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Lequotidiendumedecin.fr : Olivier Véran : « Nous voulons éviter à tout prix une situation d’échappement du virus »

Septembre 2020, par infosecusanté

Lequotidiendumedecin.fr : Olivier Véran : « Nous voulons éviter à tout prix une situation d’échappement du virus »

PUBLIÉ LE 12/09/2020

À l’issue du Conseil de défense de vendredi, le ministre de la Santé a précisé sa politique dans un entretien au « Quotidien du Médecin ». Il s’explique sur la stratégie de dépistage, les priorités, le raccourcissement de la durée d’isolement et le flop de STOP-Covid. Dans ce contexte de reprise épidémique, Olivier Véran insiste sur l’enjeu de la couverture vaccinale antigrippale cet hiver.

LE QUOTIDIEN : Alors que l’épidémie repart à la hausse, avec déjà des tensions en réanimation à Marseille ou à Bordeaux, certains médecins craignent que les enjeux économiques prennent le pas sur la santé. Quelle est votre analyse de la situation  ?

Dr OLIVIER VÉRAN : Tout l’été, j’ai multiplié les interventions pour expliquer aux Français que nous avions réussi à limiter la circulation du virus mais que la menace n’était pas terminée. Ce message de vigilance générale a été renouvelé vendredi par le Premier ministre, à l’issue du Conseil de défense : la vigilance est l’affaire de chacun. Chacun est responsable.

Aujourd’hui, il y a une situation très disparate en France, avec un taux de reproduction du virus au niveau national entre 1.1 et 1.2, nettement moins élevé que pendant la première vague, et des incidences élevées dans certains territoires, par exemple à Bordeaux avec 270 cas pour 100 000 habitants.

Si pendant l’été, les jeunes ont été touchés, aujourd’hui nous constatons une extension des contaminations aux personnes plus âgées

Le contexte mêlé de vacances et d’insouciance n’a pas facilité la communication de crise cet été. De ce fait, les endroits où l’alerte était donnée sur le virus sont ceux aujourd’hui où il diffuse plus et trop. A contrario, il y a eu de beaux exemples comme la Mayenne, où la population a pris pleinement conscience des risques et où les mesures ont permis d’éteindre l’épidémie. Cet exemple nous montre qu’avec une rigueur et une attention renforcées aux gestes barrières, nous pouvons contrôler l’épidémie.

L’autre phénomène, c’est une porosité entre les générations. Si pendant l’été, les jeunes ont été touchés, aujourd’hui nous constatons une extension des contaminations aux personnes plus âgées. C’est ce qui nous a décidé, à Marseille, à prendre des mesures quand l’incidence chez les plus de 80 ans a atteint plus de 40 cas pour 100 000. Compte tenu du délai de latence entre le diagnostic et le développement d’une forme grave, les hospitalisations observées aujourd’hui ne sont que le reflet de l’augmentation des cas identifiés il y a 2 à 3 semaines.

Il faut donc aujourd’hui être dans la prise en charge des formes graves et dans l’anticipation de ce qui pourrait survenir dans les semaines à venir pour éviter d’avoir beaucoup plus de malades dans les services d’hospitalisation.

Alors, faut-il prendre aujourd’hui des décisions difficiles, comme le Pr Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, l’a suggéré  ?

Chaque fois que nous aurons à prendre des décisions, nous les prendrons. À l’issue du Conseil de défense et de sécurité nationale de vendredi, le Premier ministre a ainsi annoncé le renforcement les mesures en matière de priorisation des tests, le raccourcissement de la période d’isolement à 7 jours conformément à l’avis du Conseil scientifique ainsi que le contrôle accru de son bon respect. Cette semaine, je me suis longuement entretenu avec le Pr Delfraissy et une partie du Conseil scientifique et il n’y a pas de propositions de décisions factuelles, binaires, noires ou blanches. Il ne faut pas croire qu’il y ait des mesures toutes simples, évidentes et qu’on n’oserait pas prendre pour ne pas ralentir l’économie.

Les personnes vulnérables doivent être absolument protégées et se protéger

Il y a déjà eu des restrictions locales, notamment en Mayenne, en Guyane ou à Marseille où la fermeture anticipée dans les bars et les restaurants a suscité beaucoup de réticences. Je le regrette.

Nous poursuivrons avec cette approche territoire par territoire, de façon différenciée selon la situation épidémique et en ciblant les endroits et les contextes les plus propices à la contamination.

Quelles sont les priorités  ?

Les personnes vulnérables doivent être absolument protégées et se protéger, et d’ailleurs on constate qu’elles n’ont pas relâché leur vigilance, y compris pendant l’été. Un message de responsabilité et d’alerte doit passer auprès de la population.

Nous sommes dans une bataille dans la durée, et il faut pouvoir la mener de façon proportionnée, avec des mesures ajustées et cohérentes pour que les gens se sentent la force de tenir mais en mettant de temps en temps des coups de « booster » à chaque fois que le virus circule trop fort. C’est ce que nous permettons aux préfets de faire localement dans leur département.

Vous n’envisagez donc pas un reconfinement, y compris localisé  ?

Nous voulons éviter à tout prix une situation d’échappement du virus face à laquelle ce serait la seule solution. L’essentiel du combat se joue en amont de cela.

Le cap du million de tests hebdomadaires a été franchi. Mais les laboratoires sont saturés, les files d’attente s’allongent, les résultats sont rendus tardivement. Ne faut-il pas revoir votre stratégie  ?

Ce cap du million de tests nous place dans le top 3 des pays qui testent le plus en Europe, et c’est déjà un bon point. La question qui vient après c’est celle de la priorisation. Nous avons déjà adopté une stratégie de priorisation depuis plusieurs semaines. Depuis mi-août, nous avons décidé de prioriser les personnes avec une prescription médicale, les personnes symptomatiques et les cas contact. Le message a été passé à toutes les ARS, à tous les groupes de laboratoires, à tous les laboratoires indépendants publics et privés.

Les laboratoires devront mettre en place des plages horaires dédiées aux personnes prioritaires

Le problème n’est pas un manque de décision mais un manque d’application. Aujourd’hui, l’exigence du ministère est qu’aucune personne symptomatique ou cas contact ne fasse quatre heures de queue dans la rue ou ne se fasse renvoyer avec un rendez-vous cinq jours plus tard. Ce n’est pas acceptable  !

Sur une journée type, il y a 7 000 diagnostics, en moyenne 4 cas contact, ce qui fait en moyenne 35 000 personnes qui sont prioritaires pour un test. Sur les 150 000 personnes testées, personnes symptomatiques et cas contact, cela ne représente que 20 % à 30 % des personnes qui sont testées. Organiser une file, un coupe-file ou un fast track pour ces personnes, je ne peux pas concevoir que cela ne soit pas faisable.

C’est pourquoi nous avons décidé que les laboratoires devront mettre en place des plages horaires dédiées aux personnes prioritaires, comme l’a annoncé le Premier ministre ce vendredi.

Comment allez-vous procéder pour vous assurer que les laboratoires jouent le jeu  ?

Il y a plusieurs manières de s’assurer que les laboratoires assurent cette priorisation et je suis en contact permanent avec leurs représentants pour m’en assurer. Je ne veux pas arriver au stade où l’on serait obligé de revenir à un système de prescription médicale car cela freinerait l’accès aux tests. Je ne le souhaite pas  !

Notre stratégie est la bonne, la difficulté, c’est d’assurer une priorisation efficace. Il faut continuer à tester les personnes qui veulent savoir si elles sont porteuses même si elles ne sont pas symptomatiques ou cas contact, mais en aucun cas une personne symptomatique ne doit attendre 3 ou 5 jours pour se faire tester.

Est-il aujourd’hui pertinent d’augmenter notre capacité de tests  ?

Il y a deux logiques dans la lutte contre l’épidémie, l’une de diagnostic et l’autre de dépistage. La stratégie de diagnostic est individuelle, précise, sensible, spécifique, elle permet de répondre « oui/non vous êtes ou pas malade ».

La logique de dépistage consiste, quant à elle, à faire des tests en population. Là, on peut se permettre d’être un peu moins sensible parce qu’il s’agit d’un screening visant à identifier sur une quantité de personnes donnée celles qui sont positives. On les confirme ensuite par un test PCR.

Notre stratégie est la bonne, la difficulté, c’est d’assurer une priorisation efficace

Cette stratégie de dépistage collectif de masse pourrait être rendue possible par l’arrivée de nouvelles générations de tests.

S’agissant de la rentrée scolaire et de la prise en charge des enfants, chefs d’établissement, parents et médecins sont désemparés. La Société française de pédiatrie a déjà appelé à ne pas tester systématiquement. Allez-vous clarifier les recommandations  ?

On a saisi la Société française de pédiatrie, qui nous a remis des recommandations cette semaine. Il y aura des modifications et cela sera décidé en étroite articulation avec Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale.

Cet hiver, plusieurs virus vont circuler. Faut-il être plus volontariste sur la vaccination antigrippale et la rendre obligatoire pour les soignants  ?

Il faut une loi pour obliger la vaccination des soignants, ce qui n’est pas possible dans les délais impartis. Cela n’est pas faisable. En revanche, on va sensibiliser très fortement les Français vulnérables, un public cible de 17 millions de personnes de par leur âge, leur état de santé ou leur profession. Il faut impérativement améliorer la couverture vaccinale contre la grippe, on va communiquer massivement en ce sens. Les taux de vaccination antigrippale en France sont trop faibles, même en EHPAD.

On veut s’assurer de proposer davantage de doses de vaccins aux Français que ce qu’ils ont l’habitude d’utiliser habituellement. Pour l’instant, l’accent est mis sur la population cible, l’enjeu n’est pas pour l’heure d’élargir à l’ensemble des Français.

Comment expliquez-vous le flop de STOP-Covid  ?

Une appli qui a été téléchargée par deux millions de personnes ce n’est pas rien  ! Mais oui, l’appli STOP-Covid est très en deçà des objectifs, car elle a aussi souffert de polémiques stériles. Les critiques entendues et largement relayées selon lesquelles STOP-Covid porterait atteinte aux libertés individuelles n’ont pas de sens et ne se fondent sur rien. En revanche, cette application constitue un outil utile pour lutter contre la propagation du virus particulièrement chez les jeunes et nous continuerons de la promouvoir.

Propos recueillis par le Dr Irène Drogou, Cyrille Dupuis et Martin Dumas Primbault