Branche maladie de la sécurité sociale

Les Echos - Arrêts maladie : le gouvernement veut faire payer les entreprises

Août 2018, par Info santé sécu social

ALAIN RUELLOLEÏLA DE COMARMONDSOLVEIG GODELUCK Le 01/08

Le gouvernement envisage de basculer quatre jours d’indemnisation de la Sécurité sociale vers les employeurs pour les arrêts de moins de huit jours. Les patrons du Medef, de la CPME et de l’U2P ont écrit à Edouard Philippe pour protester contre cette charge supplémentaire de 900 millions. Les syndicats contestent aussi le projet.

Alerte rouge chez les patrons ! Le Medef, la CPME et l’U2P sont vent debout contre un projet du gouvernement qui risque d’alourdir les charges des entreprises de près d’un milliard d’euros selon nos informations. L’inquiétude est telle que les numéros un des trois organisations - Geoffroy Roux de Bézieux, François Asselin et Alain Griset respectivement - se sont fendus d’un courrier au Premier ministre, Edouard Philippe, auquel « Les Echos » ont eu accès.

Pour mettre un frein aux dépenses de la Sécurité sociale, l’idée consiste à agir sur les indemnités journalières maladie qui ne cessent d’augmenter avec le recul du départ à la retraite . Actuellement, au-delà de 3 jours de délai de carence, un salarié est pris en charge par la Sécurité sociale à hauteur de 50 % de son salaire. Un complément peut intervenir si la convention collective le prévoit.

Les entreprises à la place de la Sécurité sociale
Demain, selon ce qui se dessine, les employeurs devraient payer à place de la Sécurité sociale les indemnités maladie pour une certaine durée, au-delà du délai de carence, mais pas forcément sur 100 % du salaire.

Jusqu’à la semaine dernière, le scénario portait sur 30 jours en plus des 3 jours de carence, scénario sur lequel le gouvernement a demandé à l’Inspection générale des affaires sociales de plancher. Le rapport, non rendu public, fait un certain nombre de recommandations pour accompagner cette bascule de la Sécurité sociale sur les entreprises que l’Igas évalue entre 3 et 4 milliards.

Concertation en septembre
« Trois milliards ou 30 jours ce n’est pas sérieux », répond-on au sein de l’exécutif en renvoyant le sujet à la concertation prévue à la rentrée avec les partenaires sociaux sur la santé au travail. « Matignon promet une concertation pour septembre, mais comme les arbitrages pour le projet de loi de finances de la sécurité sociale auront lieu avant, il y a fort à parier que cela ne soit qu’une concertation de façade », s’inquiète Jean-Michel Pottier, le numéro 2 de la CPME.

Face à la levée de boucliers du camp patronal, le scénario a été amendé. L’économie a été ramenée à 2 milliards, puis à 900 millions, selon le schéma suivant : la prise en charge des employeurs serait de 4 jours au-delà des 3 jours de délai de carence pour les arrêts de moins de 8 jours. L’annonce devrait être faite aux partenaires sociaux par Edouard Phililppe et la ministre de la Santé Agnès Buzyn en septembre dans foulée de la présentation du rapport de Charlotte Lecocq, la députée LREM du Nord sur la santé au travail.

Recherche d’économies
Contacté, Matignon ne confirme ni ne dément le projet. Mais ses commentaires indiquent implicitement que la motivation principale de la mesure tient à la recherche d’économies. Le système d’arrêt de travail, commente un porte-parole, « souffre de beaucoup de lacunes ». Entre les interventions de l’Assurance maladie, de l’employeur, des couvertures complémentaires, il est devenu « illisible et déresponsabilisant » ce qui « encourage l’arrêt de travail de complaisance, l’absence répétée du vendredi ou le congé maladie ».

Conséquences, la facture s’envole de 400 millions de plus chaque année (et dépasse les 10 milliards) « sans que les Français aient le sentiment d’être mieux remboursés ». Les marges de manoeuvre pour financer les soins des Français en ville et à l’hôpital s’en trouvent limitées d’autant.

Plan de transformation de la santé
Avec cette bascule de charges de la Sécu sur l’entreprise, le gouvernement veut pouvoir dégager des marges de manoeuvre dont il a besoin pour financer le grand plan de transformation de la santé, toujours selon nos informations. Promis pour la rentrée, ce plan doit inclure un volet hôpital conséquent. Et donc coûteux, au moment où le ralentissement de la croissance accroît la pression sur Bercy pour freiner la dépense dans le budget 2019 .

« Le gouvernement a sonné le tocsin pour trouver des économies partout. Même le FMI s’alarme », analyse Jean-François Foucard, secrétaire national à la CFE-CGC. Chez FO on juge « inadmissible » un tel désengagement de l’Assurance-maladie sur l’employeur. Le syndicat y voit une traduction du document de programmation pluri-annuel des finances publiques qui exige de la Sécurité sociale 30 milliards d’économies d’ici à 2022. La CFDT, par la voix de Marylise Léon, une de ses secrétaires nationales, dénonce une mesure qui va stigmatiser les salariés les plus fragiles et qui risque d’être contre-productive en matière de prévention.


LE COURRIER DU PATRONAT À EDOUARD PHILIPPE
Dans leur courrier adressé à Edouard Philippe, les numéros uns du Medef, de la CPME et de l’U2P demandent ni plus ni moins au Premier ministre de « sursoir » à son projet de bascule sur les entreprises d’une partie des indemnités journalières maladie versées par la Sécurité sociale. Geoffroy Roux-de-Bézieux, François Asselin et Alain Griset avancent trois raisons pour motiver leur « ferme opposition » au projet prévue dans le PLFSS 2019, « sans même avoir connaissance du quantum susceptible d’être transféré ».

Sur le plan des principes d’abord, il s’agirait d’une mesure « de désocialisation (...) sans précédent ». Elle constituerait une « charge nette nouvelle que nous ne pouvons accepter », ajoutent-ils en mettant en avant son poids sur la compétitivité des entreprises « à l’inverse de la politique de baisse des prélèvements obligatoires affirmée par le Gouvernement ». Dernier argument, ce transfert ne règle pas la question des pratiques de prescriptions médicales.

Tout en comprenant le besoin de maîtriser les dépenses d’arrêt maladies, les signataires soulignent que cette mesure « a un impact systémique qui mérite d’être discuté avec les partenaires sociaux avant toute prise de décision. »

Alain Ruello, Leila de Comarmond et Solveig Godeluck