Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Couvre-feu, dépistage, séquençage : la course contre la montre face aux variants

Janvier 2021, par Info santé sécu social

15 JANVIER 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le gouvernement compose avec la crainte du variant anglais et l’incertitude sur l’évolution épidémique. Il cherche à freiner le virus, tout en préservant une partie de la vie économique et l’éducation des enfants. Ses mesures peuvent-elles être efficaces ?

« Une course de fond est engagée », a prévenu le premier ministre, jeudi 14 janvier, en présentant de nouvelles mesures pour freiner le virus. La France espère le prendre de vitesse avec la vaccination. La confusion qui entoure le lancement de la campagne est déjà assez grande pour ne pas en rajouter avec un nouvel afflux de patients en détresse vitale dans les hôpitaux.

Jusqu’ici, la France a toujours pris des mesures en réaction. Pour une fois, face à la menace du variant anglais, elle peut agir en prévention. Dans cette situation, le gouvernement suit à la lettre les recommandations de son conseil scientifique, dévoilées par son président Jean-François Delfraissy : pas de reconfinement ni de fermeture des écoles dans l’immédiat, mais des mesures fortes pour ralentir la progression du variant anglais du Covid-19, plus transmissible, qui s’est propagé comme une traînée de poudre sur les îles Britanniques.

En France, la courbe épidémique est ascendante, mais sur une pente encore faible. « Avec ce virus, on en apprend tous les jours, reconnaît le professeur de virologie Jean-Michel Pawlotsky, directeur du département de biologie de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil. Nous n’avons pas été surpris par la seconde vague épidémique. En revanche, on ne comprend pas le plateau actuel, entre 10 000 et 20 000 cas par jour, et un nombre encore élevé d’hospitalisations par jour. On voit une remontée, mais on ne sait pas si c’est le début d’une troisième vague, ou l’impact des fêtes de fin d’année. Les deux prochaines semaines sont cruciales. Si la situation se dégrade vraiment, on le verra vite. »

Le gouvernement tente d’étouffer un peu plus la vie sociale, toujours plus réduite au travail, autant que possible à distance, aux achats et à l’éducation des enfants. Il tente de trouver un équilibre précaire, de répartir les sacrifices au sein de la société et entre les générations. A-t-il fait les bons choix ?

Un dépistage massif désormais dans les écoles
Le gouvernement se prévaut souvent de l’efficacité du dépistage, en insistant sur le nombre de tests réalisés : 2 millions par semaine actuellement, jusqu’à 3 millions pendant les fêtes de fin d’année. En réalité, la politique de dépistage ne cesse d’évoluer sans avoir prouvé une réelle efficacité.

Seulement, le nombre de tests effectués ne dit rien de l’efficacité du dépistage. C’est ce qu’explique une équipe de chercheurs de l’Inserm et de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie, dirigée par Vittoria Colizza, dans une étude publiée fin décembre dans la revue Nature sur la « Sous-détection du Covid-19 en France ». Cette étude compare, pendant la première vague, les cas détectés à la circulation réelle du virus, évaluée grâce à des modèles mathématiques. Fin juin, seulement 38 % des cas symptomatiques étaient détectés, ce qui est très peu. Et seuls 31 % des personnes atteintes du Covid ont consulté un médecin.

Dans la revue The Conversation, Vittoria Colliza rappelle toute la difficulté que présente ce virus : il « ne donne pas à chaque fois lieu à une maladie sévère, il n’oblige pas systématiquement les gens à consulter. Si c’était le cas, comme cela l’avait été durant l’épidémie de SARS de 2002-2003, l’épidémie actuelle aurait été plus facile à maîtriser ». Mais, dans le même temps, « tester aléatoirement n’est pas adapté (car on détecte ainsi seulement très peu de cas). Il faut plutôt cibler les tests » sur les personnes symptomatiques. Pour « éviter de passer les quatre prochains mois confinés », les tests doivent devenir « une habitude », estime la chercheuse.

Le dépistage massif réalisé avant les fêtes en Auvergne-Rhône-Alpes – 626 000 tests, 29 000 positifs, selon le conseil régional – n’a pas donné de résultats spectaculaires : la courbe épidémique régionale est dans une dynamique comparable à la courbe nationale.

À Roubaix, le dépistage massif ne rencontre pas son public : 1 000 personnes se présentent chaque jour dans cette commune de près de 100 000 habitants. 3 cas positifs ont été détectés lundi, 14 mardi.

« Tout ce qui est fait est utile », affirme le virologue Jean-Michel Pawlotsky, avant de tempérer : « On peut se poser la question du rendement de ce type d’opération. Cela revient à écraser une mouche avec une enclume. » Comme Vittoria Colizza, il défend un dépistage plus « ciblé, sur des sujets à risque, dans les clusters, dans les Ehpad. On pourrait également tester régulièrement dans les universités, si on les rouvrait un peu. La souffrance épouvantable des étudiants le justifie ».

Le gouvernement semble évoluer dans sa stratégie de dépistage : il n’a pas reparlé des dépistages généralisés à des villes entières, mais annoncé vouloir développer un dispositif de dépistage « massif » dans les établissements scolaires, capable de déployer jusqu’à 1 million de tests par mois sur des enfants et des enseignants. Seule précision apportée par Jean-Michel Blanquer : des équipes de dépistage seront envoyées dans les établissements dès que 3 cas sont détectés.

« Un dépistage massif dans les écoles fait sens », estime le virologue Jean-Michel Pawlotsky. Mais il doute de la possibilité de dépister régulièrement avec les tests antigéniques, qui passent par un prélèvement naso-pharyngé : « Il faut être pragmatique, au bout de 4 ou 5 tests, les personnes le refusent. Il faut envisager des tests salivaires, peut-être moins performants, mais que l’on peut plus facilement répéter. Tous les tests PCR peuvent être pratiqués à partir de la salive. »

Le rôle des écoles dans l’épidémie toujours sous-estimé

Le gouvernement français, son ministre de l’éducation en tête, a longtemps nié le rôle des établissements scolaires dans l’épidémie. Si le nombre d’enfants et d’adolescents testés positifs est plus faible dans ces classes d’âge, la raison en est simple : les enfants développent encore moins de symptômes que les adultes. « Quelquefois, les enfants sont testés positifs à la suite d’une fièvre, de symptômes bénins, mais c’est rare, explique le docteur Claudine Némausat, médecin scolaire et secrétaire générale du syndicat SNMSU-UNSA. La plupart des cas positifs chez les enfants sont détectés à la suite d’un cas dans la famille. »

Des études convergentes confirment l’importance des établissements scolaires dans la dynamique de l’épidémie. Une étude, parue dans la revue Nature en novembre 2020, classe l’efficacité des mesures prises par les gouvernements pour contenir le virus : la fermeture des établissements scolaires est la deuxième mesure la plus efficace pour réduire le taux de reproduction du virus, derrière l’interdiction des regroupements publics, et devant les restrictions de circulation aux frontières, l’accès aux équipements de protection, la limitation de la circulation des individus, tel le couvre-feu. Le « lockdown », le confinement strict de la population, n’apparaît qu’en 6e position parmi les mesures les plus efficaces.

L’étude Comcor de l’Institut Pasteur sur les lieux de contamination révèle qu’avoir des enfants en crèche ou scolarisés augmente le risque d’être infecté par le virus.

Cependant, en cette rentrée, le docteur Némausat ne constate pas « une reprise énorme, comme à la rentrée d’octobre ». Elle rappelle que la responsabilité du tracing des cas positifs est entre les mains des médecins et des infirmières scolaires, dont le nombre avoisine les 9 000 (environ 800 médecins et 8 000 infirmières) pour 12,5 millions d’élèves. « Quand il y a beaucoup de cas, on a l’impression de courir après le virus. On est aussi contraints d’abandonner toutes nos autres missions. Certains médecins scolaires n’ont pas vu d’élèves depuis le mois de mars. »

À ses yeux, le protocole dans les établissements scolaires fonctionne, à l’exception « des cantines. Ce n’est pas facile de respecter la distance physique dans les réfectoires ».

Jeudi soir, Jean-Michel Blanquer a justement reconnu que les cantines sont « le maillon faible » du protocole sanitaire. Mais il n’a fait aucune annonce : l’interdiction du brassage des classes pendant les repas, présentée comme une mesure nouvelle, est en réalité déjà pratiquée. Seule nouveauté : les activités sportives en intérieur des enfants, scolaires et extra-scolaires, sont à nouveau interdites.

Le séquençage pour suivre la progression des variants anglais et sud-africain
Le nouveau variant anglais et, dans une moindre mesure, les variants sud-africain et brésilien sont devenus la principale préoccupation de la communauté scientifique. La note du conseil scientifique n’a pas encore été publiée mais son président, Jean-François Delfraissy, s’est déclaré « très préoccupé ». L’Organisation mondiale de la santé s’est réunie en urgence hier à ce sujet.

Le gouvernement renforce la surveillance de ses frontières. Un test PCR négatif est désormais exigé de tous les voyageurs extérieurs à l’Union européenne, dont les Britanniques, qui doivent s’isoler 7 jours et présenter un 2e test négatif. Un nouveau « cadre de coordination » va être discuté avec l’Irlande et le Danemark, pays où l’épidémie flambe. Des restrictions aux frontières de Mayotte, de la Réunion, des Antilles et de la Guyane vont également entrer en vigueur, pour les protéger des variants sud-africain et brésilien.

La France est à la traîne dans le séquençage du coronavirus. Philippe Froguel, directeur d’une unité de recherche génétique à Lille et d’un centre génomique à l’lmperial College à Londres, fustige le retard français : « Les Anglais ont fait 120 000 séquençages du virus, les Français 2 500, dont la moitié à l’IHU de Marseille. En France, la recherche médicale et l’hôpital ne travaillent pas ensemble. Emmanuel Macron a sur son bureau un projet où nous mettons à disposition les moyens de la recherche génétique, qui peuvent industrialiser le séquençage des variants. »

« Il y a deux sujets, tempère le professeur de virologie Jean-Michel Pawlotsky. Il y a d’une part la capacité à surveiller ce coronavirus pour identifier l’émergence de nouveaux variants, à partir d’échantillonnages séquencés. Les Britanniques ont un peu d’avance sur nous, mais leur système n’est pas parfait. Le second sujet est de suivre la progression des variants qui soulèvent le plus d’inquiétude. »

Une enquête flash a été conduite par le Centre national de référence de Lyon, jeudi et vendredi dernier, à partir des PCR positifs de laboratoires de biologie publics et privés. Les résultats sont encore partiels, mais le variant anglais représente environ 1% des tests séquencés, avec des variations en fonction des régions, a assuré le ministre de la santé Olivier Véran. « Nous allons répéter ces enquêtes flash », assure le professeur Pawlotsky.

Le virologue est d’un fatalisme prudent : « Si le variant anglais a un tel avantage sélectif, il prendra la place des autres variants, comme en Grande-Bretagne. Nos seules armes face à lui sont la prévention, c’est-à-dire les gestes barrières et le dépistage, et désormais la vaccination. »

Un couvre-feu avancé pour limiter encore les déplacements
Les chercheurs ont montré l’efficacité des limitations de déplacement. Le premier couvre-feu instauré au mois d’octobre à partir de 21 heures a permis d’infléchir la deuxième vague. Avancé à 20 heures, il a mis fin aux dîners amicaux, qui sont des lieux reconnus de propagation du virus.

Mais quelle peut être l’utilité d’avancer encore le couvre-feu à 18 heures ? Le gouvernement cible les possibles « apéros », comme l’ont confié des conseillers ministériels à Mediapart. De nombreux politiques, qui ont expérimenté ce couvre-feu avancé à 18 heures sur leur territoire, juge la mesure inutile, économiquement dommageable et infantilisante.

Le premier ministre a, lui, assuré qu’ « il apparaît selon les données disponibles à ce jour que cette mesure a une efficacité sanitaire. Dans les 15 premiers départements où le couvre-feu a été mis en œuvre à 18 heures dès le 2 janvier dernier, la hausse du nombre de nouveaux cas y est deux, voire trois fois plus faible que dans les autres départements métropolitains ».

Le gouvernement manque cependant de cohérence, car le télétravail est lui légèrement assoupli, depuis le 7 janvier : les personnes qui étaient en télétravail à 100 % peuvent, si elles le souhaitent, revenir au travail un jour par semaine.

Des mesures toujours trop tardives ?
Une autre lecture de la gestion française, et plus largement européenne, est possible. « Les pays européens attendent le tout dernier moment pour prendre des décisions, explique l’épidémiologiste Antoine Flahault, à la tête de l’Institut de santé globale, à Genève. Le Royaume-Uni a attendu que son système de santé alerte sur une rupture dans les trois semaines pour se reconfiner. Les pays asiatiques ont une plus grande aversion au risque, ils reconfinent très tôt. Le Japon vient de se reconfiner avec moins de 3 000 cas par jour. C’est peut-être contre-intuitif, mais c’est plus efficace sur tous les plans : le bénéfice n’est pas seulement sanitaire, mais aussi économique et social. Les pays qui ont le plus grand nombre de morts accusent aussi la plus importante chute de leur PIB. »