Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Eh oui... On ne négocie pas avec un virus

Octobre 2020, par Info santé sécu social

Par Christian Lehmann, médecin et écrivain — 27 octobre 2020

Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour « Libération », il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus.

A chaque alerte cyclonique, les habitants de Louisiane vérifient toutes leurs fenêtres, ferment leurs volets, clouent des planches à l’extérieur, rentrent leur voiture au garage, arriment toutes leurs possessions fermement, renforcent leur porte, et se calfeutrent chez eux. Parfois c’est une fausse alerte, et après quelques heures ou jours d’inquiétude chacun ressort, décloue les planches, rouvre les volets, et pousse un soupir de soulagement.

La France a un incroyable talent : celui d’empiler des protocoles d’une complexité démente afin de mettre en place une réponse « graduée ». Et à persister dans cette voie alors que, depuis le début de cette pandémie, le coronavirus profite systématiquement de la moindre faille pour nous déborder. Edouard Philippe parle de « doctrine », Jean-Michel Blanquer garde en réserve précieusement un plan de continuité pédagogique qui prend la poussière tandis que ses personnels achètent leurs propres masques, Jean Castex explique que son plan de déconfinement était parfait. Et les chaînes d’info qui ont laissé plateau ouvert à des charlatans narcissiques s’interrogent gravement : comment se fait-il que les Français n’aient pas vu venir la seconde vague ?

Désinformation érigée en système

Avec le collectif Du côté de la science, né de manière informelle entre soignants sur les réseaux sociaux, nous avons passé des heures, littéralement, depuis des mois, à tenter d’alerter, à militer pour que soient prises des décisions cohérentes, à publier des tribunes, pour éviter d’avoir à affronter une seconde vague. Parmi nous, certains écrivent des textes, d’autres relisent la littérature internationale, comparent les modes de gestion de l’épidémie dans différents pays. Ce dont nous parlons depuis plus de six mois, la nécessité du port de masques en lieu clos, l’aérosolisation, l’existence d’une possibilité de contamination des enfants et la nécessité de proposer le port du masque dès 6 ans, la nécessité de poursuivre et d’amplifier au maximum le télétravail, de poursuivre l’isolement et la protection des vulnérables, a été systématiquement combattu et ridiculisé par des experts de plateau qui venaient vendre leur soupe, profiter d’un quart d’heure de célébrité express que d’autres aujourd’hui paient au prix fort.

Mais au-delà de cette désinformation érigée en système, je reste stupéfait de la manière dont cette crise a été gérée. Hormis la mise en place rapide d’un filet de Sécurité sociale, ce qui n’est pas rien, et distingue notre pays de beaucoup d’autres, je ne vois rien à louer, et beaucoup de décisions qui d’emblée me sont apparues, à moi comme à beaucoup de mes collègues, comme totalement incohérentes. Car il faut arrêter, enfin, avec ces excuses en mode « Oui, mais à l’époque personne ne savait », « La doctrine a changé », « Les scientifiques n’étaient pas d’accord », « Tout le monde s’est trompé ». En février, nous demandions où était le stock pandémique de masques. En mars, nous conseillions à la population d’en coudre et d’en porter. En avril, nous parlions d’aérosolisation. En juin, nous alertions sur le risque de « Covid balnéaire » et de diffusion territoriale du virus. En juillet, nous pétitionnions pour le port du masque en lieu clos. En août, nous proposions le port du masque à partir de 6 ans et le maintien du télétravail. En septembre, nous déplorions le renvoi des vulnérables au travail sans protection. Pas parce que nous sommes des génies, mais parce que certains d’entre nous sont épidémiologistes, d’autres urgentistes, d’autres généralistes, que nous sommes confrontés à cette pandémie au quotidien, et que nous n’avons rien à vendre.

Le couvre-feu ne sert à rien
Je reste stupéfait de la gestion de cette pandémie, et « en même temps », je ne peux pas tout à fait en vouloir à ceux qui nous gouvernent, brutalement jetés dans la tourmente, face à un virus qui a instantanément rendu obsolète leur vision du réel. Eh oui… On ne négocie pas avec un virus, on ne berne pas un virus, on ne triangule pas un virus, on ne temporise pas face à un virus, on ne calcule pas en fonction d’une stratégie électorale avec un virus. On fait face, ou on est submergé. Des années à se positionner en tant qu’élite éclairée, en tant que premiers de cordée… et au final être incapables d’intégrer une notion simple : face au Sars-Cov-2, tout retard de décision entraîne une aggravation inéluctable de la situation dans les quinze jours. Toute tentative de graduer la réponse alors que l’épidémie repart entraîne la nécessité d’une réponse plus dure, plus difficile pour la population, à l’échelle de quinze jours.

Le couvre-feu ne sert à rien. Ne pas confiner maintenant, rouvrir les écoles en s’arc-boutant sur un protocole obsolète basé sur le mantra que les enfants ne participent pas de la diffusion de la pandémie, sans masque à partir de 6 ans, sans protocole d’aération et de distanciation, prôner le télétravail du bout des lèvres, maintenir le travail pour soutenir l’économie, n’a pas de sens. « Je ne dirais pas que c’est un échec, ça n’a pas marché », n’est plus une option.

On a bien fait de vendre la Louisiane aux Américains en 1803. En plein cyclone alors que les vaches s’envolent, Jean Castex passerait au 20 heures pour recommander de bien fermer les rideaux.

Christian Lehmann médecin et écrivain