Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid : la France à rude école

Mars 2021, par Info santé sécu social

Du Nord aux Bouches-du-Rhône en passant par la région parisienne, les enseignants s’alarment de voir le nombre de contaminations grimper dans leurs établissements. Certains demandent une fermeture.

par Marie Piquemal, Cécile Bourgneuf et Elsa Maudet
publié le 24 mars 2021 à 20h37

Hélène Froment, professeure d’histoire, vient de terminer ses cours quand elle sent la fièvre monter, d’un coup. Comme elle n’est jamais malade, elle file dans un labo faire un test. Verdict : Covid. C’était vendredi dernier. Le même jour, huit élèves de son collège de Marly (Nord) sont testés positifs. Ensuite, dit-elle, « ça a été l’hécatombe. Le collège est devenu fantôme en quelques jours ». Lundi : 18 collégiens et 3 profs malades, 6 classes fermées. « On a eu les chiffres en recoupant les infos entre profs parce qu’on ne nous communique pas le nombre total de cas », raconte l’enseignante, qui suit le problème de chez elle. En tant que représentante du Snes-FSU (syndicat majoritaire dans le secondaire), elle alerte aussitôt la rectrice d’académie. Deux mails sans réponse, assure-t-elle. Entre-temps, 7 profs supplémentaires, une vingtaine d’élèves malades… Sans parler du nombre de cas contacts que les enseignants n’arrivent même pas à estimer. Mercredi matin, d’un seul élan, l’équipe décide de rester dans la cour, dehors, pour exiger la fermeture du collège : « Ce n’est pas ce qu’on souhaite dans l’idéal mais franchement, la situation est devenue trop dangereuse », raconte Sébastien, prof d’EPS. La rectrice s’incline : collège fermé pour au moins une semaine, à compter de ce jeudi.

Et ailleurs ? Que se passe-t-il dans les établissements scolaires en pleine troisième vague de l’épidémie ? Les cas positifs au Covid et les cas contacts se multiplient, surtout dans les 16 départements reconfinés. Les derniers chiffres du ministère de l’Education nationale datent de vendredi dernier : officiellement 80 établissements (63 écoles, 11 collèges et 6 lycées sur près de 60 000 établissements) et plus de 2 000 classes sont fermés pour cause de contaminations au Covid-19 chez des élèves ou des enseignants. Pas étonnant quand on sait que le taux d’incidence flambe chez les jeunes : sur l’ensemble de la France, il est passé de 75 à 278 (sur 100 000 personnes) chez les 0-19 ans entre le 1er janvier et le 20 mars. Et s’établit à 673 en Ile-de-France. Jusqu’ici, le gouvernement ne cille pas : les écoles doivent rester ouvertes, c’est la priorité. Lors d’un déjeuner avec des journalistes politiques la semaine dernière, le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, répétait comme un mantra : « Je reste assez confiant sur le maintien des écoles ouvertes, même si je ne peux pas anticiper ce qui peut encore se passer. »

« En l’espace de trois jours, l’explosion »
Sur le terrain, la situation est très variable d’un établissement à l’autre. Et difficile à appréhender. « Ça fait une quinzaine de semaines qu’on gère, on commence à être rodés. Ça fait des trous dans la raquette, mais pas des catastrophes complètes », relativise Philippe Vincent, président du Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale (SNPDEN), et proviseur dans un lycée d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Beaucoup tiennent bon, les protocoles sanitaires, désormais huilés, semblant faire barrage… tant que le nombre de cas positifs n’explose pas. « Jusqu’à la semaine dernière, ça allait, mais en l’espace de trois jours, l’explosion », raconte une directrice d’école de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), dépitée : en une semaine, la moitié des élèves s’est retrouvée confinée. Même situation dans une autre école, tout près… Et une décision proche de l’absurde. « Deux enseignants sur les cinq ont le Covid. Le médecin scolaire a demandé aux autres profs de rester confinés vu la circulation du virus. Donc à partir de ce jeudi, il n’y a plus aucun enseignant dans l’école… Sauf que tenez-vous bien : elle reste ouverte, résume Stéphanie Fouilhoux, 39 ans, déléguée du personnel SnuiPP-FSU. J’imagine qu’ils vont dépêcher un ou deux remplaçants, mais je n’en suis même pas sûre. Cela fait des mois qu’il n’y en a plus ! »

Face au manque de remplaçants, certains établissements font appel à d’autres membres du personnel. « En ce moment, on a une enseignante de maternelle positive au Covid. Du coup, c’est l’Atsem [agent territorial spécialisé des écoles maternelles, ndlr] qui gère la classe. Mais jusqu’à quand peut-on fonctionner comme ça ? On se retrouve dans des situations ubuesques pour assurer la surveillance », poursuit Alain, enseignant dans une école à Bailleul (Nord). Les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) sont aussi parfois mobilisés, indique Jérôme Antoine, élu CGT Educ’Action à Créteil (Val-de-Marne) : « L’enseignant leur envoie les cours et demande à l’AESH de faire office de prof. »

« Créer des bulles »
Dans une école de Sarcelles, dans le Val-d’Oise, pas un jour ne passe depuis deux semaines sans qu’une nouvelle famille annonce avoir l’un de ses membres positifs au Covid. « On a déjà fermé une classe. On attend des résultats pour en fermer deux nouvelles. Ici, les parents d’élèves sont plutôt sans emploi, ils gardent assez facilement les gamins, sinon pas le choix, alerte une enseignante : c’est répartition dans les autres classes. » Un classique en temps normal. Mais là, « la consigne, c’est d’éviter les brassages et de créer des bulles », illustre Alain. Xavier, enseignant à Rennes, abonde : « On a des “zones” définies pour limiter les contagions. Dans la mienne, il y a deux classes : si ma collègue est absente, je dois prendre ses élèves donc théoriquement, on est à 46. Mais on ne le fait pas, on est obligés de casser les recommandations du protocole. » Donc beaucoup sont bien obligés de dispatcher les élèves. Résultat : « On arrive parfois à 37-38 enfants par classe dans des écoles d’Ile-de-France et des Hauts-de-France », déplore Ghislaine David, porte-parole du SnuiPP-FSU (premier syndicat du primaire).

Autre problème qui complique les choses : le dépistage des enfants, alors que les campagnes dans les écoles tardent à arriver. « La règle, c’est de fermer à partir d’un cas positif en maternelle et trois cas en élémentaire et dans le secondaire, rappelle une enseignante. Mais à condition que les enfants se fassent tester… » Une directrice raconte la galère sans nom, avec les pharmacies refusant de faire des tests antigéniques chez les tout-petits et les labos qui ne font pas de PCR quand l’enfant pleure…

Fossé entre les élèves

Face au décalage entre les recommandations officielles et la réalité de terrain, les équipes se sentent abandonnées. « Il y a un côté show must go on, juge un enseignant du lycée Feyder d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), devenu un cluster. On a vraiment l’impression que la situation a beau devenir inquiétante, l’établissement doit rester ouvert coûte que coûte. La semaine dernière, on a ouvert le lycée avec un seul CPE ; mais sans aucun assistant d’éducation [surveillant, ndlr]. Sur les 12, 6 sont malades et les autres sont cas contacts. En termes de sécurité, c’était très limite… » Une campagne de tests salivaires est organisée dans le lycée ce jeudi. Tout en racontant cela, le prof se dit perdu et tiraillé : faut-il fermer les lycées vu la flambée de l’épidémie ? Laisser ouvert malgré tout pour ne pas aggraver encore plus les inégalités ? La situation actuelle ne contribue-t-elle pas déjà à creuser le fossé entre les élèves ? « On nous laisse, nous professeurs, porter sur nos épaules la décision de fermer l’établissement, et ça, ce n’est pas normal », s’énerve Benjamin. Lui est prof à Montreuil, dans le même département. Désinfection insuffisante, et cas positifs notamment parmi les membres de la direction… Lundi, plusieurs enseignants ont fait valoir leur droit de retrait. « Je ne suis pas pour la fermeture mais quand les cas flambent, on fait quoi ? On nous envoie au front avec des cure-dents. »