Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Témoignages. Soignants face aux anti-vaccins : « Je ne peux pas m’empêcher d’être parfois en colère »

Novembre 2021, par Info santé sécu social

De nombreux professionnels de santé interrogés par « Libération » témoignent de leur désarroi face à une nouvelle vague de Covid-19, dont sont principalement victimes des personnes non vaccinées.

par Julien Lecot et Anaïs Moran
publié le 18 novembre 2021

« On sent qu’on va de nouveau être sous tension et devoir encore une fois pousser les murs, car le Covid revient », souffle Clarisse Audigier-Valette. Depuis quelques semaines, la responsable de l’unité Covid au centre hospitalier de Toulon voit débarquer dans son établissement de plus en plus de personnes atteintes de cette maladie. Admission après admission, le profil des patients est quasiment toujours le même : « Au moins 90 % de non-vaccinés. »

Alors forcément, face à une cinquième vague qui pointe le bout de son nez et après près de deux ans à être en permanence « sur le pont », la frustration grandit : « C’est triste et dommage car on sait que ça pouvait être évité. Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On n’est pas là pour juger, on soigne, on rassure, on fait avec. On commence à savoir faire. »

Chez tous les soignants interrogés par Libération, le discours est sensiblement le même. Chacun se prépare à faire face à une nouvelle vague de contaminations et d’hospitalisations composée à grande majorité de personnes remettant en cause les bienfaits du vaccin. Quand ils ne s’interrogent pas tout simplement sur la dangerosité réelle du Covid-19. « On ne peut plus discuter, l’argumentation est contrée tout de suite et je n’ai pas envie d’avoir de relation conflictuelle avec mes patients », reconnaît Catherine Delage, médecin généraliste à Bergerac qui a arrêté de « chercher à convaincre » sa patientèle récalcitrante : « C’est assez désolant. On a le sentiment que nos connaissances scientifiques n’ont pas de valeur, qu’il est impossible de les ramener à la raison malgré tout ce que l’on peut dire. »

On ne choisit pas ses patients
Pour autant, tous continuent de soigner, convaincus par leur devoir de prendre en charge celles et ceux qui se présentent face à eux. « Un malade qui arrive avec un cancer du poumon et qui a fumé pendant trente ans, on ne va pas lui sous-entendre que c’est de sa faute. C’est pareil pour le Covid. Notre rôle de médecin, c’est de ne faire ressentir aucune culpabilité aux patients face à nous », compare Stéphane Gaudry, professeur de médecine intensive-réanimation à l’hôpital Avicenne (Bobigny). L’urgentiste au CHU de Toulouse Julie Oudet prend, elle, pour exemple les accidentés de la route : « Si je vais sur un accident et que le patient est bourré ou qu’on me dit qu’il a fait un excès de vitesse, je ne le juge jamais, je le prends en charge normalement. »

Mais même si le devoir prime, les soignants ne cachent pas ressentir de temps à autre, malgré eux, une certaine rancœur. « Je ne peux pas m’empêcher d’être parfois en colère intérieurement, reprend Julie Oudet. Clamer que le Covid n’est pas un problème, qu’on en fait tout un fromage de cette épidémie, c’est comme cracher au visage des soignants et des autres patients qui risquent eux de subir des déprogrammations. Ce genre de discours nous pousse à bout de nos capacités d’empathie. Bien sûr, on les soigne et on leur parle de la même façon. Seulement on le fait sans aucune motivation, avec un truc déshumanisé au fond de nous. » L’urgentiste reconnaît néanmoins que ces « individualistes » sont loin d’être majoritaires.

Clarisse Audigier-Valette explique que la plupart des patients reçus à l’hôpital de Toulon sont passés entre les quatre premières vagues sans attraper le virus, ce qui les a « confortés dans l’idée qu’ils arrivaient à se protéger sans être vaccinés ». Et nombre d’entre eux restent persuadés que même contaminés, le Covid-19 ne leur sera pas dangereux. Avant que leur discours évolue une fois hospitalisés. Les patients les plus sceptiques s’inquiètent alors des conséquences de la maladie sur leur santé, laissant de côté les débats polémiques. « Quand on les voit arriver, ils ont peur, confirme la pneumo-oncologue. Les premières questions qu’ils nous posent c’est : « Est-ce que je vais aller en réanimation ? Est-ce que je vais mourir ? » »

Certains vont jusqu’à changer radicalement de discours : « Beaucoup me disent : « J’ai fait une belle bêtise en refusant de me vacciner. » Quand ils nous voient, ils comprennent qu’on fait notre travail et qu’on leur apporte une information honnête », assure Stéphane Gaudry.

Ce dur retour à la réalité, explique Tania Foucan, médecin au CHU de Guadeloupe et vice-présidente de la commission médicale d’établissement de cet hôpital, peut parfois être particulièrement violent après des mois passés dans le déni : « Ceux que l’hospitalisation a fait changer d’avis ont été en grande difficulté. C’est dur psychologiquement de se rendre compte de ce qu’il se passe vraiment dans les hôpitaux et de l’agressivité du virus, alors que certains leur disaient qu’il ne se passait rien et que les urgences n’étaient pas surchargées. »

Aux Antilles, où la désinformation autour du Covid circule à foison, ce phénomène a tendance à s’accentuer. Malgré une vague singulièrement violente pendant l’été, touchant aussi bien la Guadeloupe que la Martinique, la vaccination reste faible (les deux tiers de la population des deux îles ne sont toujours pas vaccinés) et les sceptiques restent très nombreux. Tania Foucan : « Le climat est particulier ici. On évite certains sujets. On a arrêté de demander aux patients s’ils étaient vaccinés car ça les mettait mal à l’aise. Ils le prenaient comme une accusation, ce qui est problématique si on veut garder une relation de confiance. »

« Victimes de la désinformation »
« Ce qui ressort de leur réticence, c’est avant tout la peur, ainsi qu’un manque de confiance, tant envers la parole publique qu’envers celle des médecins, complète André Cabié, chef du service d’infectiologie et directeur médical de crise du CHU de Martinique. Quand on parle de la vaccination et qu’on ressent un blocage, on arrête tout de suite, on ne va pas plus loin car on sait que c’est un sujet qui peut très vite devenir explosif. Au quotidien, c’est usant et très pénible. »

Des Antilles à la métropole, tous les soignants interrogés s’offusquent de la désinformation propagée par une minorité sur Internet, qui entraîne des conséquences dramatiques. « Les malades non vaccinés dans mon service sont avant tout des victimes de cette désinformation répandue par des criminels sur les réseaux sociaux, peste Stéphane Gaudry, visant notamment Florian Philippot et Nicolas Dupont-Aignan, qui se sont servis du Covid pour exister politiquement. C’est à eux qu’il faut en vouloir, pas aux malades qui ont été abusés. »