Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Dans la colère et les larmes, l’hôpital vaccine ses réfractaires

Septembre 2021, par Info santé sécu social

11 SEPTEMBRE 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE
Le 15 septembre, l’obligation vaccinale des soignants entre en vigueur. Envoi de courriers, entretiens : les hôpitaux tentent de convaincre leurs derniers réfractaires au vaccin. Un passage en force vécu comme un échec. Témoignages.

Àl’hôpital Nord de Marseille, le téléphone du syndicaliste Sud Karim Djebali sonne. Au bout du fil, des personnels non vaccinés s’enquièrent de leur sort. Le syndicaliste ne peut que confirmer, dépité, ce qu’ils savent déjà : à compter du 15 septembre, ils ne pourront plus travailler, leur salaire sera suspendu. « La tension monte, les cadres passent dans les services pour chercher les non-vaccinés. La direction a fait très peu de communication, elle est désormais dans la répression », enrage le syndicaliste. « J’ai des gens en pleurs au téléphone », se désole-t-il. Il caresse un maigre espoir : « On espère que notre syndicat mènera des actions juridiques contre l’obligation vaccinale. »

Mais le gouvernement est résolu à appliquer l’article 14 de la loi du 5 août, le premier ministre et le ministre de la santé ne cessent de le répéter. Des instructions ministérielles fermes ont été transmises aux établissements, notamment pour que soient signalés aux caisses d’assurance-maladie les arrêts maladie, afin que des contrôles soient réalisés.

Avant que ne tombent les sanctions, les directeurs ont commencé par recenser leurs personnels non vaccinés : « Nous envoyons des courriers aux agents dont nous ne connaissons pas le statut vaccinal, explique Maxime Morin, secrétaire général adjoint du syndicat de directeurs Syncass-CFDT et directeur de l’hôpital de Roubaix (Nord). Dans mon hôpital, qui compte 3 100 agents, nous en avons envoyé 225. Certains ont fourni leur QR code. Pour les autres, nous avons organisé 150 entretiens individuels. Pour l’instant, une dizaine d’agents refusent encore la vaccination. »

On nous extorque notre consentement, c’est désolant
Une aide-soignante marseillaise

À Marseille, une aide-soignante qui souhaite conserver son anonymat, explique être résolue à refuser le vaccin : « Je pars en congés, on verra ensuite. Mais je suis prête à perdre mon salaire, je réfléchis à changer de métier. On veut nous vacciner à la chaîne, sans recul sur les effets secondaires, je n’ai aucune confiance. On nous extorque notre consentement, c’est désolant, lamentable. On devrait être libre de décider ce qui est bon pour nous. »

Toujours à Marseille, une agente des services hospitaliers (ASH) vient elle de se décider à franchir la porte d’un centre de vaccination. En arrêt maladie pour dépression, elle lit le courrier qu’elle a reçu à son domicile : sans preuve de vaccination, son salaire sera suspendu le 15 septembre, ainsi que ses droits aux congés, son ancienneté, son avancement. « Je suis obligée de me faire vacciner, alors que je prends des médicaments pour mes problèmes cardiaques. Je gamberge, je pleure beaucoup, je fais des angoisses pas possibles. J’entends beaucoup de choses sur les effets secondaires des vaccins. Et les malades en réanimation, je ne les ai jamais vus. »

Le secrétaire général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), Pierre Pinzelli, affirme avoir mené « une campagne de communication sur le vaccin » et vouloir aller « au bout du dialogue » : « Nous envoyons des courriers, puis nous organisons au moins deux entretiens avec les personnes qui refusent le vaccin. Nous ne sommes pas dans une démarche agressive. » Mais il affiche aussi sa fermeté : « Avant l’obligation vaccinale, le vaccin était une obligation morale à l’hôpital. »
Il n’existe pas, pour l’heure, de chiffres officiels sur la vaccination des professionnels de santé. Elle aurait progressé ces derniers jours, témoignent plusieurs directeurs. Dans les hôpitaux de Marseille, vendredi, « 90 % [des] personnels étaient vaccinés. Les 10 % restants sont parfois déjà vaccinés, en arrêt maladie, en congés », explique le secrétaire général Pierre Pinzelli. Quelles peuvent être les conséquences sur le fonctionnement de l’hôpital ? Pierre Pinzelli admet avoir « quelques inquiétudes pour une dizaine de services, sur 240 » : « Nous préparons une équipe de remplacement pour pallier les absences. »

Les directeurs appliquent la loi mais ont parfois des états d’âme. « On se serait bien passés de cette obligation vaccinale dans cette rentrée où on a déjà des difficultés à boucler les plannings, explique la secrétaire générale du syndicat de directeurs Syncass-CFDT, Anne Meunier. On est aussi mal à l’aise de devoir en passer par la sanction. Cela complique le dialogue social, alors qu’on a essayé de faire preuve de pédagogie jusque-là. »

À l’hôpital de Saint-Denis, la direction juge « prématuré de donner des chiffres. Le sujet est sensible ». Selon Yasmina Kettal, syndicaliste Sud de l’hôpital, « à l’image du département, les hôpitaux de Saint-Denis seraient en retard. La situation est tendue, des agents nous appellent pour déverser leur colère. Psychologiquement, ils sont très fragiles, dans une angoisse et une défiance totales. Toute l’année, ils subissent leurs conditions de travail, leurs plannings, leur salaire. L’obligation vaccinale a rajouté une pièce dans le jukebox. Ils vivent le vaccin comme une intrusion inacceptable dans leur intimité. Certains ont besoin de plus temps. Mais d’autres disent être prêts à quitter leur boulot. Combien sont-ils ? Probablement un peu plus que ce qu’on pensait. Aucun hôpital ne peut se permettre de perdre 5 à 10 % de ses salariés ! »

On s’est positionnés pour la vaccination, on doit aussi être là pour nos collègues qui refuseront le vaccin
Yasmina Kettal, syndicaliste Sud à l’hôpital de Saint-Denis

La syndicaliste, toujours infirmière, confie volontiers son dilemme éthique : « On s’est positionnés clairement pour la vaccination, les gens le savent. On doit défendre la protection collective et individuelle des agents, c’est notre mission. On doit aussi être là pour nos collègues qui refuseront le vaccin. Tous les syndicats naviguent à vue. » En revanche, sa position vis-à-vis des manifestations contre le passe sanitaire est sans ambiguïté : « On est un syndicat antifasciste, on ne manifeste pas avec l’extrême droite. On ne peut pas non plus prôner quelque chose de dangereux pour les autres. J’ai vu trop de morts du Covid. »

Son homologue marseillais Karim Djebali est sur une position sensiblement différente. Lui n’est pas encore vacciné, « par solidarité avec les collègues » : « On est contre l’obligation vaccinale, pour la liberté, le libre arbitre ». Certaines sections du syndicat Sud des hôpitaux marseillais ont manifesté le samedi contre le passe sanitaire.

À l’hôpital de Saint-Denis, un gros travail de pédagogie sur le vaccin a été conduit. Sur l’établissement, ont été organisées des réunions d’informations, formés des ambassadeurs de la vaccination dans chaque pôle de l’hôpital, ouvertes des consultations médicales anonymes d’information. « Pour atteindre les gens qui ne veulent pas entendre parler des vaccins, on a aussi organisé des maraudes dans les services, de jour et de nuit, pour informer sur les vaccins », explique le coordonnateur de la campagne de vaccination sur l’hôpital, l’infectiologue Quentin Bougault.

D’abord, nous ne sommes pas très bien accueillis. Puis la conversation se lance et peut durer deux heures
Quentin Bougault, infectiologue à l’hôpital de Saint-Denis

Il décrit ces maraudes, à la rencontre des plus réfractaires : « Cela se passe toujours de la même manière : d’abord, nous ne sommes pas très bien accueillis. Les soignants nous disent qu’ils ne sont pas intéressés, il y a une gêne. Puis la conversation se lance, et elle peut durer deux heures. À la fin, on peut ainsi vacciner six personnes. C’est efficace, mais c’est aussi très chronophage. »

Il explique être confronté à des réticences « complexes, irrationnelles » : « Il y a ceux qui sont retranchés dans leurs convictions, qui se sont créé une bulle d’information, c’est effrayant. Mais je constate aussi que les professions les moins vaccinées sont aussi celles qui ont été le moins protégées pendant la première vague, très dure dans notre hôpital. Aujourd’hui, je reçois des appels de soignants qui me disent, en larmes, qu’ils vont se faire vacciner. C’est un peu humiliant d’être vacciné alors qu’on a extrêmement peur. On ne pouvait pas s’en sortir sans l’obligation vaccinale. Mais c’est un échec d’en être arrivés là. Cela laissera des traces. »

La directrice Anne Meunier relativise cependant les troubles causés par l’obligation vaccinale à l’intérieur de l’hôpital : « Ils viennent beaucoup plus de l’extérieur. Il y a eu les manifestants qui ont tagué des menaces devant le domicile [en réalité celui d’un homonyme – ndlr] du directeur des hôpitaux de Marseille. L’hôpital de Pau a subi une intrusion. Et beaucoup de directeurs reçoivent des courriers d’invectives, de menaces. »