Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Retard à l’allumage. Vaccins : l’éloge de la lenteur du gouvernement décrié de toutes parts

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par Laure Bretton et Sacha Nelken — 30 décembre 2020

Moins de 200 personnes vaccinées en quatre jours en France : élus locaux, oppositions et personnalités médicales critiquent les choix stratégiques de l’exécutif.

Qui va lentement va sûrement : l’adage est devenu le principal axe de défense du gouvernement, assailli de critiques sur les lenteurs de la campagne nationale de vaccination contre le Covid-19. Alors que certains pays affichent des dizaines voire des centaines de milliers de personnes piquées en quelques jours - Royaume-Uni et Allemagne en tête -, les chiffres évoqués pour la France ne dépassent pas pour l’instant une poignée de dizaines. Selon le site CovidTracker, qui compile les données sanitaires depuis le début de l’épidémie, le nombre de personnes vaccinées en France s’établissait mercredi à 138, « soit 0.00021% » de la population. « On a un objectif d’un million de personnes vaccinées qui sont des personnes à risque, dans cette première phase, et cet objectif sera tenu », a tenté de rassurer le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, invité sur le plateau de BFMTV. Il a néanmoins admis que le démarrage de la campagne se faisait « très progressivement » en raison de « l’attention extrême » du gouvernement sur « la question du consentement et de l’accompagnement médical ».

.A l’heure où le conseil scientifique dit craindre une « reprise incontrôlée » du virus après les fêtes de fin d’année, l’exécutif est-il en train de perdre la bataille de la communication autour des vaccins, après celle sur les masques et les tests ?

Pour Axel Kahn, généticien et président de la Ligue contre le cancer, le gouvernement fait « une importante erreur stratégique » avec cette campagne plus que graduée, qui commence par les Ehpad jusqu’en février avant le personnel soignant. « Ce n’est pas en avançant à tout petit pas qu’on arrivera à convaincre (les sceptiques), au contraire ! On va les convaincre qu’en effet, si on va si lentement, c’est qu’on n’est pas sûr de soi et qu’il y a un danger », a-t-il tempêté sur Europe 1. Il faut certainement leur apporter la vérité et la transparence, mais également de l’enthousiasme, que diable ! ». Que des politiques montrent l’exemple, comme aux Etats-Unis ou en Angleterre, en se faisant vacciner devant les photographes n’a pas été retenu par le gouvernement dans sa stratégie de communication. Plusieurs ministres ont plus de 70 ans (Jean-Yves Le Drian ou Jacqueline Gourault) et devraient se faire vacciner en premier au titre des personnes à risques, suggère la cheffe des députés socialistes, Valérie Rabault, dans Les Echos.

Après avoir espéré un reconfinement local pour lutter contre la reprise de l’épidémie - une option pour l’instant écartée par le gouvernement - certains élus réclament une accélération de campagne vaccinale. « La vaccination doit s’accélérer pour protéger la population et tracer une perspective de sortie de la crise sanitaire dont les conséquences sociales, économiques et psychologiques sont de plus en plus préoccupantes », a insisté le maire de Montpellier, Mickaël Delafosse, sur Twitter. A partir du moment où le vaccin est autorisé, « on pourrait peut-être accélérer un peu » pour « sauver des vies », a glissé sur RMC Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI. De son côté, Christian Estrosi a donné le coup d’envoi mercredi de la vaccination dans les Alpes-Maritimes, un des départements les plus touchés par la recrudescence de coronavirus, se félicitant justement que le gouvernement ait accéléré les choses sur son territoire.

« Cet écart dans le démarrage, il est assumé »
Envoyé au front pour contre-attaquer, le M. Vaccins du gouvernement, Alain Fischer, justifie les choix sanitaires de l’exécutif tout en redoublant de prudence. « La logistique est d’amener le vaccin auprès des personnes. Le vaccin va aux personnes, on ne transporte pas les personnes vers un endroit où est stocké le vaccin. Ça prend du temps. C’est compliqué », a-t-il reconnu mercredi sur France Info. « Je pense que le plan tel qu’il est construit permettra de vacciner en priorité les personnes qui en avaient le plus besoin », a-t-il insisté, rappelant l’objectif de la campagne de vaccination : 14 millions de personnes immunisées d’ici le mois de mai « et puis encore sans doute une dizaine de millions d’ici l’été ». Vu le niveau de défiance de la population française face aux vaccins, il faut tant « raison garder et organiser les choses convenablement » et que « tout se passe en sécurité en respectant aussi les règles d’éthique ». Pour lui, les critiques sur une supposée lenteur des débuts de la vaccination sont « un peu dérisoires » et relèvent d’une « fausse querelle », a-t-il affirmé sur LCI.

Mardi soir sur France 2, Olivier Véran avait également défendu bec et ongles le plan français. Contrairement aux gymnases réquisitionnés dans d’autres pays d’Europe rebaptisés « vaccinodrômes », « nous avons fait le choix de nous reposer sur les médecins, de le faire [le vaccin] dans les Ehpad et non de faire se déplacer [les résidents d’Ehpad], nous recueillons le consentement auparavant, a expliqué le ministre de la Santé. Je ne confonds pas vitesse et précipitation. Cet écart dans le démarrage, il est assumé. Ce qui compte, c’est que fin janvier nous aurons rattrapé ce décalage et ce qui compte, c’est que nous protégions tout le monde ».

Par ailleurs, le choix du gouvernement de préférer un élargissement du couvre-feu - qui commencera à 18 heures dans les départements les plus touchés à partir de samedi - plutôt qu’un confinement en bonne et due forme ne convainc pas vraiment nombre d’élus du Grand Est. Le maire socialiste de Nancy, Mathieu Klein, dénonce dans un communiqué une mesure tardive qui risque de s’avérer insuffisante : « Si une concertation est toujours utile, l’heure est à la décision. […] Sans effets rapides, chacun doit avoir conscience que la question d’un confinement se posera à nouveau. » Même son de cloche pour la présidente PS du département de Meurthe et Moselle, Valérie Beasert-Leick, qui se dit « dubitative » sur ce choix stratégique. « Est-ce qu’un couvre-feu avancé à 18 heures sera suffisant ? Je l’espère parce que ce serait vraiment dommageable que mi-janvier nous soyons obligés de nous reconfiner dans des conditions qui seront moins positives », s’est-elle interrogée au micro de France Inter.

Laure Bretton , Sacha Nelken