Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Vaccin contre le Covid-19 : l’éprouvette de force

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Par Olivier Monod — 13 novembre 2020

Après les annonces de l’américain Pfizer et du russe Gamaleïa, le monde entier s’est pris à rêver d’un vaccin fiable et disponible rapidement. Peut-on s’y fier ? Combien de temps faudra-t-il attendre ? Est-ce le début de la fin de la pandémie ? Petite piqûre de rappel.

Les vaccins contre le Covid-19 n’ont pas fini de faire tourner les têtes. La semaine écoulée a été un feu d’artifice d’actualités sur le front vaccinal. Lundi, la société américaine Pfizer annonçait en fanfare, mais par un simple communiqué de presse, que son produit aurait une efficacité de 90 %. Deux jours plus tard, le centre de recherche russe Gamaleïa renchérissait et communiquait, lui, sur une efficacité de 92 % de son « Spoutnik V ».

Jeudi, plusieurs dirigeants mondiaux réunis au Forum de Paris sur la paix ont plaidé pour un accès équitable de toute la population mondiale aux vaccins et traitements contre le Covid-19. Dans le même temps, le vaccin chinois CoronaVac a suspendu puis repris ses essais en cours au Brésil, le temps d’enquêter sur la mort d’un de ses volontaires (probablement un suicide), tandis que le canadien Medicago annonçait le lancement d’essais de phase 2 et 3 pour son candidat. Une actualité pour le moins chargée, qui ne risque pas de se tarir, alors que la pandémie a déjà fait plus de 1,3 million de victimes dans le monde.

Une course scientifique foisonnante

Il n’y a pas un vaccin contre le Covid-19, mais des vaccins contre le Covid-19. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense 212 projets en cours. La plupart sont en phase de tests sur des animaux, mais 48 ont commencé les essais chez l’humain et 11 sont en phase 3, la dernière, qui doit prouver l’efficacité du produit à grande échelle. Beaucoup de résultats sont donc attendus dans les mois à venir. Pfizer, associé à l’entreprise allemande BioNTech, ainsi que son rival Moderna devraient être les premiers à fournir des données suffisantes pour déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché d’urgence aux Etats-Unis d’ici à la fin de l’année.

Ces deux candidats sont en avance car ils se basent sur une technologie nouvelle : les vaccins à ARN messager. Il s’agit d’insérer l’information génétique de la protéine Spike caractéristique du Covid-19 pour que les cellules du corps humain s’en emparent, produisent la protéine et entraînent le système immunitaire à la reconnaître. Une technique très rapide à produire mais instable, puisque le vaccin de Pfizer doit être maintenu à très basse température, minimum - 70 °C.

Une autre stratégie consiste à servir de virus de la famille des adénovirus, transformés pour être rendus inoffensifs et capables de transporter les éléments du Sars-CoV-2, que le corps humain va donc apprendre à reconnaître. Longtemps en tête de la course mondiale, le projet de l’université d’Oxford associée à la société AstraZeneca a lui aussi dû faire une pause le temps d’étudier un cas grave d’inflammation de la moelle épinière parmi ses volontaires. AstraZeneca espère des résultats avant la fin décembre.

Les autres projets en phase 3 proposent d’injecter le virus Sars-CoV-2 entier mais tué (on dit « atténué ») ou des morceaux du virus dans le corps des patients. « Il faut distinguer les vaccins contre le Covid-19 en trois générations. Les vaccins des deux premières générations visent la protéine Spike et sont très spécifiques du Sars-CoV-2. Ils pourront être utiles pour casser l’épidémie. La troisième génération cherche à faire des vaccins plus universels contre les coronavirus. Elle arrivera plus tard mais pourra être utile pour une vaccination durable si le virus s’installe », explique Brigitte Autran, professeure émérite à la faculté de médecine de Sorbonne Université et membre du Comité vaccin Covid-19 mis en place par la France.

Une compétition mondiale pour obtenir des doses

Face à la pandémie, la diplomatie internationale oscille entre solidarité et compétition. Sans surprise, Donald Trump, qui voulait sortir de l’OMS, a fait cavalier seul. Il a mis des milliards de dollars sur la table dans le cadre de l’opération Warp Speed (« à la vitesse de l’éclair ») pour permettre le développement de thérapies contre le Covid-19. « Tous les projets financés par Warp Speed donneront leurs premières doses aux Etats-Unis, affirme Brigitte Autran. Mais le délai avec l’Europe devrait être très court. » Il s’agit donc des labos Pfizer, Sanofi, Janssen, Moderna, AstraZeneca et Novavax.

Les dégâts sanitaires et économiques de la pandémie placent les politiques face à un dilemme : attendre des résultats scientifiques plus solides ou accélérer l’utilisation de ce qui sera peut-être l’arme fatale contre le Covid-19. La Chine et la Russie ont ainsi autorisé le déploiement de vaccins avant même les résultats de la phase 3. De leur côté, l’Union européenne, le Canada, le Royaume-Uni ou d’autres encore ont joué la carte des précommandes. L’UE a ainsi commandé 1,4 milliard de doses auprès de quatre labos.

Par ailleurs, dans le cadre de l’opération Covax sous l’égide de l’OMS, plusieurs pays s’associent à des ONG pour assurer un accès équitable de tous les pays aux vaccins disponibles. Dans un premier temps, l’OMS recommande que les Etats reçoivent des doses pour couvrir 3 % de leur population. Ensuite, l’objectif sera d’atteindre 20 % pour couvrir complètement les personnes à risques et les autres populations prioritaires, comme les personnels de santé. Lors du Forum de Paris, jeudi et vendredi, 500 millions de dollars (422 millions d’euros) ont été ajoutés pour ce programme, portant le total de dons à 2 milliards de dollars. Encore 5 milliards seront nécessaires en 2021 pour acheter et distribuer l’objectif fixé de 2 milliards de doses. La guerre contre la pandémie est aussi une guerre économique : les vaccins ne sont pas gratuits. Pfizer a vendu ses premières doses 19,50 dollars (il en faut deux pour une vaccination complète). AstraZeneca évoque un prix autour de 4 à 5 dollars.

La stratégie française face à plusieurs inconnues

Les premières vaccinations pourraient avoir lieu, en Europe, « au premier trimestre 2021 », dans un scénario « optimiste », selon Andrea Ammon, directrice du Centre européen de contrôle des maladies (ECDC). Un calendrier confirmé par plusieurs experts. Il faut en effet un minimum de recul sur les résultats des essais cliniques de phase 3 commencés à l’été. Pour accélérer le processus d’autorisation de mise sur le marché, l’Agence européenne du médicament a commencé à étudier deux dossiers : AstraZeneca et Pfizer. A ce jour, le russe Gamaleïa n’a pas déposé de dossier pour une autorisation de Spoutnik V en Europe. Une fois le feu vert donné, ce sera à chaque pays de définir les populations prioritaires.

Les doses disponibles ne suffiront pas dans l’immédiat à envisager une vaccination de masse. En France, la Haute Autorité de santé (HAS) - qui vient de lancer une consultation - préconise pour l’heure de tirer les enseignements de la campagne ratée de 2009 contre la grippe A (H1N1). Celle-ci s’était attiré les foudres des médecins généralistes, déçus de ne pouvoir administrer le vaccin eux-mêmes. La HAS estime cependant « qu’il serait inopportun, au début de la campagne, de rendre obligatoire la vaccination contre le Covid-19, que ce soit pour la population générale ou pour les professionnels de santé ».

Le Conseil scientifique, dans son avis du 9 juillet, s’est aussi penché sur la question. Il a identifié les « populations à considérer en toute première priorité », soit environ 30 millions de personnes. Ce sont les personnels de santé, les personnes fragiles ou en grande précarité, et les professions au contact des autres (enseignants, hôteliers, chauffeurs de taxi) ou en milieu à risque (abattoirs).

Mais une stratégie est très difficile à mettre en place sans données précises sur les résultats des vaccins. Les 90 % d’efficacité claironnés par Pfizer ne disent pas grand-chose : on ne dispose pas, par exemple, du taux de protection selon les âges. D’autre part, Pfizer définissant un cas de Covid-19 comme une personne ayant un symptôme et un test PCR positif, les asymptomatiques ne sont pas pris en compte dans ce résultat. On ne sait donc pas si le vaccin réduit la transmission du virus. Dit autrement : la stratégie n’est pas la même si le vaccin protège uniquement de la maladie, ou s’il évite aussi l’infection.

Ce problème pourrait être surmonté par le recours à plusieurs vaccins. « On s’attend à avoir plusieurs dizaines de millions de doses de vaccins (potentiellement correspondant à 2-5 produits différents) disponibles entre le dernier trimestre de l’année 2020 et le premier trimestre de 2021 », écrivait le Conseil scientifique cet été. Il est donc possible d’envisager que, par exemple, les soignants ne reçoivent pas le même vaccin que les personnes à risque, en fonction des résultats de chaque produit.

Pour tenter de répondre en partie à cette question, la France a lancé sa propre plateforme d’essais cliniques, Covireivac, dans le but de tester différents vaccins auprès des populations les plus sensibles (et souvent les moins représentées dans les essais de phase 3). Mais les tests n’ayant pas commencé, les résultats ne sont pas pour tout de suite.