Politique santé sécu social de l’exécutif

Libération - Face au virus, Macron sacralise le travail et sacrifie la nuit

Octobre 2020, par Info santé sécu social

Par Jonathan Bouchet-Petersen — 15 octobre 2020

En décidant de faire primer la vie économique sur la vie sociale, le chef de l’Etat prend le risque de l’incompréhension en raison d’inévitables contradictions.

C’est beau une ville la nuit. A partir de samedi et très probablement pour les six semaines qui viennent, il faudra une raison moins esthétique pour arpenter entre 21 heures et 6 heures du matin, à pied, à vélo ou en voiture, les rues de l’Ile-de-France et de huit autres métropoles particulièrement exposées à la très vive recrudescence de l’épidémie de Covid-19. A l’extérieur de son domicile dans cette tranche horaire, la seule activité autorisée sera professionnelle, sur présentation d’un justificatif.

Macron remet le couvercle

Un confinement de nuit géographiquement localisé que le chef de l’Etat a qualifié de « couvre-feu ». Pour près de vingt millions d’habitants, une vie amputée à défaut d’être à l’arrêt. Sans juger de la pertinence sanitaire d’un tel choix politique, quand celui-ci est formulé par un président de 42 ans qui parle de « party », au sens de surprise-party, pour évoquer les soirées où se rendent les « jeunes » en 2020, il y aurait de quoi sourire si le contexte n’était si dramatique.

La faute à qui ?

Alors que l’appel à la « responsabilité » de chacun et de tous lancé mi-septembre par son Premier ministre n’a pas suscité l’effet escompté sur les courbes de contaminations, le chef de l’Etat a en quelque sorte sifflé la fin de la récré entamée avec le déconfinement. La faute à qui ? Un Etat défaillant qui a tardé à prendre la mesure de la deuxième vague ? Ou des Français irresponsables qui se sont voilé la face à défaut de se masquer suffisamment le visage ? Faut-il vraiment trancher de façon binaire ?

On peut toutefois se demander, lorsque Macron explique qu’avec des chiffres moins alarmants l’Allemagne prend des mesures équivalentes, si la France n’aurait pas dû réagir plus tôt. Mais on peut aussi reconnaître que durant l’été et depuis la rentrée, chacun d’entre nous a été l’auteur ou le témoin d’un indéniable relâchement généralisé, dans la sphère privée comme dans certains lieux publics.

Seule certitude, couvre-feu ou pas, il faut intégrer l’idée que nous allons vivre avec le virus jusqu’à l’été 2021, a prévenu Macron. On l’a compris, seule une campagne de vaccination, si tant est qu’elle soit mondiale (ce qui ne sera pas un petit défi), permettrait de tourner la page du virus. Sans d’ailleurs que ce soit forcément définitif. D’ici là, à part les appels à la « responsabilité » ou au « bon sens » de chacun, les gouvernants ont peu de cartes en main face à la flambée du virus. Le brutal confinement, total et national comme au printemps, est une arme à un coup que Macron se refuse de réutiliser tant elle fait de dégâts économiques, sociaux et sociétaux. Restent des mesures certes plus ciblées mais tout aussi basiques, comme celles annoncées mercredi soir par le chef de l’Etat.

L’angle mort du télétravail
Dans les deux cas, l’enjeu se résume à limiter par la contrainte la circulation et les interactions sociales qui favorisent l’explosion des contaminations, pour casser la dynamique des entrées en réanimation et circonscrire le risque d’engorgement. C’est à ce titre que le couvre-feu, malgré ses conséquences sur les secteurs de la culture, de la restauration ou de la nuit déjà très violemment touchés, a été décrété. Dans un contexte où il s’agit plus que jamais d’éviter les déprogrammations d’opérations comme la tempête du printemps en avait nécessité à la pelle. Ce message a du sens.

Mais alors que la priorité à la reprise de l’activité économique s’est imposée depuis la rentrée, avec notamment le plan de relance à 100 milliards (même si nombre de Français l’ont déjà oublié tant il a été mal vendu et parce que l’actualité sanitaire a repris le dessus), Emmanuel Macron s’est notablement montré fort peu allant mercredi soir sur le dossier du télétravail. Si celui-ci était fortement encouragé au printemps lors du confinement, il doit désormais rester l’exception car selon le chef de l’Etat (et le Medef), le travail est d’abord une dynamique collective nourrie d’interactions sociales.

Pour des millions de Français, il faut chaque matin et chaque soir se tasser dans les transports en commun pour s’y rendre et en revenir, et, au boulot, évoluer dans des espaces souvent trop clos et pas assez aérés. L’urgence à inventer le monde d’après semble loin. Et les appels du chef de l’Etat, lors d’une précédente intervention, à reprendre le cours de notre vie paraissent presque naïfs. Avec ce confinement nocturne, la vie se recentre ou se réduit, question d’appréciation, au travail et à la famille. Un peu court, mais c’est parti pour durer.

Jonathan Bouchet-Petersen