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Le Monde.fr : La sortie de l’état d’urgence et le passe sanitaire finalement adoptés : récit d’une nuit de tension à l’Assemblée

Mai 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : La sortie de l’état d’urgence et le passe sanitaire finalement adoptés : récit d’une nuit de tension à l’Assemblée

Mardi, les députés du MoDem ont dans un premier temps voté contre le passe sanitaire, obligeant LRM à adapter son texte.

Par Mariama Darame

Publié le 12/05/2021

Il est 18 h 04, mardi 11 mai. L’Assemblée nationale vient de voter avec une courte majorité (108 voix contre, 103 voix pour) contre le passe sanitaire et les mesures de restriction inscrits à l’article premier du projet de loi de « gestion de sortie de l’état d’urgence sanitaire ». Les députés de droite et de gauche mais surtout 45 élus du MoDem, parti dans la majorité présidentielle, rejettent à l’unanimité l’un des outils-phares du plan de déconfinement esquissé par le chef de l’Etat deux semaines plus tôt dans la perspective d’un « retour aux jours heureux ». Panique chez LRM.

Sept heures plus tard, à 1 h 08, l’Assemblée nationale adopte dans la nuit, après une deuxième délibération exigée par l’exécutif, le projet de loi de gestion de sortie de crise sanitaire et son article premier, avec 208 voix pour et 85 voix contre. Et, cette fois-ci, les mesures de restriction des libertés (couvre-feu à 21 heures à partir du 19 mai et à 23 heures à partir du 9 juin, définitivement supprimé à partir du 30 juin, confinement territorialisé) tant décriées par les oppositions et le fameux passe sanitaire sont bel et bien approuvés.

Entre ces deux scrutins que tout oppose, la majorité présidentielle a eu le temps de frôler la rupture, de mettre en difficulté son premier ministre et chef de la majorité, Jean Castex, sommé de s’expliquer au 20 heures de France 2 sur l’absence dudit passe sanitaire et a usé des grandes manœuvres pour finalement adopter un texte qui introduit la sortie de l’état d’urgence sanitaire au 30 septembre et non plus au 31 octobre 2021, date plus tardive que ce que préconisait M. Veran lundi 11 mai.

« Diktat gouvernemental »
A l’origine de ce psychodrame parlementaire ? Le groupe MoDem, principal allié de La République en marche (LRM) à l’Assemblée. Dès la semaine dernière, les élus centristes ont posé plusieurs conditions fermes pour soutenir ce projet. Et tenter d’alerter le gouvernement sur les « lignes rouges » à ne pas franchir. L’interview de Jean Castex au Parisien sur les modalités du déconfinement en pleine discussion parlementaire, lundi soir, a été vécu comme une énième déconvenue pour les députés, exaspérés d’apprendre dans la presse les arbitrages retenus avant même d’avoir pu en débattre. « Aujourd’hui, on n’a ni cohérence ni clarté dans le texte, ce qui me pose beaucoup de questions », affirmait mardi, avant le vote, le député MoDem de Vendée Philippe Latombe en citant la gestion des données personnelles ou encore le passe sanitaire.

La veille, lundi 10 mai, les débats se sont rapidement tendus dans l’Hémicycle autour de la tentative de certains députés de gauche comme de droite qui voulaient définir la liste des « grands événements » concernés par l’usage du passe sanitaire et l’inscrire dans la loi. Beaucoup souhaitaient également renforcer le contrôle parlementaire de ces mesures de sortie d’état d’urgence sanitaire jugé « liberticide » et relevant « d’un pouvoir discrétionnaire mis à la disposition de l’exécutif ». Les élus centristes sont même arrivés à coaliser les oppositions autour d’eux contre LRM et Agir, l’autre groupe de la majorité.

Un amendement rejeté in extremis (63 pour, 62 contre) du député MoDem du Calvados Christophe Blanchet sur la réouverture des discothèques conditionné au passe sanitaire a fini d’achever la colère des élus du parti de François Bayrou. « Je n’ai pas été élu pour me soumettre à un diktat gouvernemental, je suis désolé, je ne ferai jamais partie des députés godillots, défend le député (Yvelines) MoDem Bruno Millienne. Quand ça ne va pas il faut qu’on le dise, c’est le meilleur service qu’on puisse rendre au gouvernement et au président de la République. »

Les députés LRM, qui n’ont plus la majorité absolue à l’Assemblée nationale et doivent désormais compter sur leurs alliés, ont finalement été mis en minorité lors du scrutin sur l’article premier par leur principal partenaire. Une situation inédite depuis le début du mandat. Le ministre de la santé et des solidarités, Olivier Véran, était absent lors du vote, en visite dans un centre de vaccination à Montrouge (Hauts-de-Seine). « C’est un gros avertissement. LRM était prévenu, savait et a fait semblant de ne pas voir », indique un élu centriste quand un autre attaque directement LRM : « Ils pensaient surtout qu’ils allaient gagner, même sans nous. Et Véran, il s’en fout du Parlement. » « Ce n’est pas un acte de défiance vis-à-vis du gouvernement, argue le député MoDem du Finistère Erwan Balanant. C’est une question de principes avant tout. »

Les négociations entre LRM et le MoDem se sont joués en quelques heures, le temps pour le gouvernement de réécrire l’article premier pour y introduire la principale demande du groupe centriste, à savoir la sortie de l’état d’urgence sanitaire au 30 septembre et non plus au 31 octobre. Le ministre des relations avec le Parlement et numéro 2 du MoDem, Marc Fesneau, était lui aussi présent pour tenter de désamorcer les tensions entre les deux présidents de groupe, Patrick Mignola (MoDem) et Christophe Castaner (LRM). « On va trouver un accord avec la majorité, c’est normal qu’elle débatte, avait affirmé le premier ministre, mardi soir, sur France 2, ajoutant : Ce problème, nous allons le régler (…), il y aura un passe sanitaire. »

« Absence d’écoute »
Les deux autres demandes du MoDem n’ont pas abouti. Dans l’Hémicycle, Olivier Veran a indiqué une nouvelle « clause de revoyure pour les discothèques au cours de l’été » afin de réévaluer les conditions sanitaires, promettant leur réouverture si les conditions sanitaires le permettent. Les confinements locaux pourront toujours être décrétés durant l’été en cas de flambée épidémique, durant deux mois et non un mois, avant d’être ratifié au Parlement, comme le demandaient les centristes. Un amendement de la majorité adopté contre l’avis du gouvernement introduit la possibilité pour les préfets de lever le couvre-feu dans leur territoire si la situation épidémique le permet.

Ce coup de force ne va pas améliorer les relations déjà compliquées entre les deux principaux groupes de la majorité présidentielle. « Ils se sont vus très fort et ils ont fait les malins. Mais, maintenant, ils sont bien embêtés. C’est bien de se prétendre pilier de la majorité mais quand on flingue le texte qui organise la sortie de l’état d’urgence sanitaire, ça fait quand même mauvais genre », s’agace un député LRM.

Dans le sillage du désordre engendré par les dissensions de la majorité, les députés des oppositions ont salué le « courage » du MoDem. Là où beaucoup dénoncent régulièrement le « mépris » du Parlement par l’exécutif. « Le rejet de l’article premier est lié à une totale absence d’écoute du Parlement et des oppositions depuis le début de la crise sanitaire », estime le député UDI (Loir-et-Cher) Pascal Brindeau.

Dans l’Hémicycle, les débats se sont poursuivis dans une atmosphère houleuse jusqu’à la fin de la séance et la présentation de l’article premier réécrit par le gouvernement vers minuit. « Vous ne pouvez pas nous dire de revenir à nouveau pour un second vote, comme si nous n’aurions pas compris ce que nous avons voté », s’est insurgée la députée du Val-de-Marne Mathilde Panot de La France insoumise. Cette fois-ci, contrairement à la veille, trois ministres étaient sur le banc : Olivier Véran, de retour dans l’Hémicycle, Adrien Taquet (enfance et familles) et Jean-Baptiste Lemoyne (tourisme). Certains l’ont interprété comme un signal de la part de l’exécutif pour tenter de calmer le jeu. Mais le mal était déjà fait pour les députés.