Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : l’arrivée de BA.4 et BA.5 en France va-t-elle entraîner une nouvelle vague de contaminations ?

Juin 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : l’arrivée de BA.4 et BA.5 en France va-t-elle entraîner une nouvelle vague de contaminations ?

Les deux sous-variants de la famille Omicron ont déjà provoqué de nouvelles vagues en Afrique du Sud et au Portugal.

Par Delphine Roucaute

Publié le 04 juin 2022

Avec plus de 18 860 cas par jour, l’épidémie de Covid-19 en France atteint, en ce début juin, les niveaux enregistrés fin novembre 2021. Démarrait alors la longue vague hivernale provoquée par le variant Delta, rapidement supplanté par Omicron, qui règne désormais en maître depuis six mois en France et à travers le monde. BA.1, BA.2 et enfin BA.4 et BA.5 : les différents cousins de cette branche à part de l’arbre phylogénétique de la grande famille SARS-CoV-2 s’imposent l’un après l’autre.

Chaque nouveau sous-variant prend le pas sur son prédécesseur et entraîne dans son sillon un regain de contaminations. « Chaque sous-variant a son quart d’heure de célébrité, résume Olivier Schwartz, responsable de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur à Paris. Le virus reste contagieux et essaye de se faufiler dans l’immunité globale présente dans la population. » Une question s’impose donc : alors que l’immense majorité de la population française a été vaccinée et que la moitié a été infectée par Omicron, combien de temps va-t-elle être protégée contre les nouveaux venus BA.4 et BA.5 ?

Ces petits derniers de la famille Omicron ont été identifiés pour la première fois en Afrique du Sud, où ils ont provoqué une nouvelle vague de contaminations en avril-mai, de bien moindre ampleur que les précédentes qui se répétaient jusque-là tous les six mois avec une régularité de métronome. Au Portugal, c’est le sous-variant BA.5 seul qui s’est imposé en avril, entraînant un regain de contaminations très important ; au 30 mai, il représentait 87 % des cas. Malgré les milliers de kilomètres qui les séparent, ces deux pays ont un point en commun : le sous-variant BA.2 y a assez peu circulé au début de l’année.

Des indices sur la capacité d’échappement immunitaire
Le cas portugais, à part en Europe, pose donc question. « Est-ce que la vague BA.5 au Portugal est si importante parce qu’ils n’ont pas eu de vague BA.2, contrairement à la plupart des pays européens ? Et, en conséquence, est-ce que la France, qui a eu une vague BA.2, sera mieux protégée face à l’arrivée de BA.4/BA.5 ? », s’interroge Arnaud Fontanet, médecin épidémiologiste, membre du conseil scientifique Covid-19 et directeur du département santé globale de l’Institut Pasteur.

Pour le moment, aucune donnée n’est disponible quant à la protection conférée par un antécédent d’infection par BA.2. Certes, dans les pays touchés par la vague BA.2, comme le Danemark, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la France, BA.4 et BA.5 commencent à circuler. « Mais ils sont encore à des niveaux trop faibles pour avoir des données robustes », précise Santé publique France au Monde. Des tests de séroneutralisation réalisés in vitro fournissent néanmoins quelques indices sur la capacité d’échappement immunitaire de BA.4 et BA.5.

Une première étude sud-africaine, non relue par les pairs et publiée le 24 avril, montre que les anticorps de patients non vaccinés précédemment infectés par BA.1 (qui a provoqué la première vague Omicron dès la fin décembre) neutralisent environ 7,5 fois moins bien BA.4 et BA.5. Chez les personnes vaccinées, cette diminution de la neutralisation est moindre : environ trois fois moins. Cela signifie qu’une personne contaminée par Omicron au début de l’année n’est pas complètement protégée contre le risque de réinfection par BA.4 ou BA.5, qu’elle soit vaccinée ou non. Les auteurs en concluent que « BA.4 et BA.5 ont le potentiel de provoquer une nouvelle vague d’infection ».

Une autre étude, chinoise, publiée le 2 mai, vient confirmer que le plasma de personnes ayant reçu trois doses de vaccin, tout comme celui de convalescents BA.1 vaccinés, neutralise moins bien BA.4 et BA.5. Les auteurs vont encore plus loin dans leurs conclusions, avertissant : « L’évolution continue d’Omicron pose de grands défis à l’immunité collective du SARS-CoV-2 et suggère que les vaccins de rappel dérivés du BA.1 ne sont peut-être pas idéaux pour obtenir une protection à large spectre. » Un vaste débat qui sera sûrement rouvert à la rentrée, avec la perspective d’une vague hivernale.

La vaccination semble tenir ses promesses
D’ici-là, comment cela va-t-il se passer pour les personnes contaminées par BA.2, donc essentiellement depuis mars ? BA.4 et BA.5 sont génétiquement proches de leur prédécesseur, ce qui participe à l’hypothèse selon laquelle une contamination par BA.2 protégerait d’une réinfection. Quelques mutations les en distinguent toutefois, notamment la mutation L452R sur leur protéine de spicule, qui sert de clé pour entrer dans les cellules humaines. « Cette mutation est bien connue, elle était déjà présente chez Delta, ce qui a rendu ce variant plus transmissible et plus résistant à certains anticorps », rappelle Olivier Schwartz. En outre, BA.4 et BA.5 disposent de mutations supplémentaires dans leur arsenal, accentuant encore leur résistance aux anticorps.

Toutes ces caractéristiques, auxquelles il faut ajouter le contexte épidémiologique propre à chaque pays, expliquent en partie pourquoi ces sous-variants vont s’imposer peu à peu dans le monde. En France, ils représentent déjà 12 % des contaminations et on s’attend à ce qu’ils deviennent majoritaires en juin, étant donné le taux de croissance de + 10 % par jour observé dans plusieurs pays. « Cela s’accompagnera probablement d’une petite augmentation des cas, mais l’amplitude de cette vague est très difficile à anticiper, analyse Arnaud Fontanet. Concernant les hospitalisations, les signaux en provenance du Portugal et d’Afrique du Sud sont plutôt rassurants : on ne s’attend pas à une vague importante dans les hôpitaux. » Pour le moment, rien ne peut laisser penser que BA.4 et BA.5 sont plus sévères que les autres sous-lignages Omicron.

La vaccination semble donc tenir ses promesses : malgré les réinfections, les formes graves sont moins nombreuses que lors de précédentes vagues. « Il ne faut pas non plus minimiser le problème, nuance Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale (université de Genève). S’il y a une forte vague en termes de contaminations, la mortalité associée, en nombre absolu, reste assez élevée : au Portugal, en ce moment, il y a environ 30 décès par jour, soit – en termes de nombre d’habitants – l’équivalent de 200 personnes par jour en France. » Pour l’épidémiologiste, l’Europe pourrait se diriger vers un scénario proche de celui de 2021, lorsque le variant Delta s’était imposé en juin : « Cette vague pourrait se répartir sur deux saisons, une petite à l’été et une plus importante à l’automne. »

« Apparus de manière inattendue »
En France, la diminution des cas entamée depuis le pic de début avril semble s’être d’ores et déjà enrayée. Depuis quelques jours, les nouvelles contaminations repartent légèrement à la hausse, sans que l’on puisse encore dire si l’on se dirige vers une nouvelle vague. Les jours fériés du mois de mai compliquant les remontées de cas dans la base de données des contaminations SI-DEP, le suivi de l’incidence peut avoir été perturbé ces dernières semaines. Dans tous les cas, les nouvelles admissions à l’hôpital sont toujours en diminution, tout comme la mortalité. Il faudra attendre quelques semaines pour voir si la tendance se confirme.

Au-delà d’Omicron, il ne faut pas perdre de vue la possibilité que d’autres variants, avec leurs propres caractéristiques, surgissent dans les mois à venir, bousculant encore nos connaissances et les stratégies face au virus. « Nous devons garder à l’esprit que tous les variants dominants du SARS-CoV-2 (Alpha, Delta et Omicron) sont apparus de manière inattendue », observent ainsi des chercheurs américains dans une étude parue le 26 mai. « Notre effort collectif de surveillance doit être maintenu. »

Delphine Roucaute