Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Le Conseil scientifique en plein doute existentiel

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Rappelée à l’ordre par Emmanuel Macron, l’instance présidée par Jean-François Delfraissy s’interroge sur son rôle et sa capacité d’action.

En cette fin septembre, la situation épidémique en France est lourde d’incertitudes. On cherche des repères. Et voilà que, dans ce contexte, le Conseil scientifique s’interroge sur son rôle et sa fonction. Doit-il continuer ? Ses avis peuvent-ils rester purement consultatifs ? Son existence n’entretient-elle pas l’ambiguïté entre l’expert et le politique ? Certains demandent même sa refondation ou sa suppression, notamment dans une tribune de scientifiques et universitaires publiée le 10 septembre par le Parisien.

Créé le 11 mars 2020 sur décision présidentielle, composé de 13 membres - essentiellement des scientifiques -, le Conseil est donc chargé « d’éclairer la décision publique pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ». Il a rendu une dizaine d’avis, tous très largement acceptés par la société comme par les politiques. Certes, il existait des voix discordantes, mais il était respecté. Son président, Jean-François Delfraissy, imaginait dès le départ une structure intérimaire, avec une disparition à l’été. « Nous ne sommes pas faits pour durer, disait-il à Libération. Il n’est pas bon que l’on s’installe dans ce rôle. » Ce sont les parlementaires qui, lors des débats sur l’état d’urgence sanitaire, ont décidé unilatéralement sa prolongation.

Equilibre.
Le Conseil scientifique continue, donc. En interne, tous le disent, l’ambiance est très positive. Les membres s’entendent bien, discutent tous les jours à midi, et Jean-François Delfraissy parvient sans encombres à faire collaborer les gens. Son passé à la tête de différentes structures étatiques (le comité consultatif national d’éthique, notamment) l’aide à tenir la bonne place face au politique. « Nous, scientifiques, donnons des avis, mais ce sont les politiques qui décident », répétait-il voilà quelques mois.

Sauf qu’en ces temps de grands doutes quant à la dynamique de l’épidémie, le jeu est un rien faussé : le politique ne peut s’opposer frontalement aux avis du Conseil sans provoquer de fortes turbulences. Pour respecter ce jeu d’équilibre, il a d’ailleurs été convenu que les avis du Conseil ne soient pas rendus publics avant que le politique ne le décide. Et voilà que le 9 septembre, lors d’une longue conférence de presse, Jean-François Delfraissy donne le sentiment de faire un pas de plus. Il lâche que « le gouvernement va être obligé de prendre un certain nombre de décisions difficiles dans les huit à dix jours maximum » et qualifie d’« inquiétant » le niveau de l’épidémie. Une position qui semble contraindre le politique dans ses choix. Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron répond, fort peu diplomatiquement, qu’il revient bien aux dirigeants politiques de « prendre des décisions ».

« Domination ».

Jean-François Delfraissy aurait-il fait un pas de trop, lui qui maîtrise parfaitement sa communication ? Très vite, le président du Conseil précise : « Je pense que la décision est aux mains des politiques. » Certes… La tribune d’universitaires et de scientifiques publiée dans le Parisien n’hésite pas à critiquer le Conseil et refuse la gouvernance « par la peur ». Le professeur François Bricaire, ancien chef de service de maladies infectieuses à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, renchérit sur France Info : « Je comprends la réaction du président de la République parce que je crois qu’effectivement, chacun doit rester à sa place, et que les décisions qui doivent être prises doivent l’être par le politique. Le Conseil scientifique doit rester simplement un conseiller pour donner quelques informations et éventuellement quelques orientations. Je pense que les choses doivent évoluer. Au début, il y avait effectivement une domination du Conseil scientifique. Cette domination me paraissait tout à fait excessive. »

Comment décrypter ce qu’il s’est passé ? Les membres du Conseil refusent d’en parler. Ce qui est sûr, c’est qu’en cette fin d’été, ils sont inquiets. Ouvertement, en particulier devant cette fameuse « courbe exponentielle » que prennent les nouvelles contaminations. A leurs yeux, la situation est tangente : si l’on ne parvient pas à casser la courbe, tout est possible, même le pire. Mais pour y parvenir, l’équation est difficile : si les gestes barrières sont plutôt bien suivis en général, dans la sphère amicale et familiale, les gens baissent les bras. Ils se relâchent. Et c’est là que l’épidémie se nourrit. Comment y remédier ? Comment modifier les comportements dans ces sphères privées, sans pour autant manier ni le bâton, ni la peur ? Et dans ce contexte, que peut annoncer le gouvernement ? Durcir les mesures ou faire confiance ? Les annonces faites mercredi soir par Olivier Véran vont plutôt dans la première direction.

L’équilibre est délicat. Le Conseil scientifique, qui apparaissait jusqu’à présent comme un rempart de solidité, semble hésiter. Depuis sa création, le professeur Delfraissy avait plaidé pour la création, à côté dudit Conseil, d’une structure citoyenne qui en serait le pendant. Un reflet de la société avec ses peurs, ses blocages, maiws sa force, aussi. L’Elysée n’en a pas voulu. Aujourd’hui, en ces temps de questionnements, cela manque cruellement.