabrication sont spécifiques à chaque vaccin. » De champion désiré à sous-traitant, que s’est-il passé pour que la perception de Sanofi change à ce point ?

Un beau raté. Le 11 décembre 2020, Sanofi et GSK publient les résultats intermédiaires de leurs essais cliniques de phases 1/2, visant à contrôler, sur un nombre réduit de volontaires, la tolérance et la réponse immunitaire de leur candidat-vaccin. L’espoir est immense : contrairement aux ARN messagers, coûteux et contraignants en termes de respect de la chaîne du froid, le produit de Sanofi et GSK sera vendu moins de 10 euros la dose et restera stable à des conditions de réfrigération normales (entre 2 °C et 8 °C). Les deux groupes annoncent, en outre, une production de 1 milliard de doses pour 2021, ce qui permettrait de limiter le risque de pénurie.

Des débuts prometteurs
Malheureusement, les conclusions sont décevantes : en raison d’une concentration insuffisante d’antigène dans le vaccin, la réponse immunitaire observée chez les adultes de plus de 50 ans n’est pas assez élevée. Une nouvelle étude sera lancée en février, avec une formulation d’antigène améliorée. Si les données sont positives, la phase 3 pourrait commencer au deuxième trimestre, avec, sous réserve du feu vert réglementaire, une mise à disposition du vaccin à la fin de 2021. Soit cinq à six mois plus tard que prévu.

Les débuts étaient pourtant prometteurs. Dès février 2020, Sanofi avait reçu le soutien de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda), l’agence fédérale américaine qui pilote la recherche biomédicale liée à la pandémie, pour le développement d’un candidat à protéine recombinante. Pour fabriquer une réponse immunitaire, cette technologie prévoit d’injecter non pas un virus atténué ou inactivé, comme dans les vaccins traditionnels, mais un morceau du virus, la protéine d’enveloppe.

Sanofi a éprouvé cette méthode avec son dernier vaccin contre la grippe, autorisé depuis 2017 aux Etats-Unis. « Cette technologie est bien connue et donne de très bons résultats, précise l’infectiologue Odile Launay, qui coordonne le centre d’investigation clinique Cochin-Pasteur. Il ne faut pas oublier que, début 2020, on n’avait aucune donnée sur l’efficacité des vaccins à ARN messager. » Fait rare, le groupe s’était allié, en avril, à son rival GSK, qui fournirait l’adjuvant – un produit permettant de renforcer la réponse immunitaire et de réduire la quantité de protéines nécessaires par dose. L’adjuvant serait produit dans l’usine de GSK de Saint-Amand-les-Eaux (Nord), l’antigène sur le site de Sanofi de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), et le remplissage serait réalisé à Marcy-l’Etoile (pour la France). « C’était le plan. Je ne sais pas si avec les derniers développements les choses vont évoluer », admet-on à la communication de Sanofi.

« Un travail fait à la va-vite »
Le groupe a donné peu de détails sur ce que le vice-président de la branche « vaccins » appelle un « contretemps malheureux ». Dans une interview publiée le 11 décembre 2020 dans le Wall Street Journal, Thomas Triomphe rejetait la faute sur les deux réactifs utilisés par les chercheurs pour mesurer les volumes d’antigène. « Ces réactifs n’étaient pas d’une qualité ou d’une pureté suffisante », déclarait-il.

D’après Jean-Daniel Lelièvre, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil (Val-de-Marne), « il est fréquent de rencontrer des déconvenues dans les premiers essais cliniques d’un vaccin, qui nécessitent énormément de mises au point ». Il n’empêche. En interne, on s’interroge. « Normalement, quand on réalise des essais, on vérifie que les réactifs de contrôle fonctionnent, explique Fabien Mallet, coordinateur adjoint de la CGT-Sanofi, qui travaille au contrôle qualité sur le site de production de vaccins de Neuville-sur-Saône (Rhône). « Je ne comprends pas que l’on ne se soit pas rendu compte du problème plus tôt. Et je trouve grave qu’un acteur majeur comme Sanofi ne soit pas plus vigilant vis-à-vis de ses fournisseurs. Finalement, on a l’impression d’un travail fait à la va-vite. Pour les salariés, c’est très violent. Ils se font interpeller par des gens qui leur demandent ce qu’ils ont fichu. Les antivaccins les narguent sur le thème : “On vous l’avait bien dit.” »

L’annonce de ce retard n’a pas eu d’impact en Bourse. « Du fait de son stade de développement clinique peu avancé, ce candidat-vaccin ne peut être aujourd’hui intégré dans les modèles, indique l’analyste financier Martial Descoutures, qui suit le titre pour le groupe Oddo BHF. Quelle que soit l’issue, cela ne changera pas fondamentalement la croissance de Sanofi, dont le principal risque, avec ce développement, se situe en termes d’image et de crédibilité. »

Un délicat recrutement de volontaires
Pour l’heure, pas de conséquences économiques à déclarer non plus. « La Commission européenne n’a pas revu le contrat à la baisse », soutient-on chez Sanofi, et la Barda « continue d’accompagner » le laboratoire. En outre, l’année a été bonne pour la branche « vaccins » du groupe, qui, pour répondre à la demande contre la grippe saisonnière, exceptionnelle en raison de l’épidémie de Covid-19, a distribué 20 % de doses de plus que l’an dernier. Côté social, la CFE-CGC indique que 80 % du recrutement prévu (113 personnes) sur le site de Vitry-sur-Seine est finalisé. Mais « la production est à l’arrêt jusqu’à ce que l’on connaisse le nouveau procédé », ajoute le coordinateur groupe, Jean-Marc Burlet.

L’urgence pour Sanofi est maintenant de lancer les essais cliniques, pour lesquels le recrutement de volontaires risque d’être délicat, dès lors que des vaccins efficaces sont disponibles. « Ce pourrait être des personnes qui n’ont pas pu être vaccinées faute de doses suffisantes, imagine l’infectiologue Odile Launay. Ou bien des gens qui préfèrent les technologies de vaccin plus classiques que l’ARN messager. » Sauf que, lors de ces essais, Sanofi prévoit de comparer son vaccin non pas à un placebo, mais à « un vaccin déjà autorisé » – sans doute l’un des deux à ARN messager, ce qui pourrait décourager les frileux.

Dans ces conditions, le groupe a-t-il raison de vouloir absolument poursuivre le développement de son vaccin ? « Oui, car nous ne sommes pas encore assez armés pour ne pas donner leur chance à tous les vaccins », estime Jean-Daniel Lelièvre. Même réponse du côté de Bercy : « On ne sait pas combien de temps on aura besoin de vaccination contre le Covid-19. Le sujet sera-t-il clos en 2021, ou faudra-t-il se faire vacciner régulièrement comme pour la grippe ? », s’interroge Mme Pannier-Runacher, pour qui « on aura besoin d’un vaccin qui limite la circulation du virus chez les moins de 50 ans pour l’Europe, mais aussi pour les pays en développement ». Ces derniers attendent beaucoup de la formule développée par AstraZeneca avec l’université britannique d’Oxford. Thermostable et vendue encore moins chère que celle de Sanofi, elle pourrait être autorisée par l’Agence européenne des médicaments, fin janvier.