Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : « De la démocratie en pandémie » de Barbara Stiegler : quand le Covid-19 change les règles du jeu

Février 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : « De la démocratie en pandémie » de Barbara Stiegler : quand le Covid-19 change les règles du jeu

Dans ce manifeste auquel sont associés 14 chercheurs, soignants et enseignants, la philosophe pointe le démantèlement des systèmes de santé comme facteur aggravant d’une pandémie qui menace la culture démocratique.

Par Philippe-Jean Catinchi

Publié le 03/02/2021

Livre. Attention ! Ce « tract » est quasi un collectif ! Avant même de livrer ce manifeste décapant, la philosophe Barbara Stiegler, qui le signe, nomme les 14 soignants, chercheurs et enseignants qui y sont associés ; et leur domaine de compétence, parfaitement explicite, annonce l’ampleur de la charge.

Tout part de la contestation du mot « pandémie » que Richard Horton, le très raisonnable rédacteur en chef du Lancet, prestigieuse revue internationale de médecine, sans nier le virus comme événement biologique funeste à la propagation universelle, remplace par celui, inédit, de « syndémie ». En clair, il s’agirait d’un phénomène d’une gravité exceptionnelle car, par-delà l’attaque virale, la progression de la maladie serait liée aux inégalités sociales et à la crise écologique. L’augmentation continue des maladies chroniques fragilisant les populations face à des risques sanitaires aggravés.

Un « continent aux contours flous »
Dès lors, point de salut face au Covid-19 sans un radical changement de modèle économique, social et politique. Sous peine de voir ce type d’« accidents sanitaires » se multiplier en échappant à toute parade efficace.

Responsable à l’université Bordeaux-Montaigne du master « soin, éthique et santé », Barbara Stiegler pointe le démantèlement des systèmes de santé comme facteur aggravant de la pandémie qui, pour elle, n’est plus tant le mode de manifestation du virus, ni une propagation mondiale d’une affection nouvelle, qu’un « continent aux contours flous et évolutifs, mais qui risque de durer des années, et pourquoi pas des siècles et des siècles ».

La formule peut effrayer mais l’argumentaire qui suit justifie l’alarme puisque, n’étant plus l’objet de la moindre discussion alors même qu’elle bouleverse les modes de vie et la culture démocratique qu’elle menace, la pandémie met en cause la démocratie même.

Suspension de libertés individuelles essentielles, dogmes d’une discipline décrétée impérative sans consultation ni négociation, la règle du jeu change brutalement alors même que la mutation culturelle se préparerait de longue date, la Chine s’opposant au leader tant économique que despotique. Le vocabulaire en est arbitrairement révisé et la « démocratie sanitaire » comme le « consentement éclairé du patient » tenus pour obsolètes.

Irrationalité et incohérence
Le coup est d’autant plus sévère qu’une stricte observation des actes du drame (confinement, déconfinement, reconfinement) met en lumière l’irrationalité et l’incohérence de certaines décisions sur lesquelles aucune évaluation n’est proposée. La peur comme seul moteur et unique justification des renoncements démocratiques exigés : ainsi se détricote une vie collective dont l’humanisme est retoqué comme un idéal désormais dangereux.

Appuyée sur le discours scientifique qui, sans craindre le ridicule, se refuse à toute autocritique, l’infantilisation des citoyens devenue levier de gouvernement ? On comprend que le manifeste qui appelle à la résistance secoue le lecteur, d’autant que, si la leçon est impitoyable, la nuance de l’argumentation la rend difficilement réfutable.

« De la démocratie en pandémie. Santé, recherche, éducation » de Barbara Stiegler, Gallimard, « Tracts », 64 pages , 3,90 euros.

Philippe-Jean Catinchi