Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : « Nous sommes en guerre » : Emmanuel Macron sonne la « mobilisation générale » face au coronavirus

Mars 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Nous sommes en guerre » : Emmanuel Macron sonne la « mobilisation générale » face au coronavirus

L’épidémie s’étend de manière « inquiétante » et le chef de l’Etat a pris la décision de confiner l’ensemble des Français et de repousser le second tour des municipales.

Par Cédric Pietralunga et Alexandre Lemarié•

Publié le 17/03/2020

« Nous sommes en guerre. » A six reprises, Emmanuel Macron a utilisé la même expression. Un ton martial, visant à sonner la « mobilisation générale » contre un « ennemi (…) invisible, insaisissable ». Lors d’une allocution solennelle de vingt et une minutes, lundi 16 mars à 20 heures – la deuxième en cinq jours –, le chef de l’Etat a annoncé un arsenal de mesures d’une radicalité inédite, afin de lutter contre la pandémie du coronavirus. « Jamais la France n’avait dû prendre de telles décisions en temps de paix », a souligné d’emblée M. Macron, dans une position de père de la nation qu’il affectionne.

Après des jours, voire des semaines d’atermoiements, l’exécutif s’est décidé à faire basculer la France dans un régime d’exception, suivant l’exemple de l’Italie ou de l’Espagne. Alors que les médecins sonnent l’alarme, en raison du virus qui s’étend de manière « inquiétante » dans le pays, selon les autorités sanitaires, M. Macron a pris la décision de confiner l’ensemble des Français sur le territoire métropolitain mais aussi en outre-mer.

A partir de mardi 17 mars à midi, il ne sera plus possible de sortir de chez soi si ce n’est pour se soigner, faire ses courses ou aller travailler. Un confinement prévu pour une durée de « quinze jours au moins » mais qui pourrait être prolongé si la situation l’exige. « Seuls doivent demeurer les transports absolument nécessaires », a souligné le président de la République, prévenant que « toute infraction à ces règles sera sanctionnée ». Des amendes allant jusqu’à 135 euros pourront être dressées, a précisé le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner.

« La figure de Clemenceau »

Pour convaincre les Français « d’accepter ces contraintes » et de limiter leurs contacts à cinq personnes par jour, comme l’a demandé le ministre de la santé Olivier Véran, le chef de l’Etat a volontairement utilisé un vocabulaire guerrier, parlant d’un nécessaire « combat contre l’épidémie, de jour comme de nuit ». « Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse », a-t-il dramatisé. « La figure de Clemenceau lui a clairement servi d’inspiration », souffle l’un de ceux qui ont échangé avec l’hôte de l’Elysée durant la crise.

Après avoir consulté ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande, mais aussi les présidents du Sénat, Gérard Larcher (Les Républicains), et de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand (La République en marche), Emmanuel Macron a également annoncé le report du second tour des élections municipales, prévu dimanche 22 mars. Une décision présentée un peu plus tôt par le premier ministre, Edouard Philippe, aux chefs de partis politiques et de groupes parlementaires, en proposant la date du 21 juin.

Concrètement, l’élection des quelque 30 000 maires élus dès le premier tour devrait être validée. Pour les 5 000 autres candidats, les résultats sont gelés. Un temps évoqué pour mardi soir, le dépôt des listes en vue du second tour est finalement repoussé à une date ultérieure.

Une vraie volte-face de M. Macron, qui avait renoncé à reporter le premier tour malgré la pression de nombreux élus. Mais l’exécutif n’avait d’autre choix, tant l’épidémie a pris un tour incontrôlable. Selon le décompte tenu par les autorités, 1 210 nouveaux cas de contamination ont été enregistrés rien que pour la journée de lundi, portant le nombre total de personnes infectées à 6 633. Et encore, ce chiffre ne prend pas en compte les malades ne présentant pas de symptômes importants, qui ne sont plus testés.

Mobiliser toutes les ressources de l’Etat

Depuis l’apparition du coronavirus, 148 décès ont été constatés en France, et ce chiffre ne cesse de s’accroître, notamment en Ile-de-France et dans le Grand-Est, les deux régions les plus touchées. « La situation sanitaire se dégrade fortement », a lui-même reconnu le chef de l’Etat, assurant qu’une « vague de cas graves (…) déjà se profile dans certaines régions ».

Pour répondre à cette « crise sanitaire », ce dernier s’est dit prêt à mobiliser toutes les ressources de l’Etat afin d’aider les personnels soignants. Dans le Grand-Est, un « hôpital de campagne » sera ainsi installé « dans les jours à venir » en Alsace, il comprendra « trente places sous tente » en réanimation a précisé le ministère de la défense et les militaires se chargeront de transporter les malades des régions les plus touchées vers celles moins atteintes, afin d’éviter les engorgements. De même, des taxis seront payés par l’Etat pour emmener travailler les personnels soignants ne disposant pas de véhicules, sorte de version moderne des Taxis de la Marne, utilisés au début de la première guerre mondiale pour arrêter l’avancée des Allemands.

« La nation soutiendra ses enfants qui, personnels soignants en ville, à l’hôpital, se trouvent en première ligne dans un combat qui va leur demander énergie, détermination, solidarité », a souligné le chef de l’Etat, en annonçant la distribution de masques à partir de mardi, en priorité aux personnels hospitaliers et aux médecins libéraux.

Alors que la récession menace, Emmanuel Macron a également promis d’aider les entreprises autant qu’il le faudra. Leurs prêts bancaires seront garantis par l’Etat à hauteur de 300 milliards d’euros. Un dispositif « exceptionnel » de report de charges fiscales et sociales sera mis en place et les PME verront leurs factures de gaz ou d’électricité, ainsi que les loyers, suspendus pour la durée nécessaire. Pour les salariés, le dispositif de chômage partiel « sera massivement élargi ». « Pour les entrepreneurs, commerçants, artisans, un fonds de solidarité sera créé, abondé par l’Etat, et auquel le premier ministre [Edouard Philippe] proposera aux régions aussi de contribuer », a ajouté le chef de l’Etat.

« Plus aucune entreprise ne doit rencontrer de difficultés de financement dans les mois à venir », a abondé dans la soirée le ministre de l’économie Bruno Le Maire, précisant avoir demandé aux banques de « reporter de six mois le remboursement de crédit des entreprises, sans frais ».

Eviter un mouvement de panique

Pour autant, M. Macron a tenté de se montrer rassurant. Volontairement, il n’a pas utilisé le mot « confinement », préférant parler de « déplacements (…) très fortement réduits ». De même, il n’a pas suivi à la lettre la recommandation du conseil scientifique, chargé d’éclairer l’exécutif. Selon nos informations, celui-ci avait proposé deux options au chef de l’Etat : soit laisser un délai de quarante-huit heures avant un confinement « à l’italienne », soit confiner immédiatement l’ensemble des Français.

« Le professeur Delfraissy [président du conseil scientifique] a clairement indiqué que leur recommandation était l’option deux », indique un élu au fait des discussions. Une option non retenue par le chef de l’Etat, qui craignait un mouvement de panique si les Français s’étaient sentis piégés par ses annonces. Ce qui n’a pas empêché de nombreux Parisiens de s’exiler à la campagne ou de venir grossir les files d’attente devant les supermarchés, lundi.

Autre signe d’apaisement, le chef de l’Etat s’est engagé à suspendre « toutes les réformes en cours », y compris celle des retraites. Un peu plus tôt, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, avait également annoncé le report au 1er septembre de la mise en œuvre des nouvelles règles de l’assurance-chômage, qui durcissent le calcul de l’allocation, notamment pour ceux qui cumulent les contrats courts, et qui devaient initialement entrer en vigueur le 1er avril.

Ces nouvelles dispositions « permettant de répondre à l’urgence » doivent être entérinées par un projet de loi, qui doit être discuté au Parlement dès jeudi, après avoir été présenté en conseil des ministres la veille. De quoi donner des sueurs froides aux députés, dont certains s’inquiètent à l’avance de se retrouver confinés au Palais-Bourbon… « C’est flippant mais on n’a pas le choix », confie un élu macroniste, qui n’exclut pas de siéger avec un masque.

« L’Elysée navigue à vue »

Dans l’opposition, les critiques ont fusé immédiatement après le discours du chef de l’Etat. Loin du climat d’unité nationale, recherché par l’exécutif. Alors que les écologistes ont regretté « une rhétorique guerrière inutile », la présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, a dénoncé de son côté des instructions pas « suffisamment claires pour que chacun comprenne qu’il s’agit de confinement ». « Une sorte de flou », également souligné par le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

Certains reprochent ouvertement à l’exécutif d’avoir tardé à réagir, avant que la situation empire. A l’instar du patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, pour qui « l’aggravation de la crise sanitaire et la crise démocratique, qui découle du maintien du premier tour des municipales, auraient pu être évitées si l’on n’avait pas invité 20 millions de Français aux urnes ». Aux yeux de l’ex-ministre de François Hollande, la responsabilité de M. Macron est directement en cause : « Au lieu d’annoncer des restrictions au goutte à goutte, le président de la République aurait dû prendre des mesures beaucoup plus radicales dès jeudi dernier. Quitte à être impopulaire. Mais il ne les a pas prises. »

Des critiques également formulées à l’intérieur même de l’appareil d’Etat. « L’Elysée navigue à vue et affine les mesures au vu des échecs encaissés. C’est de l’amateurisme », se désole une source gouvernementale, au cœur des discussions. Avant de préciser : « On a donné l’alerte il y a plusieurs jours, en préconisant des mesures très fortes, notamment le report des municipales, mais nos avertissements ont été pris à la légère. Le risque a été minimisé. »

Reste une question, à laquelle le chef de l’Etat n’a pas répondu : combien de temps le confinement va-t-il durer ? Un moment, une période de quarante-cinq jours a été évoquée par des élus. Mais elle n’a jamais été confirmée par l’exécutif. Lors de son allocution, M. Macron a parlé d’une période de « quinze jours au moins », laissant entendre que celle-ci pourrait être prolongée autant que de besoin mais que « nul ne peut savoir ». « On pourra mettre fin au confinement, a assuré le ministre de la santé Olivier Véran. Mais sans confinement, on ne pourra pas mettre fin à l’épidémie. »