Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Covid : un premier rapport d’enquête parlementaire factuel et cruel

Décembre 2020, par Info santé sécu social

3 DÉCEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

La commission d’enquête de l’Assemblée nationale livre un récit précis de l’impréparation de la France face à la pandémie. Mais les députés font l’impasse sur leurs propres responsabilités, et proposent une vision largement sécuritaire de la gestion de crise.

La commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale sur « l’impact, la gestion et les conséquences » de l’épidémie de coronavirus a rendu, mercredi 2 décembre, son rapport. Il clôture six mois de travaux, 56 auditions, sur une crise sanitaire qui a fait 53 000 morts à ce jour.

Leurs conclusions restent prudentes, sans mises en cause. « À l’heure de dresser un premier bilan de la gestion de l’épidémie, un voile d’incertitude continue de recouvrir certains de ses aspects », admettent-ils, reconnaissant ainsi les difficultés de la gestion de cette crise inédite. Les députés, le rapporteur Éric Ciotti en tête (Les Républicains), ont-ils intégré les remarques acides à leur endroit ?

L’ancien directeur général de la santé, Didier Houssin, leur a rappelé avoir déjà été auditionné en 2009, sur la gestion de la grippe A/H1N1, et avoir à ce moment-là été mis en cause pour les achats de vaccins ou de masques, alors jugés dispendieux. Certains députés membres de la commission de 2009 sont toujours présents en 2020 : Jean-Pierre Door (LR) et Jean-Christophe Lagarde (UDI). Or, leurs critiques ont selon lui « joué un rôle majeur dans l’affaiblissement de la préparation de la France au risque pandémique ».

Mais ce rapport parlementaire est utile, parce qu’il fait récit, par le menu, de la gestion chaotique de la crise sanitaire en France, de la première à la deuxième vague de coronavirus. Le simple constat tient lieu de réquisitoire.

Les députés entament leur récit par l’oubli collectif de la préparation au risque pandémique, pourtant bien identifié au début des années 2000, mais perdu de vue au cours de la décennie suivante. Les ministres successifs ont pensé « qu’il y avait moins de risques pour un politique à en faire moins qu’à en faire trop », rapportent les députés.

La gestion des stocks stratégiques de masques occupe un tiers du rapport. Les députés ont retracé les décisions administratives qui ont fait fondre le stock, du milliard de masques de Roselyne Bachelot à moins de 100 millions début 2020. Ils situent le moment clé en 2013, quand l’État s’est déchargé sur les établissements de santé de la responsabilité du stock des masques FFP2, ceux réservés aux soignants. Pour les députés, cette décision tient d’une lecture « erronée » d’une doctrine du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Une analyse qui dilue aisément les responsabilités.

Mais l’administration a encore failli, plus gravement : les établissements de santé n’ont jamais été tenus de constituer ces stocks de masques.

De nombreux établissements sont donc entrés dans la crise sans les équipements nécessaires pour protéger leurs personnels : selon une note du 6 février 2020 adressée par le directeur général de la santé au cabinet de la ministre de la santé, « trois régions, le Grand-Est, la Guadeloupe et la Martinique signalent des stocks de masques en très forte tension, inférieurs à quinze jours. La région Hauts-de-France possède entre quinze et trente jours de stocks, et les autres régions plus de trente jours ».

Le stock stratégique de masques chirurgicaux, géré par Santé publique France, est lui aussi famélique : au 31 décembre 2019, il n’y avait plus que 64 millions de masques chirurgicaux pour adultes et 33 millions de masques pédiatriques, soit 97 millions de masques.

Les représentants de l’État ont expliqué avoir voulu éviter les « stocks dormants », qui se périment, et opté pour un « stock dynamique », en croyant s’assurer être rapidement livrés par des fabricants en cas de crise. Les députés ne peuvent que constater : « L’hypothèse d’une rupture d’approvisionnement liée à une demande mondiale simultanée et massive a manifestement été sous-estimée. »

Ce sont bien les considérations budgétaires qui ont guidé l’ensemble de ces choix : en ne renouvelant pas les stocks, « des économies considérables sur les coûts d’achat, de stockage et de destruction » ont été réalisées, comme le reconnaissent les députés.

Ceux-ci se dédouanent, au passage, de leurs responsabilités, oubliant de préciser qu’ils ont voté une à une les lois de financement de la Sécurité sociale, et leurs plans d’économies drastiques pour les hôpitaux, comme pour l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), qui était chargé de constituer les stocks stratégiques, avant d’être fondu dans Santé publique France. Entre 2007 et 2015, les subventions de l’Eprus ont fondu, comme le détaille un rapport du Sénat en 2015.

Les députés mettent également vivement en cause l’agence Santé publique France, un « outil qui s’est révélé inadapté et sous-dimensionné, en compétences et en effectifs, et trop peu préparé à faire face », passant encore sous silence les restrictions budgétaires et les restrictions de postes subies par l’agence ces dernières années.

Proposition des députés : des agences départementales de santé sous l’autorité des préfets

Cruellement, les députés rappellent le mensonge éhonté, ou l’aveuglement complet du directeur général de la santé Jérôme Salomon, qui affirmait le 26 février, devant la commission des affaires sociales du Sénat, que « Santé publique France détient des stocks stratégiques importants de masques chirurgicaux. Nous n’avons pas d’inquiétude sur ce plan. Il n’y a donc pas de pénurie à redouter, ce n’est pas un sujet ».

La première commande massive, de 200 millions de masques, n’est passée que le 9 mars. Au 28 mai 2020, ce sont 3,42 milliards de masques que l’État français a été contraint d’acheter, à un coût prohibitif. Un masque chirurgical coûtait 3 centimes avant la crise, Santé publique France a du débourser jusqu’à 90 centimes l’unité. L’achat de ces masques atteint la somme phénoménale de 2,55 milliards d’euros, soit le coût de la construction de plusieurs hôpitaux. Seuls 30 % des masques ont été achetés à des fabricants français.

Quant à la distribution de masques, elle a été « chaotique », en raison de la « surchauffe » de Santé publique France, qui manquait d’entrepôts pour les stocker, de « compétence logistique », d’un système d’information à la hauteur, etc.

À cet immense cafouillage se sont ajoutés les errements de la communication du gouvernement sur les masques, qui se justifiaient seulement par la pénurie. Ce n’est qu’à partir du 5 mai que les pharmaciens ont pu enfin délivrer des masques aux malades du Covid restés à leur domicile, à leurs contacts et aux personnes fragiles.

L’organisation du dépistage a été tout aussi laborieuse. L’histoire démarrait bien pourtant, avec la mise au point très rapide par l’Institut Pasteur d’un test de diagnostic. Mais le déploiement des capacités de tests a pris « deux mois et demi entre le 24 janvier et le 5 avril 2020 ». La principale explication avancée par les députés est la dépendance totale de la France vis-à-vis de l’étranger. La France n’a pratiquement aucune capacité de production, à chaque étape du test, comme le montre cette infographie fournie par les députés.

Dans un second temps, la participation des laboratoires de ville, ainsi que des laboratoires de recherche publics et des laboratoires vétérinaires a été freinée par les « lourdeurs administratives ».

Le résultat est désastreux, en comparaison de l’Allemagne : le 4 mai, l’Allemagne avait réalisé plus de 3 millions de tests, la France moins de 600 000.

Au-delà des masques et du dépistage, les députés accumulent les preuves de l’incapacité initiale du gouvernement à prendre la mesure de la crise, jusqu’à la décision du premier confinement. « Les Français ont assisté à une succession précipitée de décisions prises au pied du mur », notent-ils.

Jusqu’au 17 mars donc, la gestion de la crise est restée entre les mains du seul ministère de la santé alors que « le caractère interministériel de la crise était pourtant manifeste ». Et même si une circulaire, actualisée en juillet 2019, prévoit que le premier ministre prenne la « direction politique et stratégique des crises majeures ».

Devant l’ampleur de la crise logistique, les ministères de l’intérieur et de la défense auraient dû se mobiliser, selon les députés. Dans les territoires, les agences régionales de santé se sont retrouvées seules, alors qu’elles ne sont pas dimensionnées pour faire face à une telle crise. Ils rapportent les réflexions de Renaud Muselier : « Tout l’appareil de l’État – préfets, sécurité, sécurité civile – a été mis sur la touche, et le système hospitalier s’est débrouillé seul. »

Les agences régionales de santé sont aussi mises en cause, jugées insuffisamment présentes « en termes de moyens et de personnels pour constituer un véritable acteur sanitaire sur le territoire ».

À la fin du rapport, les députés listent leurs propositions, la plupart très convenues : la création d’un poste de ministre délégué à la préparation des crises, une meilleure coopération ente la médecine et l’hôpital, ou encore la restauration de l’indépendance de la France pour faire face à une nouvelle crise sanitaire.

Une proposition dénote cependant, et trahit le dangereux glissement à l’œuvre en France tout au long de cette crise, du sanitaire au sécuritaire. Au lieu d’appeler à un renforcement des agences régionales de santé, elles aussi victimes de plans d’économies votées par les parlementaires, les députés préconisent la création d’agences départementales de santé, qu’ils souhaitent voir placées sous l’autorité des préfets. Des agences chargées de l’organisation du système de santé, des médecins de ville ou des hôpitaux, placées sous la responsabilité du ministère de l’intérieur : c’est la proposition dystopique des députés français.