Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : les mesures suffiront-elles à maîtriser l’épidémie ?

Mars 2021, par Info santé sécu social

Après la décision de l’exécutif d’instaurer un confinement « light » dans seize départements, plusieurs épidémiologistes doutent qu’il suffise à contenir la circulation élevée du virus.

publié le 19 mars 2021

C’est un pari risqué qu’a fait jeudi soir le gouvernement, en choisissant, à partir de ce week-end, un confinement très soft dans les régions et départements (Hauts-de-France, Ile-de-France, Seine-Maritime, Eure et Alpes-Maritimes) où l’épidémie repart de plus belle depuis près de deux semaines. Evoqué par le Premier ministre, le terme de « confinement » est d’ailleurs refusé par le président de la République, qui préfère parler de « mesures de freinage ».

La situation est pourtant préoccupante. En hausse continue de 22 % depuis onze jours sur l’ensemble de la France (25 500 nouveaux cas quotidiens recensés en moyenne le 12 mars), l’épidémie galope en région francilienne (+28 % sur la même période), et notamment dans le Val-d’Oise (+44,8 %), département le plus touché du pays.

Mais pour éteindre cet incendie qui n’a pas encore atteint son paroxysme (seuls 25 % des Français ont eu le Covid ou ont reçu une première injection de vaccin depuis le début de l’épidémie), le gouvernement refuse de sortir la lance à eau.

« Erreur fondamentale »
Dans les seize départements concernés par les annonces, les habitants gardent la liberté de sortir (une décision de bon sens, tant le virus affectionne les milieux confinés), sans se voir imposer de nouvelles restrictions fortes, en dehors de la fermeture des commerces non essentiels et de l’interdiction de se déplacer au-delà de 10 kilomètres de leur domicile. L’ensemble du pays gagne même une heure sans couvre-feu, celui-ci étant repoussé de 18 heures à 19 heures pour s’adapter au passage à l’heure d’été à la fin du mois.

Ce confinement à l’air libre sera-t-il suffisant pour maîtriser une épidémie dopée par le variant britannique, 60 % plus contagieux que les souches classiques et représentant désormais plus des deux-tiers des contaminations en France ? Les avis sur la question, comme depuis le début de cette crise sanitaire, sont partagés. Parmi les plus critiques, l’épidémiologiste émérite Catherine Hill a du mal à garder son calme : « Le gouvernement n’aurait jamais dû laisser la situation s’aggraver à ce point. Il ne comprend pas cette épidémie, n’a jamais eu de stratégie et continue d’avancer dans le noir en tâtonnant pour chercher l’interrupteur. C’est désolant. » Quant à la régionalisation des mesures, « c’est une erreur fondamentale : le virus circule désormais partout, mettre le couvercle un peu plus ici ou là n’a aucun sens ». Certes, et maintenant ? « Il faut trouver les gens avant qu’ils deviennent contagieux, c’est essentiel. Et pour cela, il faut tester tout le monde, sur une période assez courte, et isoler confortablement les positifs en les indemnisant financièrement. Cela coûtera beaucoup moins cher que de continuer de cette manière. » En pour ce faire, fermer, au moins provisoirement, les écoles.

« Toujours à la traîne »

« A partir du moment où vous adoptez une démarche qui consiste à mettre en place des mesures une fois que l’épidémie est hors de contrôle, vous serez toujours à la traîne, abonde le biologiste et chercheur au CNRS Samuel Alizon. A l’inverse, une approche consistant à relâcher graduellement les contraintes en partant d’une épidémie sous contrôle vous permet d’être plus sereins et de limiter les coûts sanitaires, sociaux et, potentiellement, économiques. » Autre, et principal problème, « le manque de données et de modèles détaillés sur l’épidémie française », et une navigation à vue sur « l’adhésion de la population française, déjà très éprouvée par les mesures mises en place depuis octobre ». Seules certitudes, selon lui : « Les confinements en fin de semaine n’ont pas été suffisants pour contenir l’épidémie dans les départements où ils ont été mis en place. » Pas très rassurant quand « on sait que les Britanniques ont dû recourir à un confinement très strict (avec fermeture des écoles) pour reprendre la main ». Une mesure, in fine, retient son attention : la limitation des déplacements, qu’il juge pertinente dans une « gestion territorialisée de l’épidémie ».

Idem pour l’épidémiologiste et mathématicien au CNRS Jean-Stéphane Dhersin, qui considère l’interdiction des voyages interrégionaux comme « une mesure sanitaire importante », ces derniers participant « fortement à la diffusion du virus ». Le facteur psychologique des annonces du Premier ministre ne doit pas non plus être minimisé, selon lui : « Le simple fait de dire “On est confinés pendant quatre semaines, ce n’est plus juste un couvre-feu”, peut conduire à une prise de conscience très importante. » Un indicateur pourrait d’ailleurs permettre, dans les jours qui viennent, de mesurer cet impact : la réduction de la mobilité des Français. En Suède, rappelle-t-il, « le gouvernement avait fait le choix de ne pas confiner lors de la première vague, et pourtant la chute de mobilité a été comparable à celle qu’a connu la France lors du deuxième confinement. Et ce, sans aucune mesure obligatoire ». Bref, « ces mesures moins “drastiques” seront peut-être mieux appliquées », estime-t-il.

« Plus raisonnables que ce que l’on croit »
Sollicités vendredi matin lors du point presse hebdomadaire qu’ils tiennent depuis le début de la crise, les épidémiologistes de Santé publique France, rattachés au ministère de la Santé, sont également mitigés. « Cette seule mesure – la fermeture des commerces non essentiels – n’est pas suffisante en soi, reconnaît Daniel Lévy-Bruhl. Mais les effets vont toujours au-delà des décisions elles-mêmes. Lorsque par exemple les premiers couvre-feux avaient été imposés dans certains territoires en octobre, ils avaient eu un impact sur des régions qui en étaient exemptées. » Mêmesentiment pour sa collègue Laetitia Huiart, sur le sérieux des Français : « La fermeture des magasins va conduire à une réduction mécanique des contacts dans ces lieux, mais pas seulement. On s’est effectivement aperçu qu’il y avait énormément d’effets qu’on ne pouvait pas anticiper, au-delà des mesures elles-mêmes, et liés au comportement d’une population qui vit avec cette épidémie depuis un an et qui en a compris les enjeux. Les gens sont beaucoup plus raisonnables que ce que l’on croit. »

Le pays est aussi doté d’une arme dont il était dépourvu lors du premier confinement : la vaccination. « Et elle commence à avoir un impact, notamment parmi les tranches d’âge les plus élevées, en réduisant la pression sur le système hospitalier, se réjouit Daniel Lévy-Bruhl. La campagne va donc nous aider, même si ça reste une course contre la montre avec les variants. » L’une dans l’autre, les mesures annoncées jeudi pourraient cependant « ne pas suffire ». Et Lévy-Bruhl de lâcher : « C’est clair, ce n’est pas encore gagné. »