Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Déconfinement : l’exécutif se contredit encore

Avril 2020, par Info santé sécu social

28 AVRIL 2020 PAR ELLEN SALVI

En présentant le plan de déconfinement du gouvernement, Édouard Philippe a largement nuancé la date du 11 mai promise par Emmanuel Macron. Au plus haut niveau de l’État, la confusion est totale. Partout ailleurs, la défiance est immense.

Édouard Philippe l’a énoncé clairement : il veut agir avec « prudence ». En présentant devant l’Assemblée nationale son plan de déconfinement, le premier ministre a confirmé que la réalité de la crise sanitaire était bien plus complexe que de simples promesses présidentielles. « Je le dis aux Français, si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas le 11 mai, ou nous le ferons plus strictement », a-t-il insisté, mardi 28 avril, avant de détailler « l’architecture générale » de la stratégie gouvernementale.

Contrairement à Emmanuel Macron qui avait martelé la date du 11 mai lors de sa dernière allocution, le locataire de Matignon a renvoyé bon nombre de dispositifs à celle du 2 juin, qui fait aujourd’hui figure de nouvelle échéance. Il a également précisé que les mesures seraient adaptées « département par département », en fonction d’un certain nombre de critères établis par la direction générale de la santé (DGS) et Santé publique France (SPF). Le déconfinement ne sera donc pas « régionalisé », comme l’avait indiqué l’Élysée, mais « départementalisé ». Ce qui revient peu ou prou à la même chose.

Sur la question de la « réouverture progressive » des écoles, qui a cristallisé les tensions depuis deux semaines, Édouard Philippe a expliqué vouloir « laisser le maximum de souplesse au terrain ». « Je sais que c’est ainsi que les directeurs d’école, les parents d’élèves, les collectivités locales trouveront ensemble, avec pragmatisme, les meilleures solutions. Je leur dis que nous les soutiendrons et que je leur fais confiance », a-t-il affirmé, sans toutefois réussir à convaincre les groupes d’opposition, comme en témoigne le débat parlementaire qui s’est ensuivi.

« Personne, monsieur le premier ministre, ne doit être tenu de gagner les paris du président de la République. Le bon moment pour déconfiner, c’est le moment où l’on est prêt », a rappelé le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure à la tribune. Or, à l’évidence, les inconnues sont encore beaucoup trop nombreuses pour que l’État puisse s’engager sur quoi que ce soit de solide. D’où sa volonté manifeste de faire reposer les responsabilités sur le local et le « volontariat ». Le constat d’échec est flagrant, mais il n’est exprimé qu’entre les lignes.

Le discours d’Édouard Philippe se voulait tout de même circonstancié, sans fioriture ni grandiloquence, à l’opposé exact des allocutions présidentielles. Au cours des quinze derniers jours, les cabinets ministériels et les services de l’État ont planché sur un plan qu’Emmanuel Macron avait exigé le 13 avril, sans s’être assuré au préalable que la logistique suivrait. Quinze jours durant lesquels cette méthode très personnelle a entraîné des cafouillages à tous les étages. Et révélé en filigrane les errements du pouvoir.

Après avoir distribué aux ministres concernés les tâches auxquelles ils devaient s’atteler, Matignon a récupéré en milieu de semaine dernière dix-sept plans articulés autour de six thématiques : la politique sanitaire, l’école, le travail, les commerces, les transports, et la vie sociale. Tout le week-end, les réunions se sont enchaînées rue de Varenne autour des directeurs de cabinets et du coordinateur interministériel Jean Castex. Les ultimes arbitrages ont été actés en petit comité à l’Élysée, lundi après-midi.

« En dehors d’Olivier Véran [le ministre de la santé – ndlr], rares sont ceux à connaître les grandes lignes du plan », confiait lundi un conseiller ministériel. Comme d’habitude, chacun a travaillé en silos, et les décisions ont été prises au sommet de l’État par une poignée de personnes. Cette façon de procéder est assumée depuis toujours par l’exécutif, malgré la défiance qu’elle entraîne. « Comme plus de 6 Français sur 10, nous ne vous faisons pas confiance pour réussir le déconfinement », a fait valoir le patron des députés Les Républicains (LR) Damien Abad.

Le plus gros marqueur de cette défiance concerne les masques, sujet sur lequel l’exécutif n’a cessé de mentir depuis le début de la crise sanitaire et qui, de l’aveu même d’Édouard Philippe, « a suscité l’incompréhension et la colère de nombreux Français ». Sans jamais reconnaître ce qui relève aujourd’hui de l’évidence, à savoir l’adaptation du discours politique à la pénurie, le premier ministre s’est au contraire retranché une nouvelle fois derrière les scientifiques, qui « ont eux-mêmes évolué » sur cette question.

« Au début, beaucoup nous disaient que le port du masque en population générale n’était pas nécessaire, que le risque du mauvais usage était supérieur aux avantages espérés. Et nous l’avons donc répété. Je l’ai dit, a-t-il indiqué devant l’Assemblée. Ils nous disent aujourd’hui, parfois les mêmes, qu’il est préférable, dans de nombreuses circonstances de porter un masque plutôt que de ne pas en porter. Et il me revient donc de le dire. Et de faire en sorte que cela soit possible. » Sur ce sujet comme sur d’autres, l’expertise scientifique a été utilisée à géométrie variable.

Emmanuel Macron l’avait pourtant promis, dès le 12 mars, lors de sa première allocution consacrée à l’épidémie de Covid-19 : « Un principe nous guide pour définir nos actions, il nous guide depuis le début pour anticiper cette crise puis pour la gérer depuis plusieurs semaines, et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent. » Mais pour annoncer la réouverture des écoles un mois plus tard, le président de la République a choisi de s’asseoir sur le principe qu’il avait lui-même édicté, en s’opposant à son propre conseil scientifique.

Ses soutiens s’en sont d’ailleurs bruyamment félicités. « Il a enfin compris qu’il ne pouvait pas être leur marionnette ! », se réjouissait un habitué de l’Élysée au lendemain de la dernière allocution présidentielle. Dans son avis daté du 20 avril, le conseil présidé par Jean-François Delfraissy proposait en effet « de maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre ». Sachant qu’il ne serait pas suivi, il ajoutait « prendre acte de la décision politique » du chef de l’État, laquelle repose sur d’autres critères, sociaux et économiques.

« Dans les quartiers défavorisés, ce n’est pas quelques semaines de perdues, c’est toute une scolarité », souligne à Mediapart l’entourage d’Édouard Philippe. L’argument s’entend et pourtant, il a lui aussi ses limites. « En parlant de “volontariat” et en faisant la porter la responsabilité aux parents, on accroît encore les inégalités », souffle un conseiller ministériel. Sur ce point encore, le discours de l’exécutif a été adapté en fonction des circonstances. L’avis du conseil scientifique, qui était prêt depuis un moment, a d’ailleurs tardé à être rendu public, le gouvernement attendant qu’il soit complété par une note détaillant les conditions de réouverture des écoles.

Les mêmes qui se retranchaient derrière les expertises des « sachants » pour justifier leurs décisions politiques – le maintien du premier tour des municipales – s’en détachent désormais pour arbitrer des questions de santé publique. La confusion est totale. D’autant plus qu’elle est entretenue par des ministres comme Jean-Michel Blanquer (éducation nationale) qui annoncent des mesures avant qu’elles ne soient gravées dans le marbre, mais aussi par l’Élysée qui organise des « briefs » avec les journalistes, sans mettre Matignon dans la boucle.

Ainsi le gouvernement a-t-il découvert, grâce aux bandeaux de BFM-TV, que le président de la République avait assuré aux élus locaux que le déconfinement ne serait pas « régionalisé », alors même que le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, avait indiqué la veille, lors de son point presse régulier, qu’il faudrait éviter les déplacements interrégionaux lors du déconfinement – sauf « motif impérieux, familial ou professionnel », les déplacements à plus de 100 km du domicile seront effectivement proscrits. « Les off du président nous mettent dans une merde noire », reconnaissait un conseiller ministériel en début de semaine.

Les errements de l’exécutif sont aussi palpables grâce aux nombreuses confidences que distillent les entourages des uns et des autres depuis quelques semaines. Dans les couloirs ministériels, nombreux sont ceux à construire des plans politiques qui témoignent à eux seuls de l’ambiance qui règne au plus haut niveau de l’État. Après une polémique sur la question du report du vote parlementaire, Emmanuel Macron a tenu à faire savoir que « l’ensemble de l’exécutif [était] pleinement aligné dans cette crise ».

« Je n’aurai aucune complaisance à l’égard de ceux qui, par des bruits et des rumeurs, tentent de diviser le gouvernement et singulièrement le premier ministre et le président de la République », a-t-il indiqué lors du conseil des ministres de mardi, selon des propos rapportés par des participants. Parmi ses soutiens, certains plaident pour un changement de premier ministre à l’issue de la crise, ce qui installe des bavardages sans fin sur une hypothèse de remaniement dont personne ne sait rien à ce jour, mais dont une partie de la presse se gargarise.

Au-delà de ces jeux politiques, somme toute assez classiques sous la Ve République, apparaît toutefois une réalité qui ne trompe personne : la méthode instaurée par Emmanuel Macron depuis le début du quinquennat, à savoir une présidence verticale qui court-circuite l’ensemble du système, se heurte aujourd’hui à une crise sanitaire inédite par ses formes et son ampleur. Les soutiens du chef de l’État ont beau continuer à saluer sa faculté à « casser les codes », le constat est sans appel. Les institutions sont malmenées, la société est braquée, les corps intermédiaires se méfient et les collectivités territoriales ne croient plus aux « jours heureux ». Quant au gouvernement, lui aussi confronté à cette hyper-présidence, il tente d’écoper le malaise. Sans y parvenir.