Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - La France se déconfine un peu plus, le virus bouge encore

Juin 2021, par Info santé sécu social

SANTÉ ANALYSE
8 JUIN 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

La France aborde mercredi une nouvelle étape du déconfinement, sous la menace de variants préoccupants. Au Royaume-Uni, l’épidémie rebondit avec le variant indien. Une bonne nouvelle cependant : la population vaccinée paraît bien protégée.

La vaccination est-elle suffisante pour maîtriser le coronavirus ? Si oui, à partir de quelle couverture vaccinale ? Alors que la France franchit mercredi une nouvelle étape de son déconfinement, le Royaume-Uni, troisième pays le plus vacciné au monde, est à ce titre surveillé comme le lait sur le feu.

Tout semblait s’y passer parfaitement bien jusque début mai. Après avoir connu cet hiver une deuxième vague virulente (portée par le variant anglais) et un reconfinement drastique, l’incidence du virus était retombée très bas, à moins de deux mille cas par jour.

Au point que les Britanniques ont déconfiné en avance sur tout le continent européen : les écoles et universités ont rouvert dès le 8 mars, la plupart des commerces non essentiels, bars et restaurants le 12 avril, les bars et les restaurants en intérieur le 17 mai… Seuls les grands rassemblements de plus de trente personnes sont encore interdits. Mais début mai, la courbe des contaminations est repartie à la hausse, et sur une pente assez forte.

Le nombre de cas positifs est en hausse de 60 % sur les sept derniers jours. Désormais, le Royaume-Uni enregistre six mille cas positifs par jour, quand la France vient de passer en dessous du seuil des sept mille. En clair : les courbes épidémiques des deux pays vont bientôt se croiser. Que se passe-t-il ? Quelle alerte la France doit-elle entendre ?

La propagation de l’épidémie s’y fait par taches : la grande majorité du pays a une incidence inférieure à 50 cas pour 100 000 habitants. Mais près de Manchester, les villes de Bolton, Blackburn et Darwen affichent une incidence très forte, autour de 400 cas pour 100 000 habitants.

La plupart des contaminations sont dues au variant indien Delta – l’Organisation mondiale de la santé a arrêté, le 31 mai, une nouvelle dénomination des variants suivant l’alphabet grec. Le variant Delta a très vite pris la place du variant britannique Alpha, apparu fin 2019 en Angleterre avant de se répandre en France.

Pour la première fois identifié le 21 avril, le variant Delta représente aujourd’hui 73 % des cas en Angleterre, selon le dernier rapport de Public Health England, l’agence de santé publique anglaise. Dans le nord-ouest du pays, là où l’épidémie rebondit, le variant représente 90 % des tests séquencés.

Ce sont les écoles et les universités qui accusent la plus forte progression du nombre de cas. Sans surprise cependant : non seulement la jeunesse britannique n’est pas vaccinée, mais depuis le 17 mai, les élèves de tous âges, jusqu’à l’université, ne portent plus de masques.

« Cela prouve qu’il ne faut pas aller trop vite dans le déconfinement, analyse le professeur Bruno Lina, à la tête du laboratoire de virologie des Hospices civils de Lyon, membre du Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires, chargé de suivre l’évolution du virus. Le Royaume-Uni a de nombreux échanges avec l’Inde. S’il impose des tests PCR pour les voyageurs, on peut douter de leur réalité ou de leur fiabilité. Le variant Delta s’est d’abord propagé dans la communauté indienne, et a rapidement pris la place du variant Alpha, dans un contexte de faible activité épidémique. La situation ne me paraît pas très inquiétante jusqu’ici, ce variant circule dans une population jeune, non immunisée. »

La situation anglaise comprend en effet une très bonne nouvelle : la vaccination paraît efficace jusqu’ici sur le variant Delta. Les Anglais suivent une cohorte de 44 000 professionnels de santé, qui acceptent de faire des tests PCR toutes les deux semaines et un test sérologique tous les mois. 30 % ont déjà eu le Covid, 95 % sont vaccinés. Le nombre de tests PCR positifs est presque nul depuis le début du mois de mars et la progression du variant indien Delta n’a eu aucune incidence.

Le rebond du variant indien interroge aussi les Britanniques sur l’intervalle entre les deux doses de vaccination, très large, jusqu’à 12 semaines. « Ils ont fait ce choix, pour des raisons de santé publique, afin de vacciner un plus grand nombre de personnes. Seulement, avec une seule dose de vaccin, la protection contre un variant préoccupant est de 30 %, contre 80 % après deux doses », explique Bruno Lina.

L’épidémiologiste Renaud Piarroux, professeur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, lit la situation comme un équilibre des forces : « D’un côté, on a des variants plus transmissibles, dont le variant indien. Le virus a gagné en capacité de transmission : au début de l’épidémie, avec le variant historique, on estimait que sans immunité ni mesures de protection, une personne contaminait trois personnes. Aujourd’hui, une personne porteuse du variant indien pourrait théoriquement contaminer sept personnes. Face à ce virus, il nous faut maintenir des forces contraires, ne pas relâcher trop vite les gestes barrières, et surtout le dispositif “tester, tracer, isoler”. Et il faut continuer à vacciner, aller chercher la population la plus éloignée des soins pour augmenter autant que possible la couverture vaccinale. »

La France est dans une phase de décrue épidémique très nette. Nombre de contaminations, nombre d’admissions à l’hôpital, en réanimation, tout baisse. Le pays aborde cependant la deuxième étape de son déconfinement dans une situation bien moins favorable que les Britanniques : il y a encore près de 7 000 Français contaminés chaque jour par le coronavirus.

Or ce mercredi 9 juin marque la réouverture des lieux où ont été décrits le plus grand nombre de clusters : les salles de sport, l’intérieur des bars et des restaurants. Le télétravail est également assoupli.

Et localement sont apparus les premiers signaux d’une reprise épidémique, en particulier en Nouvelle-Aquitaine. Le nombre de cas a augmenté fortement il y a une semaine dans les Pyrénées-Atlantiques, un peu plus doucement dans les Landes, le Lot-et-Garonne, la Charente-Maritime. La Gironde a aussi connu une augmentation des cas il y a deux semaines.

« L’analyse, un peu empirique, qui nous remonte par l’agence régionale de santé, est qu’il y a eu un important relâchement des gestes barrières dans cette région peu touchée », explique le virologue Bruno Lina.

Cette situation un peu dégradée s’explique aussi, selon lui, « par un défaut de surveillance des variants dans cette région ». Cette surveillance est assurée par l’enquête Flash coordonnée par Santé publique France et réalisée régulièrement.

La dernière, l’enquête Flash #9, dont les premiers résultats ont été rendus publics le 1er juin, repose sur le séquençage de 1 572 tests positifs sur le territoire. « Des laboratoires publics et privés répartis sur le territoire nous envoient, d’une manière aléatoire, des tests que nous séquençons pour avoir une vision précise des différents lignages du virus qui circulent sur le territoire », explique Bruno Lina, qui participe avec son laboratoire à ce travail.

« Ce séquençage nous permet de repérer, de manière assez sûre, une circulation anormale du virus localement. Quand cette situation est repérée, on peut intervenir, tester et séquencer de manière plus exhaustive, pour essayer d’éteindre un foyer épidémique », poursuit le virologue.

Ce fut par exemple le cas avec le cluster de « variant breton » à Lannion (Côtes-d’Armor), ou celui de variant anglais présentant une mutation en position E484 sur la protéine Spike, dans le quartier de Bacalan à Bordeaux. C’est aujourd’hui le cas dans les Landes, où il y a une « circulation communautaire », à l’intérieur des familles, dans les écoles, de proche en proche, du variant indien Delta.

Pour Bruno Lina, la situation dans les Landes s’explique aussi par « l’absence des laboratoires landais dans l’enquête Flash. Il y a eu un retard dans la détection de la présence du variant indien. Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé pour que de nouveaux laboratoires participent à cette enquête, afin d’être plus exhaustifs ».

La dernière enquête Flash montre que le variant britannique Alpha est toujours prédominant (84,9 % des tests séquencés). Le variant indien Delta est sporadique. En revanche, l’ensemble des variants présentant une mutation sur la position Spike en position E484 est en augmentation.

Parmi, ces variants se trouvent le sud-africain (Bêta), le brésilien (Gamma), ainsi que le variant anglais présentant cette mutation. Leur part est passée de 8,7 % dans l’enquête Flash #7, mi-mai, à 14,1 % dans l’enquête Flash #9, dont les premiers résultats viennent de paraître.

En France, ce sont ces variants qui inquiètent le plus : « On observe depuis plusieurs semaines leur augmentation lente. Est-ce qu’elle va s’accélérer ? C’est une hypothèse, explique Bruno Lina. On sait que la protection des vaccins diminue un peu, de l’ordre de 10 %, face à ces variants. Ils peuvent être dangereux pour les personnes vaccinées qui ont de faibles défenses immunitaires, en raison de leur âge et d’une maladie. La dernière réunion organisée par l’Organisation mondiale de la santé la semaine dernière était cependant rassurante : dans la famille des coronavirus à Sars-CoV-2, aucun n’échappe complètement à l’immunité acquise naturellement, ou par les vaccins. »

Le virologue membre du conseil scientifique finit par donner son appréciation de la situation : « Ce virus pandémique s’est installé sur l’ensemble de notre petite planète. Le zéro Covid est illusoire, à moins de rester confinés éternellement. Il y a désormais deux solutions possibles : être infecté ou être vacciné. Personne ne peut prétendre y échapper. »