Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Covid-19 : comment le vaccin d’AstraZeneca est devenu une piqûre de seconde zone

Février 2021, par Info santé sécu social

19 FÉVRIER 2021 PAR ROZENN LE SAINT

Les médecins généralistes pourront injecter le vaccin d’AstraZeneca à partir du 25 février. Mais entre la crainte montante d’une moindre efficacité face au variant sud-africain, ses effets secondaires fréquents, des tests d’efficacité contestables et des retards de livraison, le laboratoire enchaîne les déconvenues.

À partir du 25 février, les médecins généralistes pourront administrer des vaccins anti-Covid-19 aux personnes âgées de 50 à 64 ans : ceux d’AstraZeneca. Seront d’abord prioritaires celles qui présentent le plus de risques de développer une forme grave de Covid-19. Puis, « dans le courant du mois de mars, nous rendrons le vaccin d’AstraZeneca accessible directement en pharmacie pour tous les Français entre 50 et 64 ans », a annoncé Olivier Véran jeudi 18 février.

Un vaccin qui se conserve dans un simple réfrigérateur, aussi facile d’accès que celui contre la grippe… De quoi marquer un tournant dans la campagne de vaccination. Mais ce produit hier tant désiré pour son faible prix, ses facilités de conservation, et donc de distribution de masse, est aujourd’hui devenu le vaccin par défaut. Celui que l’on inocule faute de doses suffisantes de vaccins plus performants.

« Ce n’est pas un vaccin de seconde zone », a dû défendre Alain Fischer, le « Monsieur vaccin » du gouvernement, le 18 février, sur Europe 1. Avant cela déjà, Olivier Véran, ministre de la santé, a tenté d’en assurer le service après-vente en médiatisant sa propre vaccination avec ce sérum.

Il est pourtant moins performant que les deux premiers autorisés en Europe, ceux de Pfizer-BioNTech et de Moderna. D’ailleurs, une fois que ces deux vaccins à ARN messager ont fait leurs preuves, la Commission européenne a conclu un deuxième contrat afin d’acheter à chaque fois 300 millions de doses en plus des pré-commandes initiales.

Mais encore faut-il que les capacités de production suivent. Les trois fabricants de vaccins vendus en Europe ont tous imposé des délais de livraison. Un bras de fer particulièrement tendu s’est engagé entre la Commission européenne et AstraZeneca en janvier, lorsqu’un important retard a été annoncé.

C’est pourtant la firme qui a promis le plus de doses dès 2021, et de loin. Le laboratoire partenaire de l’université d’Oxford, qui, elle, n’a aucune expérience dans la production de masse, mise sur la fabrication de 3 milliards de doses en tout dans l’année.

Pour les vaccins de Pfizer-BioNTech et Moderna, c’est clair : les essais cliniques montrent des taux d’efficacité de 95 % et 94 %, respectivement. Pour celui d’AstraZeneca, cela dépend des doses injectées, de la durée écoulée entre les deux piqûres et des zones géographiques de tests prises en compte. Les taux sont alors compris entre 62 % et 70 %. Les essais cliniques ont eu lieu en Grande-Bretagne et au Brésil, avant que la présence de variants n’y soit détectée.

Or depuis, une nouvelle étude réalisée sur quelque 2 000 personnes par l’université du Witwatersrand à Johannesburg a été diffusée en « preprint », c’est-à-dire pas encore revue par des pairs. Elle donne de premières indications inquiétantes sur l’efficacité du vaccin d’AstraZeneca en Afrique du Sud, où circule fortement le variant tant redouté : 22 % seulement.

Très loin du plancher de 50 % préconisé initialement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ses concurrents communiquent sur une efficacité a priori moindre face au variant sud-africain, mais pas à ce point. Néanmoins, pour eux aussi, les publications scientifiques à ce sujet font encore défaut.

Une étude sur la neutralisation du variant sud-africain par le vaccin de Pfizer-BioNTech a été publiée dans la revue scientifique New England Journal of Medicine le 17 février. L’expérimentation en laboratoire a consisté à tester un virus génétiquement modifié contenant les mêmes mutations que le variant sud-africain sur des échantillons de sang. Les chercheurs ont observé une réduction des deux tiers du niveau d’anticorps neutralisants par rapport à la version classique du virus, mais « cela n’a pas nécessairement d’impact sur la protection », explique Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et maladies infectieuses au CHU Henri-Mondor de Créteil.

L’Afrique du Sud a d’ores et déjà suspendu l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca le 7 février. Puis Pretoria a même annoncé vouloir restituer le million de doses de vaccin reçues, dont la date de péremption affiche avril 2021, selon The Economic Times.

Pour autant, le 11 février, l’OMS a néanmoins recommandé l’utilisation de ce vaccin « même si des variants du virus sont présents dans le pays ». Et pour cause, AstraZeneca représente un des principaux espoirs d’accès à la vaccination des pays les moins riches : la disponibilité, le prix et les conditions de conservation très contraignantes des produits de Pfizer-BioNTech et Moderna les privent largement de ces produits de luxe.

L’OMS a rappelé qu’aucun résultat n’était disponible quant à l’efficacité du vaccin d’AstraZeneca contre les formes graves de Covid-19 face à ce variant d’Afrique du Sud : l’étude de l’université du Witwatersrand a été majoritairement menée sur des sujets jeunes avec peu de facteurs de risque de développer des signes graves de la maladie.

Pour Antoine Flahault, épidémiologiste et professeur de santé publique à la faculté de médecine de Genève, « l’efficacité sur les formes graves, c’est le plus important. Le suivi de la vaccination massive en Grande-Bretagne avec le sérum d’AstraZeneca apportera davantage de données et pourrait confirmer que peu de personnes vaccinées ont été hospitalisées pour cause de Covid-19 », augure-t-il. D’autant que l’efficacité du vaccin britanno-suédois sur le variant anglais, elle, n’est pas remise en cause.

Le variant repéré outre-Manche ne défie pas la campagne de vaccination enclenchée en Europe. C’est pour cette raison qu’il ne fait plus autant peur qu’à la veille de Noël, tant l’incertitude régnait. L’inquiétude se concentre à présent sur les variants sud-africain et brésilien. Leurs mutations semblent aussi favoriser la réinfection par le Covid-19 de personnes déjà atteintes par le passé.

Pour l’heure, ces variants sud-africain et brésilien sont seulement responsables d’environ 5 % des contaminations en France, contre 36 % pour le variant britannique, selon les estimations données par Olivier Véran à l’occasion du point épidémiologique du 18 février. Vont-ils finir par prendre l’ascendant ?

« Dans les régions où les variants anglais et sud-africain cohabitent, le premier reste majoritaire et cela n’est pas dit que le deuxième prenne le dessus, tempère l’immunologue Jean-Daniel Lelièvre. Comme les variants sud-africain et brésilien ne sont pas les variants qui circulent le plus en France, il reste un vrai intérêt à vacciner avec de l’AstraZeneca. »

En revanche, « la question se pose davantage dans les régions où les variants sud-africain et brésilien sont plus importants. D’autant que si on vaccinait uniquement avec le sérum d’AstraZeneca, qui ne fonctionnerait que sur le Covid-19 tel qu’on le connaissait jusqu’à présent et son variant anglais, cela donnerait un avantage au variant sud-africain, qui se développerait davantage », prévient Jean-Daniel Lelièvre.

Interrogé par Mediapart sur l’adaptation de la stratégie vaccinale, le ministère de la santé répond que « pour les territoires de Mayotte, La Réunion et la Moselle, qui sont confrontés à une circulation importante du variant sud-africain, nous avons fait le choix d’augmenter le volume de livraison en vaccin Pfizer-BioNTech. En effet, il existe un doute concernant l’efficacité du vaccin d’AstraZeneca contre le variant sud-africain », admet le ministère.

« Globalement, mieux vaut privilégier les vaccins qui donnent la meilleure protection, en l’occurrence, pour l’heure, ceux à ARN dans le cas du Covid-19. Même si on manque encore de données sur leurs effets sur la transmissibilité du virus, si un vaccin est efficace, la personne vaccinée élimine rapidement le virus et elle sera donc moins contagieuse. À l’inverse, si le vaccin est trop peu efficace, le virus va continuer de circuler », explique aussi Étienne Decroly, virologue spécialiste des virus émergents.

« L’idée est qu’il vaut mieux mettre sur le marché un sérum moins efficace plutôt que rien du tout »
Sauf que les doses de Pfizer-BioNTech et Moderna sont distribuées au compte-gouttes. Les autorités sanitaires européennes devraient autoriser un quatrième vaccin à la mi-mars, celui de l’Américain Johnson & Johnson, qui présenterait le double avantage de se conserver dans un réfrigérateur classique et d’offrir une protection en une seule injection.

« Si le vaccin de Johnson & Johnson avait été un peu plus en avance, je ne suis pas sûr qu’AstraZeneca aurait obtenu son autorisation de mise sur le marché. La pénurie de vaccins a dicté la décision. L’idée est qu’il vaut mieux mettre sur le marché un sérum moins efficace plutôt que rien du tout », estime Dominique Deplanque, pharmacologue qui dirige le centre d’évaluation clinique du CHU de Lille. « Le jugement des agences sanitaires dépend du contexte. Quand il y a des alternatives, le bénéfice apparaît plus important dans l’évaluation du bénéfice-risque, faute de mieux », commente aussi Els Torreele, chercheuse en innovation médicale et biologiste de formation.

Or, pour les fabricants de vaccins en Europe, la condition pour être payés, c’est d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché… Même si quelques jours plus tard, leur efficacité est mise en cause par l’émergence de variants.

D’ailleurs, la Commission européenne va conclure de nouveaux contrats pour des vaccins de deuxième génération, adaptés aux variants, comme elle l’a annoncé le 17 février. « Des vaccins de deuxième génération vont arriver dans quelques mois, que cela soit du côté des vaccins à ARN ou du côté des adénovirus comme celui d’AstraZeneca, avec une prise en compte des variants. L’injection d’une piqûre de rappel d’un vaccin de cette deuxième génération devrait permettre de mieux lutter contre les variants », indique Étienne Decroly, directeur de recherche au CNRS-Université d’Aix-Marseille.

Sur la BBC, Sarah Gilbert, qui dirige le développement du vaccin à l’université d’Oxford dans le cadre de son partenariat avec AstraZeneca, a d’ailleurs indiqué qu’« une version [du vaccin, ndlr] avec la séquence du variant sud-africain [était] en préparation ». Ses concurrents aussi.

Autre déconvenue du vaccin d’AstraZeneca : la fréquence des effets secondaires depuis qu’il est injecté en France le 6 février, en priorité aux soignants de moins de 65 ans. Les symptômes grippaux apparus après la première piqûre ont entraîné des arrêts maladie en cascade à l’heure où les hôpitaux ne peuvent se passer de bras.

À tel point que l’agence du médicament a recommandé de ne pas vacciner en même temps l’ensemble du personnel d’un même service. Des soignants ont même demandé l’arrêt de la vaccination via le sérum d’AstraZeneca, et son remplacement par celui de Pfizer-BioNTech ou de Moderna.

« Ces effets secondaires étaient prévisibles, mais pas à cette fréquence. Dans un de nos services par exemple, quatre infirmières se sont fait vacciner en même temps et deux étaient K.-O., au point de ne pas être en mesure de travailler le lendemain de l’injection », commente Dominique Deplanque, pharmacologue au CHU de Lille.

Au regard de ces revers à répétition, comment AstraZeneca, encore novice dans le secteur vaccinal, est-il parvenu à se frayer une place de choix dans cette course internationale ? Il a clairement bénéficié d’une prime à la rapidité, au risque d’avoir confondu vitesse et précipitation. Pour preuve, ses résultats d’essais cliniques brouillons.

Les déboires du vaccin d’AstraZeneca remontent à la phase d’expérimentation du vaccin. Le 8 septembre 2020, un des volontaires développe une maladie neurologique grave, la myélite transverse. Les essais cliniques sont arrêtés… Avant de reprendre les jours suivants en Grande-Bretagne, au Brésil et en Afrique du Sud : le géant pharmaceutique certifie l’absence de preuve de lien entre la survenue de cette pathologie et son vaccin.

Quelques jours plus tard, le 22 septembre, alors que les dirigeants de Sanofi et d’AstraZeneca sont censés répondre aux questions des parlementaires européens qui reprochent aux industriels leur manque de transparence dans le business des vaccins contre le Covid-19, celui d’AstraZeneca se défile et annule la rencontre.

Aux États-Unis, l’essai clinique est suspendu pendant six semaines. Alors que l’Agence américaine des médicaments, réputée pour sa rapidité, avait autorisé avant l’Europe les vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna, elle n’a toujours pas octroyé le droit de commercialiser outre-Atlantique le produit d’AstraZeneca. L’Agence européenne des médicaments (AEM), elle, l’a autorisé pour tous les adultes le 29 janvier.

La méfiance des experts américains est renforcée par la communication confuse de la firme à l’annonce des premiers résultats intermédiaires d’efficacité, le 23 novembre 2020. Chez un groupe de volontaires, AstraZeneca enregistre une efficacité de 90 % et chez un autre, de 62 %.

Interrogé sur cette différence, il indique d’abord que le premier groupe a reçu par erreur une demi-dose lors de la première injection… Face aux résultats d’efficacité de plus de 90 % annoncés auparavant par ses concurrents Pfizer-BioNTech et Moderna, AstraZeneca a préféré communiquer sur une moyenne hasardeuse de 70 % plutôt que de se priver des résultats les plus performants, même si trompeurs.

En réalité, le groupe ayant enregistré la meilleure efficacité ne comprenait aucun adulte de plus de 55 ans, alors que pour les vaccins, elle diminue généralement avec l’âge. En tout, les essais ont inclus seulement 6 % d’adultes de plus de 65 ans…. La population qui meurt pourtant le plus du Covid-19.

Les États-Unis décident d’intégrer davantage de personnes âgées dans les essais cliniques menés sur leur sol. Ces données sont attendues prochainement pour que le dossier d’AstraZeneca soit examiné par l’agence réglementaire américaine. En France, la Haute Autorité de la santé (HAS) attend aussi ces résultats pour préconiser d’étendre ou non la vaccination avec le sérum d’AstraZeneca aux plus de 65 ans. Le 2 février, elle a estimé disposer de trop peu de données sur les volontaires les plus âgés pour leur recommander l’injection.

La revue indépendante médicale Prescrire écrit aussi que « le niveau de preuves des données est globalement faible, entre autres parce que les essais ne se sont pas déroulés comme prévu, et que les données d’efficacité clinique rendues publiques ne portent que sur environ la moitié des participants aux essais […]. Une réduction de la fréquence de Covid-19 grave est vraisemblable mais non démontrée ».

Plus tard, AstraZeneca a attribué la meilleure performance dans certains groupes à un espacement des doses différent. Avec une durée de suspension des essais cliniques aléatoire selon les pays, des volontaires ont reçu leur deuxième dose huit semaines après la première, d’autres, jusqu’à douze semaines.

Ces tâtonnements pendant le déroulé des premiers essais cliniques semblent montrer qu’allonger le délai entre les deux doses apporte une meilleure protection. AstraZeneca change alors son fusil d’épaule pour rester dans la course. D’ailleurs, le laboratoire entend valider l’intérêt de la démarche dans de nouveaux essais cliniques en cours.

L’équipe de Covireivac, créée au sein de l’Inserm pour mener des expérimentations en France sur les vaccins Covid-19, espérait débuter des tests pour le compte d’AstraZeneca à la mi-décembre 2020. Finalement, le 8 février, la firme a tout simplement signifié sa décision d’abandonner ce projet, évoquant dans un courrier son souhait de ne pas ajouter « de cohortes supplémentaires ».

« Le point noir que redoute AstraZeneca, c’est que soit démontrée clairement la très faible capacité de son vaccin à entraîner une réponse immunitaire contre les nouveaux variants qui circulent », commente un expert du dossier. Or les chercheurs français se voient ainsi privés de l’opportunité de mieux comprendre les résultats présentés par AstraZeneca et de mesurer l’efficacité du vaccin face aux variants qui circulent dans le pays.