Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : L’approche « One Health », un outil pour prévenir les prochaines pandémies

Août 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : L’approche « One Health », un outil pour prévenir les prochaines pandémies

Ce concept, né il y a une vingtaine d’années, reconnaît l’interdépendance entre les santés animale, humaine et environnementale mais reste peu mis en œuvre.

Par Perrine Mouterde

Publié le 24/08/2020

« C’est un échec pour l’homme d’avoir su prévoir mais pas prévenir. Pour empêcher une autre pandémie, nous devons être plus proactifs et reconnaître le lien inextricable entre santé humaine, animale et environnementale. » Tel est le message lancé cet été par la directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), Inger Andersen. Un appel à « penser » la pandémie de Covid-19 pour en comprendre les causes et agir, pour éviter la prochaine.

La crise sanitaire a mis en lumière ces interactions étroites entre faune sauvage, perte de biodiversité et santé publique. Comme la majorité des maladies infectieuses affectant les humains, le Covid-19 est une zoonose, c’est-à-dire une infection transmise par un animal. Or, depuis plusieurs dizaines d’années, la fréquence des épidémies, en particulier d’origine zoonotique, s’accélère. Du fait des activités humaines – déforestation, conversion des terres agricoles, intensification de l’élevage… –, les populations sont notamment de plus en plus en contact avec la faune.

« L’augmentation de la population humaine, l’industrialisation et les problèmes géopolitiques accélèrent les changements causant des dommages importants à la biodiversité, la dégradation des écosystèmes et les mouvements migratoires considérables des hommes et des espèces, expliquaient en 2018 les auteurs d’un article publié dans Frontiers in Veterinary Science. Ces changements environnementaux rapides sont liés à l’émergence et à la réémergence de maladies infectieuses et non infectieuses. »

Bilan difficile à établir
Face à ce constat, de plus en plus de voix réclament de généraliser l’approche « One Health » (« une seule santé »), qui affirme l’interdépendance des santés animale, humaine et des écosystèmes et promeut une démarche collaborative et transdisciplinaire. « Le Covid-19 incarne parfaitement pourquoi One Health est essentiel pour garantir un avenir sain et durable à la planète », écrivaient, en mai, des responsables de la revue scientifique The Lancet.

Quelques jours plus tôt, ce sont des experts de la Plate-Forme intergouvernementale sur la biodiversité qui appelaient à adopter cette approche à tous les niveaux de prise de décision, du mondial au plus local. Intitulé « Empêcher la prochaine pandémie : comment briser la chaîne de transmission des maladies zoonotiques », le récent rapport du PNUE et de l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI) affirme aussi que One Health est « la solution optimale » pour faire face au risque.

Ce concept est né il y a une vingtaine d’années, dans la foulée de l’épidémie de syndromes respiratoires aigus sévères (SRAS). En 2004, la Wildlife Conservation Society en pose les fondements lors d’une conférence internationale, à travers les « Principes de Manhattan ». A la fin des années 2000, cette approche est formellement adoptée par un accord tripartite entre l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation mondiale de la santé animale et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Elle vise à lutter contre les maladies infectieuses mais aussi à faire face à d’autres défis tels que la résistance antimicrobienne, l’une des principales menaces pour la santé mondiale.

Aujourd’hui, son bilan reste toutefois difficile à établir. « Est-ce une coquille vide ou des actions ont-elles vraiment été menées avec ce type de démarche intégrée ? C’est difficile à dire, estime Coralie Martin, chercheuse en parasitologie à l’Inserm et au Muséum national d’histoire naturelle. Mais dans tous les cas c’est une démarche utile car elle pousse à discuter et à avoir une réflexion globale. »

Barrières entre disciplines
Dans leur rapport, le PNUE et l’ILRI mettent en avant des exemples où la mise en œuvre de cette approche a eu des succès notables, comme dans la lutte contre la rage au Serengeti, en Tanzanie, ou pour comprendre la dynamique de transmission de la fièvre de la vallée du Rift, qui a touché notamment l’Afrique de l’Est. L’article de Frontiers in Veterinary Science souligne aussi comment un effort de collaboration a été mis en place entre médecins, vétérinaires, biologistes, écologues et institutions de santé publique pour identifier l’origine de l’émergence en Corse, en 2013, de la bilharziose – une maladie habituellement rencontrée dans les zones tropicales et subtropicales.

« Ce sont certainement les zoonoses transmises par un moustique qui ont été le plus étudiées par le biais de l’approche One Health », précise Delphine Destoumieux-Garzon, directrice de recherche au CNRS et chercheuse au laboratoire Interactions hôtes pathogènes environnements. La santé environnementale reste en revanche le maillon faible du triptyque, les ponts entre santé humaine et animale étant plus simples à établir.

Le principal obstacle à la généralisation de l’approche One Health est clairement identifié : les barrières entre disciplines ont du mal à tomber. « La médecine a toujours dominé les autres sciences, explique Delphine Destoumieux-Garzon. Et dans le monde de la recherche, l’interdisciplinarité n’est pas mise en valeur, il faut être “le grand spécialiste”. Mais c’est en train de changer, notamment auprès de la jeune génération. »

En France, ce manque de transversalité a été observé dans la gestion de la crise du Covid-19. Les laboratoires vétérinaires et les laboratoires publics de recherche ont notamment été sous-utilisés alors qu’ils disposaient d’importantes capacités pour effectuer des tests de dépistage. « Aucun vétérinaire ou écologue n’a fait partie du conseil scientifique, remarque aussi Coralie Martin. Il est normal de mettre en avant l’aspect médical pour faire face à la crise, mais pour la réflexion globale un médecin ne peut pas tout faire. »

Le directeur général de l’ILRI, Jimmy Smith, a répété début juillet l’urgente nécessité de faire tomber ces obstacles. « Nous devons collaborer comme nous ne l’avons jamais fait jusqu’à présent, a-t-il insisté. Pour faire face aux pandémies, nous devons travailler ensemble, du village reculé aux institutions mondiales, à travers les frontières mais aussi à travers les disciplines. »

« Fragilité » des connaissances
Le PNUE et l’ILRI appellent aussi à mettre en place un système mondial d’alerte précoce pour parvenir à détecter et arrêter les maladies avant qu’elles ne deviennent des pandémies. Un dispositif qui implique d’investir dans les services vétérinaires, de santé publique, médicaux et environnementaux afin de pouvoir surveiller et analyser les informations en temps réel, sur le terrain. « Nous devons nous concentrer sur la détection précoce, en particulier sur les animaux, avant que l’homme ne devienne l’espèce sentinelle – le canari dans la mine de charbon qui nous alerte d’un danger », précise Jimmy Smith.

« Savoir où, quand et pourquoi des pathogènes circulent est très important, confirme Delphine Destoumieux-Garzon. Mais aujourd’hui, cette description naturaliste à l’ancienne n’a pas le vent en poupe et n’est pas financée. On a pourtant besoin de données biologiques pour alimenter des modèles prédictifs. »

Pour mieux comprendre les maladies infectieuses, de nouveaux champs de recherche devront également être couverts. Dans une analyse publiée en mai dans la revue Environmental Research Letters, des chercheurs soulignent, par exemple, la « fragilité » des connaissances sur les liens entre forêts, déforestation et maladies infectieuses émergentes et l’importance de les approfondir « en prenant mieux en compte les composantes environnementales mais aussi anthropo-sociologiques, économiques et politiques ». Car au-delà des aspects sanitaires ou environnementaux, One Health intègre bien d’autres dimensions : économique mais aussi sociale, culturelle, éthique… « On ne peut pas prendre des mesures sans prendre en compte, par exemple, la relation entre les populations et les animaux au sein d’une communauté », explique Coralie Martin.

Pour la chercheuse, l’enjeu est aujourd’hui de clairement identifier les besoins, pour mettre les bons interlocuteurs autour de la table. « La question, c’est : comment va-t-on réussir à mettre en œuvre ce concept One Health ? Que proposer pour que ça avance ? Cela va demander de la réflexion, en espérant que ça ne fasse pas pschitt. » La balle est aussi dans le camp des responsables politiques. Si la manière de faire de la recherche doit évoluer, la politique doit aussi se faire différemment, rappelle Delphine Destoumieux-Garzon. « Si on veut arrêter l’élevage intensif par exemple, il va falloir que le ministère de l’agriculture parle à celui de la santé. Ce serait déjà un progrès », juge-t-elle.