Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Hôpital : Macron reconnaît une « erreur dans la stratégie » et annonce une concertation immédiate

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Hôpital : Macron reconnaît une « erreur dans la stratégie » et annonce une concertation immédiate

Le chef de l’Etat, en visite surprise à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, vendredi, a annoncé que le ministre de la santé, Olivier Véran, avait « mandat » pour commencer « dès la semaine prochaine » les discussions.

Par François Béguin et Cédric Pietralunga

Publié le 16/05/2020

« Cet épisode sera l’un des marqueurs du quinquennat ! » A l’Elysée, les grands mots étaient de sortie, vendredi 15 mai, pour commenter la visite surprise effectuée le matin même par Emmanuel Macron à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Une visite gardée jusqu’au bout secrète lors de laquelle le chef de l’Etat a lancé ce qu’il a qualifié lui-même de « Ségur » de l’organisation du système de santé, du nom de l’avenue parisienne où est situé le ministère de la santé.

Comprendre : un « plan massif » de réforme du système hospitalier, affaibli par des années de restrictions budgétaires. L’ouverture de ce chantier survient alors que les hôpitaux sortent tout juste de la phase aiguë de l’épidémie de Covid-19 et que des mouvements de contestation des personnels soignants menacent de nouveau de se multiplier, après ceux enregistrés depuis plus d’un an dans les services des urgences.

Lors d’un échange avec des médecins et des responsables de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Emmanuel Macron a annoncé que le ministre de la santé, Olivier Véran, avait « mandat » pour commencer « dès la semaine prochaine » un travail de concertation en vue d’une revalorisation des salaires et des carrières des personnels médicaux et paramédicaux. Jusqu’ici, le chef de l’Etat n’avait promis que des primes – de 1 500 euros pour les soignants dans les unités traitant des cas de Covid-19, de 500 euros pour les autres. Insuffisant pour les soignants, qui réclament des augmentations pérennes. « On ne peut pas attendre que la fin du Covid arrive » pour entamer ce travail, a lui-même reconnu M. Macron. « Cette revalorisation sera intégrée dans le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale] rectificatif prévu en juillet », assure-t-on à l’Elysée.

Devant des médecins mais aussi des infirmières parfois remontées, Emmanuel Macron a détaillé les quatre « piliers » sur lesquels devrait reposer son futur plan : revalorisation des salaires et des carrières donc, investissement dans les bâtiments et le matériel, mise en place d’une gouvernance plus souple et « plus déconcentrée », et enfin nouvelle organisation du système de santé basée sur le territoire. « Il y a une nécessité de penser les interfaces avec la médecine de ville, avec le médico-social », a-t-il jugé.

Mea culpa
Dans le détail, le chef de l’Etat a annoncé qu’il reviendrait sur une mesure phare du plan d’urgence en faveur de l’hôpital public présenté en novembre 2019 par Agnès Buzyn et Edouard Philippe : la reprise sur trois ans, à partir de 2020, de 10 milliards d’euros de la dette hospitalière, soit un tiers du total. « Ça ne parle à personne, personne ne dit que c’est une bonne idée. Ce n’est sans doute pas une bonne idée. Donc il faut oublier ce truc et réinvestir différemment », a annoncé le chef de l’Etat. « On ne va pas annuler cette annulation, nuançait-on à l’Elysée. Mais on se rend compte qu’elle ne suffit pas et qu’il faut trouver les moyens d’investir davantage dans l’hôpital. »

Saluant « l’extraordinaire capacité à trouver des solutions en un temps record » pendant la crise, Emmanuel Macron a dit souhaiter s’inspirer du modèle inventé au cours de cette période. « Le quoi qu’il en coûte lancé un soir de mars ne peut pas durer perpétuellement, a-t-il reconnu. Il faut qu’on trouve d’autres modes de régulation, qui partent du bas et du soin, et plus d’une logique budgétaire mais d’une logique sanitaire. »

Dans un acte de contrition étonnant, le président de la République, qui s’est présenté comme un « enfant de l’hôpital » en référence à ses attaches familiales – son père est neurologue au CHU d’Amiens et son frère radiologue dans une clinique privée de Seine-Saint-Denis –, a également fait son mea culpa sur la façon dont le système de santé avait été réformé depuis son arrivée à l’Elysée en 2017. « On a sans doute fait une erreur dans la stratégie annoncée il y a deux ans », a-t-il reconnu, en référence à la réforme du système de santé baptisé « Ma santé 2022 ».

Le chef de l’Etat a estimé que cette loi « ne portait pas assez de sens » et avait « un rapport au temps et une ampleur qui n’étaient pas du tout suffisants par rapport à l’état où était l’hôpital ». « On mettait fin à quinze ans de baisse des tarifs hospitaliers, on [les] avait même réaugmentés. J’étais convaincu qu’on était en train de changer les choses », et « c’est très cruel pour moi-même », a-t-il ajouté, jugeant que « c’était une super stratégie mais à faire dix ans plus tôt ». Même chose pour les deux plans d’urgence concoctés par Agnès Buzyn à l’automne 2019. « Ils étaient sous-dimensionnés », reconnaît l’entourage d’Emmanuel Macron.

« Un vrai changement de paradigme »
« Il y a un vrai changement de paradigme dans le discours d’Emmanuel Macron », admet François Salachas, neurologue à la Pitié-Salpêtrière et membre du Collectif inter-hôpitaux, à l’issue d’un échange d’une heure avec le chef de l’Etat vendredi matin. « Soit on peut être méfiant, soit on peut dire oui, cette crise va permettre de refonder l’hôpital public », estime le médecin qui avait interpellé M. Macron lors de sa précédente visite à la Pitié le 27 février en lui lançant : « Vous pouvez compter sur nous… l’inverse reste à prouver. »

Cette soudaine accélération du tempo présidentiel ne doit rien au hasard. Au sein de l’exécutif, les images de cortèges de soignants défilant ces derniers jours devant leur hôpital, à Toulouse, à Saint-Etienne, ou à l’hôpital Robert-Debré à Paris, ont jeté un froid. « On pensait avoir jusqu’à la rentrée pour construire un plan pour l’hôpital, on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas attendre », reconnaît un conseiller ministériel.

Plusieurs syndicats et collectifs hospitaliers, comme l’AMUF, la CGT, les collectifs Inter Hôpitaux ou Inter Urgences ont indiqué vendredi réfléchir à la tenue d’une « journée nationale de mobilisation » mi-juin. Le président a « promis de “tirer toutes les conséquences” » de la crise, ont-ils souligné dans un communiqué commun. Or, « pour l’instant, nous ne nous voyons rien venir dans ce sens, estiment-ils. Au contraire, le déconfinement et la reprise d’activité dans les établissements se mènent sans tirer les premières leçons de la gestion de la crise sanitaire ».

« Aller très vite »
En annonçant la semaine dernière qu’il comptait attribuer une « médaille de l’engagement » aux soignants ayant lutté contre le Covid-19, le gouvernement avait il est vrai donné des verges pour se faire battre. « On aurait dû annoncer le Ségur avant les médailles. En temps de crise, on n’est pas toujours dans le bon tempo. Le président a pris conscience d’une accélération du temps », euphémise-t-on à l’Elysée. « Je n’ai pas envie que la bonne énergie retombe et que le désespoir s’installe », a lui-même répondu M. Macron à des infirmières qui l’interpellaient sur leurs trop bas salaires.

Car le chef de l’Etat en est désormais convaincu, il faut « aller très vite pour casser les trucs qui rebloquent le système », a-t-il expliqué aux soignants venus lui réclamer de conserver la même souplesse d’organisation des soins que durant la crise du Covid-19. « On a collectivement mal conçu le système en le surrégulant par le budgétaire et l’activité, et en le mettant sous stress avec de mauvais indicateurs », a expliqué M. Macron, en référence notamment à la tarification à l’activité et au taux d’occupation des lits, les deux outils principaux outils utilisés aujourd’hui pour piloter les hôpitaux.

Mais réformer ces indicateurs n’aura rien d’une sinécure. « Depuis la seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu cinquante grandes refontes hospitalières, hormis la création des CHU par Robert Debré en 1958. Ce que veut faire le président sera un tournant », promet-on à l’Elysée. Reste à passer aux actes.