Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Protocole inchangé, calendrier maintenu : Jean-Michel Blanquer orchestre une rentrée à haut risque

Janvier 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Protocole inchangé, calendrier maintenu : Jean-Michel Blanquer orchestre une rentrée à haut risque

Le « ministre des écoles ouvertes » a maintenu le calendrier et le protocole alors que le taux d’incidence chez les 6-10 ans frôle les 800 cas pour 100 000.

Par Mattea Battaglia

Publié le 01/01/2022

Le « ministre des écoles ouvertes » : Jean-Michel Blanquer n’a jamais aussi bien porté son surnom. Alors qu’une frange du corps enseignant et des professionnels de santé réclamaient non pas la fermeture des classes mais un report de la rentrée fixée au 3 janvier, le temps de voir si le variant Omicron mène à cette « désorganisation de la société » évoquée par le conseil scientifique, le gouvernement resserre les rangs autour de la « ligne Blanquer » : « Nous ne reporterons pas la rentrée », a fait savoir le premier ministre, Jean Castex, le 27 décembre, au terme d’une journée marathon rythmée par un conseil des ministres et un conseil de défense, en précisant qu’« il n’y aura pas de distanciel dans les collèges et lycées ».

Un point de gagné pour le bon élève de la Macronie ? Les courbes des contaminations en milieu scolaire diront, ces prochains jours, si le calcul opéré est le bon… ou pas. Mais, sur le terrain de l’école, à trois jours d’une rentrée des classes jugée à risque, alors que le taux d’incidence des 6-10 ans frôle les 800 cas pour 100 000, des mots d’ordre d’« alerte sociale » et des appels à la grève ont commencé à circuler.

« A quoi servent les niveaux supérieurs du protocole sanitaire [il en compte quatre] si on ne les active pas quand la contagion parmi les enfants s’envole ? », s’interrogent, en nombre, les enseignants. Habitués à des changements de règle « le vendredi pour le lundi », beaucoup espéraient encore, à la veille de la Saint-Sylvestre, obtenir quelques précisions de leur ministre de tutelle. Invité de France Inter, le 28 décembre, Jean-Michel Blanquer a avancé une proposition : les élèves du primaire où un cas positif au SARS-CoV-2 a été identifié pourraient bientôt devoir présenter « au moins deux tests [négatifs] à plusieurs jours d’intervalle », contre un seul actuellement, pour revenir en classe.

« Le sens de l’école »
Attentiste, M. Blanquer, lui que l’on a si souvent décrit comme un « bulldozer » ? Dans son essai Ecole ouverte, publié chez Gallimard en septembre, il se félicitait que l’épidémie nous ait « obligés à retrouver le sens de l’école ». Un trimestre plus tard, alors que deux variants déferlent sur le territoire, le ton se fait plus prudent.

L’équation face à laquelle le ministre de l’éducation se trouve est complexe : il lui faut donner des gages à la communauté éducative, enseignants et parents, qui encaissent les vagues épidémiques depuis bientôt deux ans, sans toucher au protocole sanitaire – maintenu par le gouvernement, à ce stade du calendrier, à l’échelon 3 dans les écoles, à l’échelon 2 dans les collèges et les lycées –, et ce, en évitant au maximum les fermetures de classe. Un changement de pied officialisé fin novembre, et auquel Matignon et l’Elysée n’entendent pas renoncer : fini le « un cas [positif] une fermeture » ; place à des campagnes de dépistage parmi les élèves promises comme massives, même si, dans les faits, elles butent sur la question de la faisabilité.

Le ministre Blanquer a avec lui les sociétés françaises de pédiatrie. « La fermeture des écoles a des effets délétères graves, en particulier pour les enfants et les familles les plus vulnérables, elle n’est envisageable que lorsque toutes les autres mesures pour limiter la circulation du virus ont déjà été activées », ont rappelé ces dernières, le 27 décembre, par la voie d’un communiqué. Mais, face à lui, des chercheurs et épidémiologistes n’hésitent plus à hausser le ton. « Une fois de plus, rien n’est annoncé pour sécuriser les écoles », a dénoncé dans nos colonnes, mardi 28 décembre, Dominique Costagliola, directrice de recherches émérite à l’Inserm et membre de l’Académie des sciences, réagissant au statu quo annoncé, la veille, par le chef du gouvernement.

Deux jours plus tôt, la charge était venue, dans Le JDD, d’une cinquantaine de professionnels de santé interpellant non pas M. Blanquer mais son homologue à la santé, Olivier Véran, sur le niveau de circulation du SARS-CoV-2 parmi les enfants : « Nous, professionnels de santé, attendons de vous, Monsieur le ministre, la prise en charge de la gestion sanitaire dans les établissements scolaires, avec son transfert immédiat », avançaient-ils, entre autres demandes, dans leur lettre ouverte.

Bonne communication entre l’éducation et la santé ?
« Il est urgent de sortir la gestion du Covid-19 à l’école du giron exclusif de l’éducation nationale, explique l’expert en santé publique Mahmoud Zureik, signataire de la tribune. Au lieu de s’opposer sur le détail du protocole, il faut poser – et répondre – à une question préalable : quels stratégie et objectif sanitaires se fixe-t-on, en France, pour la population en général et pour chaque tranche d’âge – y compris chez les enfants ? » « La circulation virale chez les enfants est une question de santé publique qui concerne toute la société, on ne peut pas la réduire à une problématique scolaire et laisser l’éducation nationale et les pédiatres confisquer ce débat », observe, dans la même veine, l’infectiologue Gilles Pialoux.

Est-ce à dire que MM. Véran et Blanquer ne travaillent pas suffisamment de concert ? Officiellement, ils sont engagés dans une « démarche interministérielle », selon la formule un peu galvaudée. « Depuis le début de la crise, les décisions ne sont jamais prises par le ministère de l’éducation seul, mais toujours en lien avec la santé et Matignon », défend-on au cabinet Blanquer. Le cadre sanitaire est posé par les autorités de santé, avant d’être décliné secteur par secteur – dont celui de l’école. C’est au sein du conseil de défense que les décisions sont prises. Les ministres y siègent, certains plus souvent que d’autres – « Blanquer très régulièrement », commente-t-on dans son entourage.

Pas de « conseiller santé » auprès du ministre de l’éducation : son directeur de cabinet, Thierry Ledroit, « tient le rôle », au dire des représentants syndicaux, qui le rencontrent en moyenne une à deux fois par mois, souvent avec la secrétaire générale du ministère, Marie-Anne Lévêque, le directeur de l’enseignement scolaire, Edouard Geffray, et celui des ressources humaines, Vincent Soetemont – entre autres. Des rendez-vous réguliers, « en présentiel » ou « à distance », auxquels M. Blanquer s’est parfois associé (comme au sortir du premier confinement, en mai 2020), mais qu’il délègue généralement à cette poignée de fidèles.

Une « chambre d’enregistrement » plus que de débat, disent les organisations syndicales. Le cabinet Blanquer y prend le pouls de la corporation ; les syndicats, eux, viennent y porter leurs revendications ou y chercher des informations. Parfois avec succès : ils ont ainsi appris que l’équipement en capteurs de CO2 concernait désormais près de 1 lycée sur 2, 1 collège sur 3, et 1 école sur 5 – même s’il ne s’agit parfois que d’un unique capteur par établissement. Parfois moins : ce jeudi 30 décembre, dernière rencontre de l’année, les syndicats ont tous réclamé la distribution aux élèves et aux personnels de masques chirurgicaux quand il leur faut encore se contenter de masques en tissu. Sans obtenir de réponse claire.

« Posture politique »
Nombre d’observateurs du débat public estiment que les liens entre l’éducation nationale et la santé pourraient être plus étroits ; que l’école aurait tout à gagner à renforcer ce dialogue. « Blanquer comme Véran sont deux fidèles de Macron, tous deux ont en commun de préparer l’avenir, glisse l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat. Ils ont des divergences, mais ils ne l’admettront pas. » « Si des divergences existent, elles impactent peu la stratégie politique, juge un autre : l’essentiel, c’est que les services, les cadres des deux ministères, eux, collaborent étroitement. »

Ces divergences se sont pourtant vues, récemment, lors d’interventions dans les médias : alors que M. Véran a mis l’accent sur les hospitalisations d’enfants (190 du fait du Covid-19, dont 35 en réanimation, a-t-il énuméré le 27 décembre), M. Blanquer, lui, campe sur sa ligne : « Je l’ai toujours dit, le milieu scolaire n’est pas un milieu de contamination particulière », a-t-il encore déclaré sur Franceinfo, à la veille des vacances de Noël. A cette date, les cas positifs recensés par ses services, chez les élèves, dépassaient 50 000. Un record.

Un ministre à contretemps, alors ? Cela relève en partie d’une « stratégie », d’une « posture politique », répond-on dans les cercles syndicaux. « Blanquer joue l’opposition entre lui et nous, lui qui serait l’avocat des écoles ouvertes et nous des partisans de leur fermeture, un “ouvriste” contre des “fermistes”, s’agace Jean-Rémi Girard, du Syndicat national des lycées et collèges, alors que nous ne voulons rien d’autre que des écoles ouvertes et sécurisées. » « Il nourrit un faux clivage : personne parmi les enseignants ne souhaite revivre un confinement », avance Guislaine David, du SNUipp-FSU. « Un faux clivage qui masque les vrais problèmes, renchérit Catherine Nave-Bekhti, du SGEN-CFDT. Pendant que l’opinion se focalise sur le nombre de classes qui ferment ou non, on ne débat pas des dotations en masques, de l’aération des salles, du point noir que constituent les cantines… L’enjeu ne peut être court-termiste, il ne se résume pas au 3 janvier, ni même aux trois semaines qui viennent et qui s’annoncent extrêmement compliquées. » Pour la syndicaliste, c’est d’une vision sur le long terme dont l’école a besoin.

Or, elle en a parfois manqué : les enseignants n’ont pas oublié les ordres et contre-ordres ; la fin du port du masque pour les écoliers, annoncée en octobre (dans les départements où le taux d’incidence basculait sous les 50 cas pour 100 000), avant que celui-ci ne soit rétabli après la Toussaint. Aux premières heures de la crise sanitaire, c’est le calendrier du déconfinement, au printemps 2020, qui avait suscité des tensions, et pas qu’au sein de la communauté éducative : en dévoilant un projet de réouverture des écoles étalé sur trois semaines, en fonction des niveaux, M. Blanquer avait pris de court Matignon, pour qui le plan de sortie n’était pas arrêté. « Un énorme pataquès », soufflait alors une source gouvernementale.

Depuis, la Macronie, sur ces questions, entend faire corps. Autant sur l’objectif éducatif affiché – lutter contre les inégalités entre élèves qui s’exacerbent encore plus dès lors qu’ils quittent la classe – que sur l’enjeu économique poursuivi – permettre aux parents de rester en activité. En 2021, la France a pu s’enorgueillir d’être l’un des pays où les écoles, passé la première vague épidémique, ont rouvert le plus vite. Reste à voir comment s’écrira le storytelling en 2022, face à l’inconnue de deux variants. Et d’une élection présidentielle.

Mattea Battaglia