Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Vaccin contre le Covid-19 : « A ce jour, aucun excès d’effets secondaires n’a été identifié »

Janvier 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Vaccin contre le Covid-19 : « A ce jour, aucun excès d’effets secondaires n’a été identifié »

Alors que le premier mois de la campagne de vaccination anti-Covid-19 suscite autant de vigilance que de rumeurs, la biostatisticienne Mounia Hocine explique pourquoi la mesure exacte de ses effets prendra du temps.

Propos recueillis par William Audureau

Publié le 24/01/2021


Neuf personnes âgées, qui présentaient des maladies chroniques ou des traitements lourds, sont mortes en France après avoir reçu le vaccin Pfizer-BioNTech contre le Covid-19, selon un bilan publié vendredi 22 janvier par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), sans qu’un lien soit établi entre leur décès et la vaccination.

Mounia Hocine, enseignante-chercheuse en biostatistique au Conservatoire national des arts et métiers, ancienne présidente de la Société française de biométrie et spécialiste du suivi en pharmacovigilance, a répondu aux interrogations suscitées par cette campagne de vaccination à grande échelle.

Par rapport à d’autres campagnes de vaccination, comme celles contre la grippe saisonnière, observe-t-on davantage d’effets indésirables avec les vaccins contre le Covid-19 ?
Le contexte est assez différent, c’est difficile à comparer. Les premiers vaccinés contre le Covid-19 sont les populations les plus vulnérables, très âgées, avec probablement plusieurs comorbidités, plus encore que la population pour laquelle la vaccination antigrippale est recommandée.

Mais à ce jour, des millions de doses du vaccin Pfizer ont été administrées dans le monde, et aucune des agences nationales ou régionales responsables de la pharmacovigilance n’a lancé d’alerte. Aucun excès d’effets secondaires imprévus n’a été identifié.

Les Etats-Unis ont enregistré une cinquantaine de morts parmi des personnes vaccinées, la Norvège une trentaine, la France neuf. S’agit-il d’une situation préoccupante ou attendue ?
Lorsqu’on vaccine une population très âgée et fragile, on doit s’attendre à ce qu’une proportion non négligeable décède peu après. La question est de savoir si la mortalité est plus élevée que celle attendue. A présent, les autorités norvégiennes indiquent que ce n’est pas le cas, mais l’analyse plus définitive est en cours.

En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) publie un point de situation hebdomadaire, sans fournir d’accès aux données. Ce niveau de transparence suffit-il pour informer et rassurer la population ?
Ce rythme hebdomadaire s’impose pour éviter les éventuelles critiques sur un manque de transparence. En revanche, des délais plus longs sont nécessaires pour explorer des liens de causalité entre le vaccin Covid-19 et toute suspicion d’événement indésirable, comme un décès, ou une paralysie faciale.

Il faut comprendre que la pharmacovigilance est fondée sur le recueil de ce qu’on appelle des notifications spontanées d’événements qui sont suspectés d’être causés par le vaccin. Ce sont des données brutes. On regarde tout ce qui est rapporté, par les professionnels ou par les vaccinés eux-mêmes. Quand un événement suspect est identifié et qu’il dépasse un certain seuil de fréquence, on passe à la pharmaco-épidémiologie : on se focalise sur ce point précis, et après enquête, on détermine si la causalité est prouvée ou non.

A ce stade, il n’est pas possible pour l’ANSM d’établir s’il existe un lien causal avec la vaccination, notamment en présence d’un décès. L’attente peut être particulièrement longue : seuls 30 % des certifications de décès en France se font au format électronique. Pour les 70 % de décès restants, le certificat est en format papier, et l’attente moyenne de l’information est estimée à trois ou quatre mois.

Combien de temps faudra-t-il attendre pour avoir une vision claire des effets secondaires du vaccin en population générale ?
Difficile de donner un délai précis. Des effets secondaires indésirables, de type rougeurs, démangeaisons, etc., apparaissent immédiatement après la vaccination. Mais ce qui effraie la population, ce sont les événements graves, beaucoup plus rares, qui peuvent se produire des années après.

On a aussi observé des effets indésirables durant les effets cliniques. La question est alors de savoir si on les retrouve dans les mêmes proportions dans la population. On n’est pas à l’abri d’observer des fréquences plus élevées en population générale, ou même des effets extrêmement rares qui n’étaient pas apparus lors des effets cliniques. Mais ça, on ne pourra le dire que dans des années.

En vérité, l’immense majorité des effets indésirables ont lieu dans les heures ou jours qui suivent l’injection, et on en connaît donc l’essentiel. Il y a par ailleurs eu beaucoup de personnes vaccinées en Israël, en Angleterre, etc., sans événement majeur inédit, donc il n’y a pas vraiment lieu de s’inquiéter.

Nombre de rapports officiels insistent sur la nécessité de distinguer corrélation et causalité. Pourquoi ?
L’exemple norvégien est un cas de figure. Les 30 décès ont été notifiés en raison du court intervalle entre leur survenue et la date de délivrance du vaccin, mais rien n’indique qu’il y ait un lien de cause à effet. Or, le concept de causalité est d’une importance capitale en santé. Une stratégie de soin ou de prévention doit reposer impérativement sur des preuves de lien de cause à effet. Une forte corrélation n’est qu’un des neuf critères définis en 1965 par l’épidémiologiste britannique Bradford Hill.

Dans certains cas particuliers, il est possible d’établir rapidement un lien causal : c’est le cas pour les réactions allergiques sévères (mais très rares) qui peuvent se déclencher juste après la vaccination. Mais dans leur très grande majorité, les événements d’intérêt peuvent avoir d’autres causes que le vaccin, et des études supplémentaires sont essentielles pour en révéler la cause.

Comment les experts font-ils la différence entre corrélation sans lien réel et lien de cause à effet ?

La méthode de référence en sécurité vaccinale est la SCCS. Elle a été inventée en 1995 par C. P. Farrington, un mathématicien brillant, à un moment où le vaccin ROR contre la rougeole était accusé de causer des cas de méningite chez les nourrissons ; il fallait des réponses rapides. Le principe consiste à étudier la fenêtre de temps entre la vaccination et l’émergence d’un événement, puis de comparer avec d’autres fenêtres de temps pour voir si la fréquence de ce dernier est plus élevée. C’est ainsi que l’on a pu, par exemple, écarter la responsabilité du vaccin contre l’hépatite B dans la survenue de scléroses en plaques.

Peut-on déjà tirer des enseignements de la couverture vaccinale en Israël, la plus élevée au monde à ce jour, sur la lutte contre l’épidémie ?
Le vaccin anti-Covid-19 ne protège qu’à partir de quelques semaines après la vaccination, donc l’impact n’est pas encore apparent. Il en ira de même en France. Il sera important de maintenir les autres mesures préventives telles que le couvre-feu, la distanciation, le port du masque, etc.

La première solution qu’on aurait voulu avoir, c’est un traitement, mais on n’en a pas. Alors on se rabat sur des solutions de dépannage le temps d’acquérir l’immunité. On ne sait pas si ce vaccin permettra de l’obtenir, mais au moins on sait déjà qu’il protège des formes les plus graves. Avec le temps, on verra s’il permet en plus d’obtenir la protection croisée, c’est-à-dire qu’il protège à la fois la personne et tout son entourage. Si c’est le cas, ce serait le vaccin parfait.