Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Dans les maisons de retraite, comment résoudre la question du consentement à la vaccination ?

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau — 15 décembre 2020 à 11:23

En matière de consentement pour les décisions médicales, les règles sont d’ordinaires claires, mais dès que l’âge arrive, dès que la personne semble perdre un peu de son jugement, tout devient flou.

Thérèse (1) ne veut pas, elle l’a toujours dit, elle déteste les piqûres. Tant pis pour le reste. Elle a 93 ans, vit depuis trois ans dans un Ehpad, se porte plutôt bien, mais elle n’a plus toute sa tête. Dans son dossier médical on parle de troubles cognitifs sévères. Que va-t-il se passer pour elle lorsque en janvier, la campagne de vaccination contre le Covid-19 débutera ?

Parfois, c’est l’inverse. La fille unique d’un autre résident en Ehpad milite contre les vaccins depuis des années. Et elle a prévenu la direction de l’établissement où vit son père qu’elle s’opposerait à toute vaccination, menaçant même de saisir la justice. Le vieux monsieur, lui, est ailleurs. Nullement agressif, il tourne en rond, on ne comprend pas trop ce qu’il dit, mais dans le service, le personnel comme les autres résidents l’apprécient.

Informer est une obligation
Au final, qui décide ? En matière de consentement pour les décisions médicales, les règles sont d’ordinaires claires, mais dès que l’âge arrive, dès que la personne semble perdre un peu de son jugement, tout devient flou. Les différents acteurs s’accommodent alors de bien des écarts. Encore récemment, une étude du service gériatrie de l’hôpital Pompidou estimait que lors d’une entrée dans un Ehpad, un tiers des résidents seulement a donné son accord. Un autre tiers n’a rien dit, et un dernier tiers s’y est opposé. « Le consentement, c’est la chose la moins bien partagée dans ces lieux-là », explique le sociologue Philippe Bataille. On l’a vu lors de la première vague, lorsqu’il a été décidé d’enfermer les résidents sans demander leur avis, alors même que la contamination allait venir plutôt majoritairement du personnel soignant.

Avec la campagne vaccinale contre le Covid-19, qui concernera en premier les résidents des maisons de retraite, que va-t-il se passer ? Les vieux vont-ils devoir obéir, sans rien dire, dans un sens comme dans un autre ? Le cadre déontologique existe pourtant. Comme l’a rappelé récemment la Haute Autorité de santé (HAS), quel que soit leur état cognitif, les personnes âgées doivent être informées. « La personne présentant un trouble neurocognitif a le droit à une information adaptée à ses facultés de discernement et à participer aux décisions qui la concernent », explique la HAS, précisant : « Informer est une obligation légale. L’absence de compréhension n’empêche pas de dire. »

Tel est le principe essentiel. La HAS évoque l’importance de la désignation d’une personne de confiance ou la rédaction de directives anticipées. Enfin, on l’oublie parfois, mais le refus de soins est un droit fondamental du patient, qu’il soit vieux ou pas. « La personne malade est la seule apte à décider de ce qu’elle accepte comme traitement », insiste la HAS. Certes, « le médecin doit tout faire pour la convaincre d’accepter les thérapeutiques qu’il juge indispensables. S’il existe un risque vital, il peut, de préférence après une réunion collégiale en urgence, donner les soins jugés indispensables, même en cas de refus du patient ou du tuteur ». Pour autant, « la mise sous tutelle ne dispense pas le médecin de rechercher systématiquement le consentement de la personne… Si elle n’est plus apte, on recherchera néanmoins son assentiment. »

« Il va falloir clarifier qui doit donner le consentement »
Voilà pour le cadre. Dans les faits, les choses sont fragiles, flottantes. Parfois, le vieux résident est mis de côté, « pour son bien » va-t-on dire, et sa parole peu sollicitée. Ces hésitations sur la marche à suivre, on les ressent dans les déclarations récentes des responsables des maisons de retraite privées autour de la vaccination. « Le gouvernement doit clarifier, d’un point de vue juridique, qui sera habilité à autoriser la vaccination contre le Covid-19 d’une personne âgée atteinte de troubles cognitifs », a ainsi demandé Florence Arnaiz-Maumé, la déléguée générale du Synerpa, le premier syndicat national des maisons de retraite privées.

Selon les établissements, entre 40% et 60% des résidents ne seraient pas en mesure de prendre eux-mêmes les décisions importantes les concernant, à cause de la maladie d’Alzheimer ou d’autres troubles apparentés. « La vaccination ne sera pas obligatoire, et de ce fait, il sera essentiel de s’assurer du consentement libre et éclairé des personnes âgées qui se feront vacciner », insiste encore cette responsable. « Il va falloir clarifier qui doit donner le consentement, car il n’est pas envisageable que, si une personne âgée a deux ou cinq enfants, on demande l’avis de tous. Nous avons besoin d’un référent unique. » Et de demander que « le consentement soit acté, écrit, intégré dans le dossier médical, qu’il n’y ait pas de risque de contestation ».

Tout cela est bien réglementaire et peut donner le sentiment que certains veulent d’abord se protéger de risques judiciaires bien hypothétiques. Pour le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité national d’éthique, cela va se passer sans trop de problèmes. « Si la personne n’est pas en état, il suffit de demander à un proche, mais il est clair que si la personne âgée ne veut pas, on ne va pas l’attacher pour la vacciner. » Didier Sicard ne le dit pas ouvertement, mais dans les maisons de retraite, la question va plutôt être la vaccination effective du personnel. Faut-il rappeler qu’à peine plus de 30% du personnel des Ehpad est vacciné contre la grippe saisonnière ? Et si les vieux, même atteints de troubles cognitifs, se révélaient finalement beaucoup plus raisonnables que les générations suivantes ?

(1) Le prénom a été modifié.