Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Monsieur le président, face à Didier Raoult, de quoi votre silence est-il le nom ?

Septembre 2021, par Info santé sécu social

par Christian Lehmann, médecin et écrivain
publié le 6 septembre 2021

Cela a duré des mois. Pendant des mois, la députée Martine Wonner a répété devant un public conquis les mêmes insanités. Les masques étaient inutiles voire dangereux. Les médecins avaient hospitalisé en réanimation des patients qui n’en avaient pas besoin. Ils avaient euthanasié les vieux dans les Ehpad. Planquée derrière sa mangeoire en plastique et son immunité parlementaire, la fondatrice du collectif « Laissons les médecins prescrire » a appelé à ce que soient jugés les médecins qui n’avaient pas prescrit d’hydroxychloroquine ou qui vaccinaient. Le 22 mai 2021 lors d’un rassemblement à Marseille, elle scandait : « Toutes ces personnes âgées qui ont été achevées, assassinées, seules, avec le Rivotril. Et ceci est totalement impardonnable, et ceci s’appelle un crime contre l’humanité. » La foule chauffée à blanc hurle « Assassins ». Vêtue de son écharpe tricolore, elle renchérit : « Ils seront jugés, ils seront jugés, l’histoire a toujours su juger ses assassins. » A l’époque, des médecins ont déjà fait l’objet de menaces, des centres vaccinaux ont été tagués, dégradés, des appels au meurtre et à la torture ont été affichés sur les réseaux sociaux. Les pouvoirs publics, le gouvernement, restent muets.

Sourire jaune
Deux mois passent, et dans une nouvelle manifestation contre le pass sanitaire à Paris, le 17 juillet 2021, aux côtés de Florian Philippot, l’élue du Bas-Rhin récidive : « Jamais nous n’accepterons cette dictature, nous devons refuser la ségrégation, nous devons refuser la stigmatisation. Allez faire le siège des parlementaires, allez envahir leurs permanences pour dire que vous n’êtes pas d’accord ! » Dans les heures qui suivent, Christophe Castaner, chef des députés LREM, écrit au président de l’Assemblée Richard Ferrand en vue de « saisir le procureur de la République de Paris, afin de vérifier la véracité des propos tenus ainsi que les éventuelles suites pénales qu’il pourrait y donner. Dans le contexte de recrudescence des menaces et des actes contre les élus, et tout particulièrement les parlementaires, il ne saurait être toléré qu’une représentante de la nation, siégeant à nos côtés, puisse proférer de telles paroles, incitant à la haine et à la rébellion, y compris par des actes violents ». Le lendemain, Wonner est exclue de son groupe parlementaire « Liberté et Territoires » malgré un rétropédalage dont les nouveaux résistants antivax ont le secret : « Une fois de + mes propos sont surinterprétés pour me porter préjudice. Les citoyens ne supportent + les non réponses par mail, tél ou courrier de leurs élus. Les collectifs citoyens vont à ++ personnes solliciter des RDV dans les permanences qui servent à cela. » Et si on peut sourire jaune de son absence de courage, et de cette technique politicienne qui consiste à affirmer qu’on n’a pas dit ce qu’on a dit, qu’on n’a pas entendu ce qu’on a entendu, on peut aussi comprendre l’étonnement de Martine Wonner. Pourquoi s’exposerait-on à des sanctions pour avoir incité à envahir une permanence d’élu, quand on a pu depuis des mois traiter les soignants d’assassins et les promettre à un châtiment digne d’un crime contre l’humanité, sans que personne ne bronche ? Oui, pourquoi ?…

C’est aussi la question qu’a pu se poser Xavier Azalbert, propriétaire de France soir, ancien grand journal transformé en torchon complotiste QAnon, où on a pu voir se succéder des appels à l’insurrection et de longs délires sur le génocide vaccinal. Le 22 août, il met en ligne, sous le titre « Covid-19 (diagnostic, traitements, vaccin) : panorama d’une escroquerie, un texte confus qui constitue rien moins qu’un appel au meurtre de soignants et de scientifiques coupables, au choix, d’avoir caché l’efficacité des traitements précoces, d’avoir caché l’échec de la stratégie vaccinale, d’œuvrer pour asservir la population. Les mots « milice » et « Vichy » sont parsemés tout au long de ce pensum qui cite quand même quelques phares de la pensée surnageant dans ce marasme dont « l’IHU de Marseille, France soir, éternel défenseur de la France… Christian Perronne, … Alexandra Henrion-Caude » et quelques autres. Dans un stupéfiant renversement de situation, il est question de harcèlement envers certains membres de l’IHU… eux-mêmes poursuivis en justice pour des menaces de mort et de torture bien documentées sur les réseaux sociaux. Mais in cauda venenum, c’est à la fin de l’article que le courageux mais anonyme « médecin résistant » livre le fond de sa pensée. Devant tant d’horreurs inhumaines, il dénonce ceux à qui profite le crime : « L’industrie pharmaceutique, les médecins corrompus, les politiques à l’idéologie européiste et mondialiste qui ont, après avoir pendant des décennies lentement sabordé notre pays en détruisant méthodiquement ses valeurs ancestrales (patriotisme, sécurité, éducation, culture, famille traditionnelle, morale universelle chrétienne sécularisée), ont, par haute trahison, achevé la ruine de la France. Puisse-t-elle un jour se relever. » Avant de conclure, légitimement, après avoir cité Saint-Just : « Un procès devra se tenir. La Veuve s’impatiente. Tout a été dit. »

La Veuve, pour ceux qui n’auraient pas saisi l’allusion, c’est la guillotine. Immédiatement certains des médecins visés portent plainte contre le directeur de publication, et Xavier Azalbert, nouveau Jean Moulin de comptoir, modifie la fin du texte d’une manière aussi ridicule qu’abjecte, ôtant dans un premier temps la majuscule à Veuve, et prétendant que « la Covid a comme conséquence de laisser veuves des milliers de femmes dans le monde », allant jusqu’à instrumentaliser la veuve du docteur Loupiac, urgentiste décédé en mars 2020 comme mon confrère et ami Jacques Fribourg.

« Il devrait se calmer parce que les Marseillais ils ont… vous savez »
Deux jours plus tard, le 24 août, en pleine polémique au sujet de cet article, Didier Raoult le signale sur Twitter à ses 842 500 abonnés : « Dans cet article, France soir revient sur un an d’une pandémie marquée par une multiplication de fraudes et de mensonges. » On pourrait penser que Didier Raoult a conscience de l’ironie de ce propos, mais ce serait faire peu de cas de son orgueil. Arrêtons-nous un instant sur ce moment très particulier : un microbiologiste de renom donne son appui à un article complotiste demandant la guillotine pour une dizaine de médecins et de scientifiques qui ne partagent pas ses conclusions. Sans aucune réaction des tutelles, il utilise des méthodes de fasciste pour tenter de faire éliminer ses opposants. Agé de 69 ans, le directeur de l’IHU Méditerranée Infection va atteindre l’âge de la retraite le 31 août en tant que professeur des universités-praticien hospitalier. Le 30 août, invité chez Cyril Hanouna, il lance au sujet du nouveau directeur de l’AP-HM François Crémieux, accessoirement ancien volontaire appelé en Bosnie, qui a pris ses fonctions en juillet dernier et a récemment confirmé la volonté de l’AP-HM de « tourner la page », cette incroyable menace : « En clair, il y a un directeur général qui était le directeur général adjoint de Paris qui est venu ici et qui a pensé qu’il n’avait pas besoin de mes services, ce qu’il a bien le droit de penser… Moi je serais plus inquiet pour le directeur général, si vous venez à Marseille, je serais plus inquiet pour lui que pour moi… vous savez si quelqu’un doit être inquiet, c’est lui. Vous savez, il devrait se calmer parce que les Marseillais ils ont… vous savez, j’ai testé un quart de la population marseillaise… vous savez, ça laisse des traces. »

Le lendemain, dans une vidéo YouTube intitulée « Mortalité & Vaccination : qui faut-il vacciner ? », après une énième mise en cause de la vaccination, Raoult, qui s’écoute visiblement parler, dérive sur « la localisation centrale de l’Assistance publique », installée dans une ancienne prison, où son grand-père et sa grand-mère ont été incarcérés pour des faits de résistance, et récidive : « Il faut faire attention à ce que la mémoire des bâtiments ne se transmette pas trop aux habitants qui sont là-bas et que les certitudes de ceux qui dirigent ne soient pas définitives. » Le texte est aussi pénible à lire que la pensée est confuse, mais pour la deuxième fois en deux jours, Didier Raoult cible François Crémieux et le désigne, de manière sibylline cette fois-ci, comme une personne qui devrait faire attention à lui vis-à-vis de la population marseillaise. On se croirait dans un épisode des Soprano où James Gandolfini aurait décidé de se laisser pousser la barbe pour mieux pouvoir la triturer.

Trois jours plus tard, le 3 septembre, la manifestation antivax marseillaise s’arrête devant ce qu’elle pense être le domicile de François Crémieux, tague sa boîte aux lettres : « François Crémieux, dégage. Anti Francs-Maçons, Marseille aura ta peau ! Crémieux FDP. Collabo. » L’adresse n’est pas la bonne, et un homonyme essuie donc les injures qui fusent, au pied de l’immeuble et sur les réseaux : « Ça chauffe pour le fdp de directeur de l’aphm. » Dans les dossiers de plaintes remis à leurs avocats par les scientifiques harcelés depuis des mois, deux noms ressortent, deux noms de professeurs de médecine cités par ceux que la justice commence à entendre : « Raoult a parlé de tous ces médecins corrompus alors on a voulu l’aider et les faire taire… »

En roue libre
Voilà où nous en sommes. Des scientifiques, des médecins, un directeur d’hôpital. Sur lesquels un torchon complotiste, puis un mandarin narcissique en roue libre attisent des foules instrumentalisées. Et Emmanuel Macron, de passage à Marseille, reprend son sketch favori en mode « en même temps » : « Il faut rendre justice à Didier Raoult qui est un grand scientifique » qui « a parfois eu une parole médiatique qui a conduit à des réactions, surréactions et qui peut-être a pu aussi créer ces phénomènes » de défiance envers le vaccin. Devant une telle lâcheté, comment s’étonner du sentiment d’impunité dont jouissent l’ex-directeur de l’IHU et ses sbires ? Après avoir fait perdre à la communauté scientifique et à la lutte contre la pandémie des mois en promouvant un traitement inefficace sur lequel il était incapable de mener des études scientifiquement valables, après avoir pendant un an eu recours à des facturations d’hospitalisations de jour sans commune mesure avec ce qui s’est pratiqué dans le reste du pays, au détriment des comptes publics, et après avoir à chaque fois qu’il en avait la possibilité semé le doute sur l’utilité d’une vaccination dont il avait d’emblée asséné que personne ne voudrait pour une maladie qui ne tue pas, Didier Raoult, non content de laisser ses acolytes menacer des scientifiques sur les réseaux sociaux, excite la foule contre un fonctionnaire hospitalier.

« Il faut rendre justice à Didier Raoult qui est un grand scientifique » qui a, à chaque étape, accumulé les prévisions bâclées, les affirmations erronées, privilégié son orgueil à la recherche de la vérité scientifique et entraîné dans un mouvement de nature sectaire des centaines de milliers de gens persuadés que les soignants veulent les tuer ? Un « grand scientifique » ? Un jour, Emmanuel Macron, il faudra nous expliquer. Pourquoi les procédures judiciaires stagnent. Pourquoi des mesures ne sont pas prises contre ceux qui menacent des compatriotes. Pourquoi, et à quoi, ce petit jeu de triangulation avec le populisme d’extrême droite vous est-il utile. En un mot, nous expliquer… Face à Didier Raoult, de quoi votre silence est-il le nom ?