Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération (CheckNews) - Qui est vraiment à l’origine du mouvement #JeNeMeConfineraiPas ?

Janvier 2021, par Info santé sécu social

A l’initiative du hashtag viral contre un potentiel reconfinement, on retrouve deux membres du site covido-sceptique « Bas les masques ». Mais aussi Didier Maïsto, ex-dirigeant de Sud Radio, et « voix des gilets jaunes ».

Alors que la perspective d’un troisième confinement se profile, plusieurs médias ont consacré ces derniers jours un article au mot d’ordre #JeNeMeConfineraiPas, qui prospère sur les réseaux sociaux. Et tous en attribuent la paternité à un médecin généraliste de l’Essonne, Fabien Quedeville. Ce qui n’est pas totalement exact.

En réalité, le premier internaute à avoir tweeté le hashtag #JeNeMeConfineraiPas est un dénommé Xavier Legay, relayant un tweet de Didier Maïsto, ex-dirigeant de Sud Radio et grand défenseur du mouvement des gilets jaunes. Le 10 janvier, évoquant l’hypothèse d’un troisième confinement à venir, Maïsto (qui a désormais une émission sur RT) annonce sur Twitter : « Que ça plaise ou non, je ne me confinerai plus. Voilà. Les chiens de garde peuvent bien aboyer, ma caravane passera. »

Ex-chef de cabinet adjoint à la mairie Les Républicains d’Asnières-sur-Seine jusqu’à 2019, Xavier Legay est l’auteur d’un livre, publié en juillet, présenté comme une « chronique de renoncement à la peur » inspirée de l’expérience du premier confinement. Il est surtout désormais « responsable éditorial du média d’information en ligne "Bas les masques" », un petit média alternatif né en novembre, surfant sur la vague du covido-scepticisme et dénonçant les privations de liberté liées à la pandémie. Média dont Fabien Quedeville est un contributeur important dès l’origine.

Comme CheckNews l’avait raconté, « Bas les masques » est la dernière création de Stéphane Simon, qui en est le « directeur de publication ». Ce dernier a déjà lancé de nombreux médias : on lui doit Polony TV (devenue Marianne TV), la France Libre TV (avec André Bercoff et Gilles-William Goldnadel) qui se voulait un média de « réinformation » avant de disparaître et renaître (toujours avec Stéphane Simon) sous le nom de Goldnadel TV (« la web TV qui combat l’islamogauchisme »), ou encore RéacnRoll (avec le magazine Causeur). Stéphane Simon a également lancé le média Front Populaire avec Michel Onfray. Il a aussi donné dans l’antispécisme (Komodo TV, avec Aymeric Caron) ou dans le vin (Tellement soif). Le serial entrepreneur a vu avec le Covid un espace à investir, et un public à gagner.

« Je me mettrai hors la loi »

Le petit site s’est bâti autour des figures bien connues des « rassuristes », des scientifiques qui ont nié la menace d’une deuxième vague à l’automne. Dès les débuts du média, on trouvait ainsi dans la rubrique des « auteurs » (désormais rebaptisés « contributeurs ») du site Jean-François Toussaint, Laurent Toubiana et Laurent Mucchielli. A leur côté, Xavier Legay, mais aussi Fabien Quedeville, médecin dans l’Essonne, ex-président (jusque 2009) du Syndicat national des jeunes médecins généralistes, et membre du réseau de veille sanitaire Sentinelles. Dès l’origine de site, ce dernier apparaît dans la rubrique question-réponse du site. A l’instar de Toussaint ou Mucchielli, il répond à des questions d’internautes (« quelle source donne des chiffres fiables sur la situation ? », ou encore, fin décembre, « la gestion française de la crise est-elle si catastrophique ? »)

Avant de rejoindre « Bas les masques », Fabien Quedeville avait été signataire d’un très long « Message d’alerte international de professionnels de santé aux gouvernements et aux citoyens du monde » publié en septembre dernier sur « FranceSoir » qui expliquait (notamment) que le Covid n’était pas contagieux, ou ne saturait pas les hôpitaux. Début octobre, on le retrouvait interviewé dans la Voix du Nord, où il minorait la reprise épidémique (« Si on prend les chiffres, factuellement, il n’y a pas de phase épidémique »). Avant cela, on avait pu aussi lire son témoignage à deux reprises dans le Monde, en mars puis juillet 2020, où il dénonçait les dommages collatéraux de l’épidémie du Covid en termes de prise en charge des pathologies habituelles (consultations reportées, hospitalisations déprogrammées, interventions annulées, etc.)

Le 12 janvier, peu après son camarade de « Bas les masques » Xavier Legay, Fabien Quedeville relaye à son tour le fameux hashtag #JeNeMeConfineraiPas. A noter que lui aussi réagit alors à une intervention de Didier Maïsto, qui répète chez Morandini (sur CNews) qu’il ne respectera pas un éventuel nouveau confinement et se mettra hors la loi. « Pareil », commente Fabien Quedeville.

Si l’équipe de « Bas les masques » -Xavier Legay le premier-, a bien lancé le hashtag, le mot d’ordre émane donc bien, à l’origine, de Didier Maïsto (que certains twittos félicitent d’ailleurs de sa prise de position dès le 13 janvier). Après son passage sur CNews, Didier Maïsto est d’ailleurs invité sur C8 pour réitérer sa promesse de désobéissance.

Dans la foulée, Xavier Legay invite à son tour l’ex-dirigeant de Sud Radio pour une interview, le 14 janvier sur Bas les masques. Et à la fin d’une vidéo d’une vingtaine de minutes, Maïsto répète : « Moi-même j’ai dit que s’il y avait un troisième confinement, je ne le respecterai pas. Je précise que je n’ai pas de carte de presse. les journalistes peuvent circuler mais il faut avoir une carte de presse. Je me mettrai hors la loi, non pas par défi, non pas pour faire le buzz. Mais juste parce que j’ai envie de retrouver une vie normale. Tout le monde a envie de retrouver une vie normale. On va pas accepter comme ça de se priver de vie sociale, culturelle, économique. »

Percée du mot d’ordre
Interrogé par CheckNews, Didier Maïsto se moque de n’être pas crédité de la paternité de l’appel : « Oui, il me semble avoir été le premier à briser le tabou. Mais ce n’est pas important, ce qui compte c’est que cette idée fasse son chemin. Je ne demande aucun droit d’auteur ! »

Dans les jours qui suivent, le hashtag fait son chemin sur Twitter. Le 14 janvier, un tweet de « Droit & Liberté » – le compte se présente comme un « réseau de juristes engagés qui défend activement les libertés publiques dans la cité par des conférences, débats, actions judiciaires et sorties médiatiques » – évoque le succès du hashtag #JeNeMeConfineraiPas, et connaît une certaine audience.

Le 22 janvier, le hashtag grossit encore avec ce tweet d’un internaute appelant à la « désobéissance civile », en réaction à une intervention de Jean-Frédéric Poisson sur « FranceSoir ».

C’est ce même jour que Fabien Quedeville -quitte à tordre un peu les faits- est présenté sur le site Bas les masques comme l’homme « à l’origine de la tendance qui enflamme Twitter ». Dans un court texte, présenté comme recueilli en « en exclusivité pour Bas les masques », le médecin explique : « j’ai décidé de lancer cette initiative car j’estime disproportionnée la menace d’un nouveau confinement. Ces mesures n’ont jamais montré d’intérêt sur l’évolution de l’épidémie. Les conséquences du confinement sont dramatiques à la fois sur les plans psychiques, économiques et sociaux. On peut espérer que les pouvoirs publics et la population prennent conscience des conséquences d’une telle mesure. Il ne s’agit pas ici d’un quelconque appel à la désobéissance, mais d’un appel à la réflexion. »

Le 22 janvier au soir, Xavier Legay salue la percée du mot d’ordre, qui a été placé en TT (en trending topics, soit les sujets les plus tendance du moment sur le réseau social).

Le 23 janvier, les comptes de l’actrice Véronique Genest, du chroniqueur Alexis Poulin, ou encore de Florian Philippot (qui a décidé de tenter de se remettre en selle en enfourchant le covido-scepticisme, et la résistance aux mesures liberticides des autorités) font la retape de l’appel à refuser le confinement.

Hésitations du pouvoir autour du reconfinement
Le 25, « Bas les masques » publie une tribune signée par Fabien Quedeville, sorte de manifeste du mouvement : « #JeNeMeConfineraiPas : pourquoi nous devons refuser un troisième confinement ». Le médecin, contacté par CheckNews, confirme en être l’auteur, même s’il y a eu un « travail de relecture et des allers-retours avec d’autres signataires », explique-t-il. Parmi les trois premiers signataires, on retrouve les comparses de Quedeville sur le site, à savoir Jean-François Toussaint, Laurent Toubiana et Laurent Mucchielli. Les arguments classiques des rassuristes sont énoncés : l’épidémie ne progresse pas ou peu, le confinement est inutile, son coût économique ou sociétal est considérable.

Au moment de la publication de la tribune, Didier Maïsto (qui a continué de son côté à faire valoir son opposition au confinement) est contacté pour signer le texte. Ce qu’il ne fait pas. « J’ai simplement relayé (sur Twitter) car il est rarissime que je signe des appels, je préfère rester indépendant et "pousser" quand je trouve une initiative intéressante », explique-t-il. Ces derniers jours, Maïsto a de nouveau tweeté avec le hashtag (non sans rappeler qu’il avait lancé le mot d’ordre quinze jours auparavant).

Mais pour les médias qui ont vu s’amplifier le hashtag sur les réseaux sociaux et y ont consacré un article, l’initiateur de l’appel est bien Fabien Quedeville. Interrogé par CheckNews sur la légitimité de ce titre de paternité, il répond : « Je me moque de savoir si ça a été tweeté avant moi ou pas. Moi j’ai écrit une tribune (le 25 janvier) parce que j’ai vu des patients profondément atteints par la situation. Savoir qui est à l’origine n’a pas d’intérêt. Ce qui compte, c’est le fond. »

Mardi, l’équipe du site Bas les masques ne boudait pas son plaisir et allait - un peu vite, peut-être - jusqu’à estimer que le succès du hashtag était la raison des hésitations du pouvoir autour de la décision d’un reconfinement. Dans un article publié sur le site, on lisait ainsi : « Le retentissement du hashtag #JeNeMeConfineraiPas lancé vendredi 22 janvier par le docteur Fabien Quedeville semble avoir déclenché une vague d’incertitude au sommet de l’Etat. Alors qu’un nouveau confinement semblait acté depuis quelques jours, le renoncement d’Emmanuel Macron à prendre la parole après un week-end de contestation ressemble à un désaveu du Conseil scientifique, presser d’enfermer la population une nouvelle fois. Son président, Jean-François Delfraissy, semble désormais en difficulté. »

Cédric Mathiot , Jacques Pezet