Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - L’hôpital ne peut plus tester la progression d’Omicron

Janvier 2022, par Info santé sécu social

Douze millions de tests PCR ou antigéniques ont été réalisés la première semaine de janvier. À l’hôpital, débordés, les laboratoires de biologie et de virologie ne criblent plus tous les PCR, laissant patients et médecins dans l’incertitude sur le variant à l’origine de la maladie.

Caroline Coq-Chodorge
13 janvier 2022

Dans cette pandémie, tout est imprévisible et incertain, à l’exception d’une chose : la capacité qu’a ce gouvernement de naviguer à vue, avec constance. Fin novembre, l’Afrique du Sud a alerté le monde sur la capacité de transmission phénoménale du variant Omicron. Mi-décembre, le Conseil scientifique a mis en garde le gouvernement sur le risque d’une désorganisation de la société, en particulier de l’école et des hôpitaux.

Une petite semaine seulement après la rentrée scolaire, le gouvernement se voit contraint d’alléger un protocole sanitaire devenu ubuesque. Désormais, les très nombreux élèves cas contacts chaque jour ne sont plus contraints de faire la queue, des heures durant, devant les pharmacies et les laboratoires de biologie débordés pour réaliser un test antigénique ou PCR. Ces élèves et leurs familles se contentent de réaliser des autotests à domicile.

À l’hôpital, la même manœuvre visant à soulager les laboratoires a eu lieu dans la plus grande discrétion. Comme les nouveaux protocoles sanitaires dans l’Éducation nationale, les DGS-Urgent pleuvent sur les professions de santé. Ce sont les nouvelles consignes envoyées au fil de la crise, en catastrophe, par la direction générale de la santé (DGS). 


Le 6 janvier, un DGS-Urgent a actualisé la doctrine de criblage des tests PCR, pourtant redéfinie le 17 décembre pour être adaptée au variant Omicron. Depuis lors, les hôpitaux ne sont plus tenus de cribler systématiquement les tests PCR, mais seulement 25 % au moins de ceux réalisés dans leurs murs.

Le criblage, en ciblant certaines mutations du virus, permet pourtant d’identifier d’une manière assez sûre le variant dont est porteur le ou la patiente positive. Ces tests de criblage permettent à Santé publique France d’évaluer à près de 90 % la présence d’Omicron sur le territoire français au 9 janvier.

Entre le 3 et le 9 janvier, près de 12 millions de tests PCR ou antigéniques ont été réalisés en France. « Omicron fait peser une pression invraisemblable sur le dépistage, explique le professeur de virologie Bruno Lina, à la tête d’un laboratoire de virologie des Hospices civils de Lyon (HCL). La demande est forte dans toute l’Europe. Des fournisseurs nous ont prévenus qu’on pourrait être un peu justes, notamment sur les kits pour réaliser les PCR. »

Et à ces tensions sur l’approvisionnement s’ajoute un manque cruel de bras dans les laboratoires de biologie des hôpitaux. « Nos laboratoires sont saturés, explique Carole Poupon, médecin biologiste à l’hôpital de Gonesse (Val-d’Oise) et présidente du Syndicat national des biologistes hospitaliers. Aujourd’hui, nous criblons à la demande des médecins dans les services, quand ils le jugent nécessaire. »

Dans la plupart des cas, il n’y a pas de bénéfice individuel à connaître le variant dont on est porteur.
Bruno Lina, professeur de virologie

« Dans la plupart des cas, il n’y a pas de bénéfice individuel à connaître le variant dont on est porteur, selon le professeur Lina. C’est en revanche indispensable pour les malades les plus à risque de formes graves, en particulier les personnes immunodéprimées qui peuvent bénéficier aux premiers temps de traitements comme les anticorps monoclonaux. Car les traitements ont des efficacités diverses sur les différents variants. »

À l’hôpital de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le criblage est ainsi limité au strict minimum. Le chef de service de la réanimation, Daniel Da Silva, explique « ne plus savoir, depuis cette semaine, quel est le variant des malades dans mon unité. La semaine dernière, il y avait encore majoritairement du Delta ». Le réanimateur confirme que « le variant ne change rien à la prise en charge médicale en réanimation ».

La Seine-Saint-Denis est de nouveau en première ligne face à la vague Omicron, avec une incidence de plus de 4 200 cas positifs pour 100 000 habitant·es la semaine dernière : « 4 % de la population a été testée positive, c’est du jamais-vu, c’est normal que les laboratoires soient débordés », décrypte Bruno Lina. 


Le suivi épidémiologique de la vague Omicron dans les hôpitaux est-il encore possible ? La France doit à son tour répondre à des questions cruciales : combien de malades infectés par Omicron vont avoir besoin d’être hospitalisés ? Quelle sera la durée des hospitalisations ? Autrement dit, les hôpitaux pourront-ils répondre aux besoins des malades, alors qu’ils ont le plus grand mal à trouver du personnel pour ouvrir des lits ?

On est aujourd’hui autour de 90 % d’Omicron de toute façon.
Jean-Michel Pawlotsky, virologue à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil)

Les modélisateurs de l’Institut Pasteur viennent de réactualiser leurs projections : ils prévoient qu’au pic de la vague hospitalière, les malades du Covid occuperont entre 3 900 et 6 000 lits de soins critiques. Le scénario optimiste est d’ores et déjà dépassé : au 12 janvier, près de 4 000 personnes sont hospitalisées en soins critiques. Le scénario le plus sombre rapprocherait cette sixième vague d’Omicron de la troisième vague qui avait contraint de confiner le pays.

Dans les plus grands hôpitaux, comme aux Hospices civils de Lyon, « tous les malades hospitalisés bénéficient encore de tests de criblage. On ne les fait plus en revanche pour les patients qui passent par les urgences avant de rentrer chez eux », veut rassurer Bruno Lina.


À l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), « 100 % des tests trouvés positifs en PCR sont criblés, explique le professeur Jean-Michel Pawlotsky, directeur du laboratoire de virologie de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne). Mais cela crée un engorgement des laboratoires, qui ont comme partout des personnels absents car infectés. Le DGS-Urgent va permettre de diminuer ce pourcentage jusqu’à un minimum de 25 %. Cela reste raisonnable, vu le nombre de positifs que nous avons chaque jour, pour avoir une idée de la dynamique évolutive des variants. On est aujourd’hui autour de 90 % d’Omicron de toute façon. Il est probable qu’on arrive près des 100 % rapidement. »

Caroline Coq-Chodorge