Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Déconfinement : comment sortir d’une gestion autoritaire

Novembre 2020, par Info santé sécu social

24 NOVEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le gouvernement a raté le premier déconfinement. Face à la deuxième vague, il a été contraint de prendre, une seconde fois, des mesures autoritaires. Les leçons de cet échec ne sont pas tirées : la société civile et les acteurs de la santé publique sont toujours tenus à l’écart.

Enfin une bonne nouvelle : l’épidémie reflue, vite. Le président de la République a annoncé, mardi 24 novembre, l’amorce d’un déconfinement progressif. Il débute, dès samedi, par la réouverture des petits commerces et des lieux de culte, et par l’élargissement à 20 kilomètres de la possibilité de circuler. Le 15 décembre, si le nombre de contamination est descendu en dessous de 5 000 contaminations par jour, les théâtres et les cinémas pourront rouvrir, et les activités extrascolaires reprendre. Mais un couvre-feu sera maintenu de 21 heures à 7 heures du matin. Le 20 janvier, si les fêtes de fin d’année n’ont pas été suivies par une reprise épidémique, les salles de sport et les restaurants pourront rouvrir. Puis 15 jours plus tard, les universités pourront, si tout va bien, accueillir des étudiants.

Le gouvernement tire donc les enseignements du premier déconfinement, orchestré par Jean Castex au printemps. Devenu premier ministre, il a émis cette autocritique, en forme de mise en garde, lors de son audition le 17 novembre devant l’Assemblée nationale : « Peut-être que nous avons déconfiné un peu trop vite. » Ce nouveau déconfinement sera progressif, rivé sur la limite de 5 000 contaminations par jour, qu’il ne faudra pas dépasser.

La France va tenter de s’extraire, à tâtons, du marasme sanitaire économique et social. Mais les limitations de sorties, encadrées par des autorisations et sous la menace d’amendes, restent.

« Il faut trouver impérativement un équilibre entre la santé, l’économie, le social, sinon la société va péter. Ce réglage-là, ce ne sont pas quelques policiers et quelques experts qui vont le trouver », met en garde l’addictologue Jean-Pierre Couteron. « Ceux qui nous gouvernent aiment bien l’exercice de l’autorité, un peu par principe. Ils ont aussi du mal à croire que les gens peuvent faire des choses intelligentes », renchérit Marc Dixneuf, directeur général de l’association Aides, qui a l’expérience de la lutte contre le VIH.

« Dans une crise sanitaire comme celle que nous traversons, il faut une démarche démocratique, pas guerrière. Il faut faire appel au citoyen, à son autonomie », dit encore le professeur Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique. Tout le contraire de l’annonce de mardi soir du Président de la République, qui veut rendre « contraignant » l’isolement des cas positifs et des cas contacts. Il se tourne vers le gouvernement et le parlement pour réfléchir aux « conditions » législatives de cet isolement contraint. Les personnes isolées seront accompagnées sur « le plan matériel, sanitaire et psychologique » par les services de l’État, les municipalités et les associations, a-t-il annoncé assez vaguement.

« L’isolement est le point mort de la politique tester, tracer, isoler, reconnait Emmanuel Rusch. Mais parce qu’il faut accompagner l’isolement, dans une démarche bienveillante. » Il juge « inquiétante » l’idée de ce confinement rendu contraignant.

Mais Emmanuel Rusch n’a jamais été consulté, comme l’ensemble du monde de la santé publique.

Il est aussi le président de la Conférence nationale de santé (CNS), un organisme consultatif placé auprès du ministère de la santé qui réunit les acteurs de la santé dans son sens le plus large, des représentants des patients aux associations de prévention, aux partenaires sociaux ou encore aux élus locaux, des représentants du monde hospitalier à ceux de la santé scolaire ou de la santé au travail. La CNS est supposée faire vivre « la démocratie en santé ».

Seulement, à aucun moment depuis le début de la crise, la Conférence n’a été saisie par le ministère de la santé. Son assemblée générale s’est tenue la semaine dernière, en visioconférence, et son président a été surpris : « Je n’ai jamais vu la Conférence nationale de santé aussi mobilisée, explique Emmanuel Rusch. Les retours d’expérience étaient nombreux, comme les questions sur les mois à venir. L’inquiétude est grande sur les conséquences à long terme de cette crise. On garde espoir que les pouvoirs publics s’appuient enfin sur nous… »

Cette crise relève une « caractéristique du fonctionnement de la bureaucratie française : celui de donner l’illusion qu’elle peut à elle seule assurer la protection des populations contre tout type de risque », analysent les sociologues Henri Bergeron et Patrick Castel dans leur récent ouvrage « Covid-19 : une crise organisationnelle » (Presses de Sciences-Po). En agissant ainsi, l’exécutif suscite « des attentes qu’il n’est pas en mesure de satisfaire, il crée un sentiment indu de protection et de sécurité. Il s’expose de ce fait à des critiques toujours plus nourries lorsqu’une nouvelle crise survient et que ces défaillances surgissent ».

Les sociologues analysent notamment « l’extravagante créativité organisationnelle » du gouvernement au plus fort de la crise, au printemps dernier. En plus des nombreuses agences gouvernementales, hauts conseils et sociétés savantes, il a créé le Conseil scientifique et le Comité analyse, recherche et expertise. C’est sur leurs avis que s’appuie largement le Conseil de défense pour régenter la vie du pays depuis le mois de mars.

« On retrouve la nature “jupitérienne” de l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron, qui a du mal à négocier avec les corps intermédiaires et se méfie des administrations. Il a ainsi voulu s’octroyer un espace de décision autonome. » Le Conseil scientifique reste cependant resté cantonné aux questions sanitaires, dans un rôle consultatif. La décision est bien politique. Patrick Castel souligne que le président du Conseil scientifique a très vite « vu les réelles difficultés posées par cette gestion de crise très élitaire », en réclamant à de nombreuses reprises l’implication de la société civile, comme dans ce courrier que nous avions révélé. Cet avis répété n’a jamais été suivi par le gouvernement.

Jean Castex, pas encore premier ministre, assurait pourtant dans son plan de préparation à la sortie du confinement, le 6 mai dernier : « La sortie du confinement ne réussira que si elle est fondée sur l’implication du peuple français », « La doctrine générale du déconfinement reposera sur les acteurs de terrain : les partenaires sociaux dans les entreprises, le couple préfet/maire et plus généralement l’ensemble des forces vives de la nation. » Finalement, on aura surtout vu à l’œuvre le couple préfet/maire, le second la plupart du temps sommé d’appliquer les directives du premier, qui sont en réalité celles de l’exécutif.

« Être à 100 % bien dans la vie, c’est compliqué »
Cette gestion autoritaire, et défaillante, de la crise, a été particulièrement frappante dans l’Éducation nationale.

Après les vacances de la Toussaint, les lycéens ont repris le chemin de leur établissement dans la plus grande confusion. À Paris, une dizaine de lycées étaient bloqués. Au lycée Colbert, les policiers ont dressé des amendes de 135 euros pour « rassemblement interdit ». Le motif de la manifestation des lycéens n’était pourtant pas futile : ceux-ci protestaient contre les conditions sanitaires dans leurs classes, leurs cantines surpeuplées (notre article ici).

« C’est toujours pareil : les jeunes ne sont jamais écoutés. Et la crise sanitaire est une excuse supplémentaire pour que rien ne soit discuté », dit, dépité, Mathieu Devlaminck, président de l’Union nationale lycéenne (UNL). Après un an sans aucune rencontre avec les syndicats lycéens, ceux-ci ont finalement été invités à deux réunions sur le protocole sanitaire, il y a dix jours seulement.

Dans les établissements, il n’y eut « aucune pédagogie, aucun temps d’échange sur ce virus, affirme le lycéen. Moi-même, je ne sais pas très bien comment il se transmet. Et je ne parle même pas de la transparence sur les chiffres de contaminations. »

Libération a en effet montré que les chiffres de contaminations remontés par l’Éducation nationale et communiqués par le ministre étaient bien inférieurs à ceux de Santé publique France dans la classe d’âge des lycéens et des collégiens.

Si les cas positifs sont si mal comptés dans les établissements scolaires, c’est par la faute d’un enchaînement de dysfonctionnements de l’administration, énumérés par Saphia Guereschi, secrétaire générale du Syndicat national des Infirmier·e·s. se conseiller·e·s de santé FSU. « Il n’y a pas eu de réelle concertation sur les protocoles sanitaires, à chaque fois présentés la veille pour le lendemain. Il n’y a jamais eu de bilan des protocoles sanitaires. C’est nous, les infirmiers scolaires, qui avons été mobilisés pour faire le tracing des cas dans les établissements, à la place des ARS et de l’assurance-maladie. » Seulement, une seule infirmière à la charge de 1 700 élèves en moyenne. Ce tracing est donc « très mal fait, ou n’est pas fait du tout », reconnaît-elle.

Les infirmiers et les infirmières se voient aussi contraints d’abandonner leurs autres missions alors que « les jeunes ne vont pas bien ». Pour faire face à l’épidémie de coronavirus, ils pourraient par exemple faire de « l’éducation à la santé, par demi-groupe, pour écouter les jeunes, savoir où ils en sont, et élaborer avec eux des stratégies de prévention. On sait qu’ils sont inquiets pour eux, pour leurs proches ».

Au cours de l’été, à la rentrée, l’épidémie est repartie très fortement chez les jeunes, très probablement à l’occasion de fêtes, qui ont été décrites dans de nombreux pays comme des événements super-propagateurs du virus.

Le gouvernement peut-il interdire les fêtes à l’avenir ? « Ce virus, et ses impératifs sanitaires, touche à une dimension sociale très importante, et à l’équilibre psychique d’un certain nombre de personnes, analyse l’addictologue Jean-Pierre Couteron. Pour moi, c’est facile de ne pas faire la fête. Pour les jeunes dont je m’occupe, c’est très difficile. »

« On a du mal en France, à trouver la zone grise, là où les comportements ne sont ni tout à fait bien ni tout à fait mal », poursuit-il. Chercher cette zone grise, en santé publique, cela s’appelle « la réduction des risques ». Car « être à 100 % bien, dans la vie », c’est compliqué, surtout au milieu d’une crise sanitaire qui nous prive de beaucoup de chaleur humaine.

« Si je prends un risque, comment je le réduis ?, complète Marc Dixneuf, de l’association AIDES. En faisant très attention pendant les dix jours suivant la prise des risques, aux gestes barrières, à ses proches. »

L’association AIDES est aujourd’hui sollicitée par certaines agences régionales de santé pour participer au dépistage avec les nouveaux tests antigéniques, qui donnent un résultat en 30 minutes. AIDES pourrait les déployer auprès des « travailleurs du sexe, des migrants, des usagers de drogue, de la communauté homosexuelle, énumère Marc Dixneuf. Mais pour faire quoi ? On ne comprend pas bien ce qu’attendent ces ARS ».
Autrement dit, à partir d’un test positif ou négatif au coronavirus, quel est le discours de prévention qui doit être porté, sur l’isolement des cas positifs, les gestes barrières, la protection des proches ?

« Aujourd’hui, quand les personnes sont testées positives au coronavirus, on leur remet un document très dense, illisible, sur la conduite à suivre », regrette Marc Dixneuf.

Ce que ne parvient pas à faire le gouvernement, de grandes villes s’y attellent. Dans le courant de la semaine, la maire de Paris Anne Hidalgo doit annoncer l’installation d’un « comité consultatif » pour gérer localement la crise sanitaire. Y siégeront des experts, et des représentants de la vie économique, sociale et culturelle locale. Ils détermineront différents seuils d’alerte et de mesures à mettre en œuvre, secteur par secteur.

La démarche est un peu plus avancée à Grenoble, où « un comité citoyen de 200 personnes est déjà installé, explique l’adjoint à la santé Pierre-André Juven. Il comprend des citoyens tirés au sort, des représentants du monde associatif et des experts. On les interroge sur les sujets qui mettent en tension la société ». Par exemple, à Grenoble, la question des sorties en montagne est très importante. « Mais les médecins nous ont expliqué à quel point l’hôpital est saturé, ils ne veulent pas avoir à prendre en charge les accidents en montagne. L’argument a porté. Mais dans un second temps, on pourra réfléchir sur des sorties en montagne qui évitent les activités les plus à risque. »

La ville de Grenoble s’est aussi confrontée à la question des fêtes étudiantes à la rentrée qui ont « créé des tensions entre les générations, le contrat social était en danger », estime Pierre-André Juven. La mairie a donc été à la rencontre des nombreux bureaux des étudiants (BDE) qui organisent les fêtes dans les grandes écoles et les universités. « On a tenté de trouver un modus operandi : éviter les grosses fêtes, les bars bondés, privilégier de plus petits cercles de sociabilité. Et surtout, quand on prend des risques, veiller à ses proches. Il faut chercher un compromis entre la sécurité sanitaire et l’équilibre des vies. Cela suppose de rogner sur des choses, pour préserver l’essentiel. »