Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Covid-19 : les fables de la « grande muette »

Mai 2020, par Info santé sécu social

MAI 2020 PAR JUSTINE BRABANT

Derrière une communication cadenassée, les documents et témoignages recueillis par Mediapart démontrent que depuis le début de la crise sanitaire, l’armée française multiplie les approximations et mensonges par omission. Au risque de propager le virus, des marins testés positifs ont été autorisés à rentrer chez eux. Quant à l’hôpital de campagne de Mulhouse, archi-médiatisé, il n’avait, le 21 avril, accueilli que 46 patients.

99 % de marins guéris : le chiffre ferait presque passer la catastrophe sanitaire du porte-avions Charles-de-Gaulle pour une belle réussite. Les services de communication de la marine en ont offert la primeur à BFM-TV dans la soirée du lundi 3 mai. Sur les 1 082 marins testés positifs, détaille la marine, seuls deux sont toujours hospitalisés et 18 en confinement. Un soulagement ? Tout dépend de ce que l’on entend par « guéris ». Car selon les informations rassemblées par Mediapart, des dizaines de marins sont rentrés chez eux alors qu’ils étaient toujours positifs au Covid-19. Un comble quand on se souvient du flot de paroles rassurantes qui avaient accompagné le retour de l’équipage : certes le porte-avions à propulsion nucléaire français, fleuron de la défense nationale, était devenu l’un des pires clusters de France, mais 14 jours d’isolement sanitaire dans des bases du Sud de la France allaient permettre d’éviter la propagation du virus sur le territoire.

Un raté isolé ? Hélas non : les contre-vérités autour du sort de l’équipage du porte-avions sont légion. Ces dernières semaines, le ministère a répété en boucle trois éléments de langage : la santé des militaires est « sa priorité », « les missions continuent » et l’armée est en première ligne de l’effort national contre le Covid-19 grâce à l’opération « Résilience ». Nous révélons de nouveaux témoignages, chiffres et documents internes (pour certains classés « diffusion restreinte ») qui prouvent que la santé des militaires n’a pas toujours été la priorité des hauts gradés, que le nombre de malades et d’absents dans la marine est tel qu’on voit mal comment il pourrait ne pas affecter la conduite des missions, et que le bilan de l’opération Résilience – et en particulier du fameux hôpital de campagne au déploiement annoncé par le président Macron lui-même – est bien maigre au regard des tambours et trompettes qui ont accompagné son lancement.

« Charles-de-Gaulle » : un bilan plus élevé qu’annoncé et des « Covid + » autorisés à rentrer chez eux

Le communiqué était on ne peut plus clair : après un séjour en mer écourté et des centaines de marins positifs à bord, le porte-avions Charles-de-Gaulle et son escorte (constituée de la frégate de défense aérienne Chevalier Paul, de la frégate anti-sous-marine La Motte-Picquet et du ravitailleur Somme) allaient passer quatorze jours à l’isolement, afin que le cluster géant ne se diffuse pas partout en France. « Tous les marins du porte-avions Charles de Gaulle, du groupe aérien embarqué et de la frégate Chevalier Paul accompliront une période de quatorzaine dans des enceintes militaires avant de rejoindre leurs foyers », écrivait le ministère des armées le 11 avril.

L’arrivée au port du fleuron de la marine française a été dûment filmée, les détails de la procédure de décontamination répétés à l’envi, la liste des lieux de confinement transmise à la presse. Sur les bases en question, les marins qui attendaient depuis des mois de retrouver leur famille et un bon gueuleton, ont tiqué devant les barquettes de poulet basquaise micro-ondables William Saurin, puis se sont fait une raison.

Et puis… Et puis, lorsque les yeux ont cessé d’être tournés vers Toulon, la hiérarchie militaire a manifestement jugé que les mesures pouvaient être assouplies : des marins sont repartis chez eux avant la fin de leur quatorzaine. Deux témoignages recueillis par Mediapart l’attestent : alors que le délai de 14 jours prenait fin les 26 et 27 avril (les marins ayant été placés en confinement dans des bases du Sud de la France entre le 12 et le 13 avril), plusieurs dizaines de marins du Charles-de-Gaulle et de son escorte sont rentrés chez eux, notamment en Bretagne, dès le vendredi 24 avril.

Plus étonnant encore : des marins ont pu rentrer chez eux alors qu’ils étaient toujours positifs au Covid-19. Des tests PCR ont en effet été réalisés sur les équipages au début puis à la fin de leur confinement. Là encore, le ministère l’avait promis : « Des tests de dépistage seront réalisés pendant cette période en zone de confinement et avant le retour des marins dans leur foyer », indiquait-il dans un communiqué, le 11 avril. Sauf que si les tests de « sortie » ont bien été effectués, leurs résultats, eux, ont visiblement eu bien peu d’incidence sur la suite des événements.

Un marin du Charles-de-Gaulle interrogé par Mediapart estime que près de la moitié des marins rentrés chez eux étaient positifs. « Nous parlons ensemble, et on se rend bien compte que certains sont encore positifs à leur deuxième test. Je dirais qu’un peu moins de la moitié des marins déjà sortis (et ce depuis une semaine maintenant) sont encore positifs au Covid-19 », nous indiquait-il le 29 avril. Le protocole de sortie qu’il décrit laisse songeur : « Dans la base où j’étais confiné, le traitement subi par les personnes encore positives et les personnes négatives était exactement le même : test et prise de sang, puis 24 à 48 h après les résultat des tests, tous les testés faisaient la queue devant l’infirmerie pour passer devant le médecin. Après une prise de tension, le médecin disait si nous étions positif ou négatif et l’après-midi même, quel que soit le résultat, le marin rentrait chez lui. »

Deux autres témoignages recueillis par Mediapart (l’un d’un marin du porte-avions, l’autre d’un membre de la famille d’un marin) viennent confirmer son récit.


Lundi 4 mai, à 12 h 30, nous avons adressé les questions ci-dessous aux services de communication du ministère des armées, qui en ont accusé réception. Le 6 mai, à 9 heures, nous n’avions pas reçu de réponse.

Concernant Résilience

1. Pouvez-vous nous dire combien de patients sont toujours en réanimation à l’EMR-SSA déployé à Mulhouse ?
2. Au 21 avril, 46 patients avaient été pris en charge depuis l’ouverture de l’EMR-SSA. À combien s’élève à ce jour le nombre total de personnes prises en charge ?
3. Pouvez-vous nous dire combien de patients ont par ailleurs été transférés par voies terrestres, maritimes ou aériennes dans le cadre de l’opération Résilience (Mme Parly évoquait 139 évacuations lors de son audition le 17 avril, j’imagine que cela a évolué) ?

Concernant l’épidémie sur le Charles-de-Gaulle

4. Selon nos informations, les médecins à bord du CDG ont été informés dès le lundi 16 mars de la présence d’un « cas contact » à bord, qui n’a pas été isolé du reste de l’équipage. Le ministère en a-t-il été informé ? Le choix de ne pas isoler ce marin était-il conforme avec les instructions du ministère à l’époque ? Si l’enquête de commandement venait à confirmer que des cas contact n’avaient pas été isolés du reste de l’équipage, des sanctions seraient-elles prises ?

5. Pouvez-vous nous dire combien de marins sont rentrés chez eux après leur quatorzaine à Saint-Mandrier et Toulon avec un test PCR positif ?

6. Pouvez-vous nous dire combien de marins sont rentrés chez eux avant la fin des 14 jours, et pour quelle raison ?

7. Quel est l’état de santé des trois marins admis en réanimation à l’HIA Sainte-Anne ?

Concernant la quatorzaine avant départ en mission

8. Mme Parly déclarait lors de son audition par l’Assemblée nationale le 17 avril que des « quatorzaines systématiques » étaient organisées avant les départs en mission. Selon nos informations, cela n’a pas été le cas pour l’équipage de la FREMM Languedoc partie en mission le 25 avril, dont l’équipage a continué de faire des allers et retours entre son domicile au bateau les semaines précédant ce départ. Le ministère en était-il informé ?