Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Malgré le Covid, le gouvernement remet au travail des personnes vulnérables

Septembre 2020, par Info santé sécu social

2 SEPTEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Depuis lundi, de nombreuses personnes fragiles et ainsi grandement exposées au Covid-19 doivent reprendre le chemin du travail. Soutenue par de nombreuses associations de patients, cette décision du gouvernement soulève l’angoisse et l’incompréhension de nombreux malades et proches de malades.

Le masque est devenu l’instrument magique de prévention, celui qui permet le retour à une vie économique et sociale presque normale. Le gouvernement remet donc la société française au travail, des petits aux grands, jusqu’aux malades.

La menace planait depuis l’été : le gouvernement voulait revenir sur le généreux dispositif d’activité partielle qui courait depuis le 1er mai. Toutes les personnes malades susceptibles de développer une forme grave de Covid-19, mais aussi les personnes vivant avec eux, conjoints ou parents, pouvaient jusqu’ici se faire prescrire un certificat d’isolement par leur médecin traitant, qui leur ouvrait le droit au télétravail. Et si ce n’était pas possible, ils étaient placés au chômage partiel, pris en charge à hauteur de 84 % par l’État.

Selon les chiffres du ministère du travail, en juillet, 120 000 salariés étaient en activité partielle en juillet, certains pour garder leur enfant, mais la plupart en raison d’une situation de vulnérabilité.

« Le ministère de la santé a évoqué la fin du dispositif en juillet, raconte Magali Leo, porte-parole de l’association Renaloo. Cela nous a inquiétés. Mais la situation épidémique n’a finalement pas été jugée favorable. »

Elle s’est depuis dégradée, mais qu’importe, le ministre de la santé, Olivier Véran, a fait tomber la sentence, le 27 août : « Les personnes vulnérables qui étaient en activité partielle vont pouvoir reprendre leur activité, mais nous garderons la possibilité d’un maintien en activité partielle pour les plus fragiles des plus vulnérables, ceux qui présentent un risque élevé de développer une forme grave du Covid », a expliqué Olivier Véran.

La décret est paru le 29 août et réduit drastiquement la liste des personnes vulnérables face au Covid-19, à celles jugées « les plus fragiles ». N’y restent que les malades atteints d’un cancer évolutif, les personnes immunodéprimées, celles de 65 ans et plus atteintes d’un diabète compliqué, les personnes dialysées et souffrant d’une insuffisance rénale chronique sévère.

Les malades qui sortent de la liste sont très nombreux : tous les plus de 65 ans non diabétiques, les personnes avec des antécédents cardiovasculaires (hypertension artérielle, victimes d’accident vasculaire cérébral, etc.), les diabétiques de moins de 65 ans, tous ceux atteints d’une maladie respiratoire chronique et les personnes obèses.

Émilie (elle a requis son anonymat), une jeune femme de 27 ans, a été rappelée dès lundi par la grande banque où elle travaille comme conseillère de clientèle, pour parler de son retour au travail, dans son agence. Mais elle craint d’en « mourir ». Car elle est atteinte d’une obésité morbide et d’une hypertension. Depuis le mois de mars, elle vit recluse, limitant autant que possible ses sorties. Elle a même décohabité avec son compagnon, qui travaille dans un hôpital. Elle ne voit aucune issue à sa situation : « Je ne peux pas travailler de mon domicile, car nous n’avons pas le droit de ramener chez nous les données confidentielles de nos clients. »

Elle lit ainsi le changement de pied du gouvernement : « On nous a d’abord enfermés chez nous, pour désengorger les hôpitaux. Maintenant qu’il y a 14 000 lits de réanimation disponibles, nous pouvons ressortir, il y aura un lit pour nous. Le gouvernement veut refaire tourner l’économie, nous sommes des pions. »

Avant la parution du décret, Olivier Véran a pris la peine de réunir les associations de patients. « On a insisté sur l’inadaptation de l’arrêt maladie : son indemnisation est rapidement dégressive, elle passe à la moitié du salaire au bout de deux mois, raconte Magali Leo, de Renaloo. De plus, les malades chroniques ont très souvent de faibles revenus. Il nous a alors été demandé en urgence une liste de personnes très à risque. On a transmis une proposition proche de celle des Britanniques, à laquelle on a ajouté les personnes ayant plusieurs facteurs de risques cumulés et celles qui cohabitent avec des personnes vulnérables. Mais notre proposition a été jugée trop large. Ils n’ont d’abord retenu que les malades du cancer sous traitement et les immunodéprimés. On a pu au dernier moment faire ajouter les insuffisants rénaux ainsi que les diabétiques dont l’âge minimal a ensuite été porté à 65 ans. »

« Mais le compte n’y est pas, poursuit-elle. Plusieurs situations qui correspondent pourtant à un risque très élevé n’y figurent pas, et l’exclusion des conjoints montre un défaut de compréhension des enjeux et de la vraie vie des patients. Cette décision s’appuie sur l’avis encore non publié du Haut Conseil de la santé publique, qui n’a pas souhaité caractériser les personnes “à risque médical très élevé” en jugeant que c’était trop difficile et donc recommandé de remettre tout le monde au travail sur site, sans exception. »

« Le Haut Conseil de la santé publique est l’instance scientifique du ministère de la santé, ce n’est pas une autorité indépendante », souligne, de son côté, Jean-François Thébaut, porte-parole la Fédération française des diabétiques.

L’avis du Haut Conseil de la santé publique daté du 20 août n’a même pas été publié. Nous avons pu cependant nous le procurer. Il conclut en effet que, pour tous les malades, « le risque d’être exposé, en l’état actuel de l’épidémie, ne paraît pas plus important en milieu professionnel qu’en population générale sous réserve de l’application stricte des mesures barrières, notamment le port du masque désormais obligatoire en milieu clos. Les personnes à risque de forme grave de Covid-19 peuvent reprendre une activité professionnelle sous réserve que leur soit donnée la possibilité de mettre en œuvre les mesures barrières renforcées, qui sont les mêmes que pour le reste de la population ».

« La peur est aussi rationnelle »
Avant de conclure, il cite les données scientifiques disponibles. Selon Santé publique France, 83 % des personnes admises en réanimation pour un Covid-19 avaient au préalable au moins une autre maladie. Dans le détail, 36 % étaient atteintes d’une hypertension artérielle, 33 % d’un surpoids ou d’une obésité, 25 % d’un diabète, 19 % d’une pathologie cardiaque.

Si l’on s’intéresse aux décès du Covid-19 en France, du 1er mars au 6 juillet, les malades cardiaques sont les plus frappés (34 %), suivis par ceux avec une hypertension artérielle (25 %), puis un diabète (16 %), une pathologie respiratoire chronique (13 %), une maladie rénale chronique (13 %), une pathologie neurologique (9 %), une obésité (6 %) et une immunodéficience (2 %).

Ces chiffres bruts ont cependant peu de sens, car les diabétiques sont bien plus nombreux que les greffés. Ce graphique, issu de l’étude britannique OpenSafely parue dans la revue Nature, donne à voir le sur-risque de différentes pathologies : le « hazard ratio », ou taux de dangerosité, est de plus en plus significatif à partir de 1. L’âge apparaît comme le facteur le plus prédictif d’une forme grave de Covid-19. Mais le sur-risque est aussi caractérisé pour les greffés d’organe, les personnes atteintes d’une obésité sévère, d’un diabète déséquilibré ou encore d’une maladie chronique respiratoire.

Que ces patients n’aient pas été retenus par le gouvernement ne choque pas toutes les associations de patients. Jean-François Thébaut, porte-parole de la Fédération française des diabétiques (FFD), mais aussi médecin cardiologue, se félicite même que « pour la première fois un ministre consulte les associations de patients ». Sur le fond, le décret lui convient également : « Dans un réflexe d’hyper-protection, on a mis tous les diabétiques dans le même panier. Certains se sont retrouvés exclus du travail et se sont sentis discriminés. Des enfants diabétiques de type 1 n’ont pas compris pourquoi ils ne pouvaient pas revenir à l’école, et ils avaient raison : il n’y a pas de risque pour eux. Ils se sont sentis discriminés, c’est aussi un enjeu éthique. C’est important pour les malades de reprendre le travail, de ne pas être exclus de la société. »

Cette position est aussi défendue par France Assos Santé, la fédération des associations de patients. Son président, Gérard Raymond, n’a pas trouvé le temps de nous répondre.

Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses, est, elle, plus partagée : « Bien sûr, les malades à risque doivent se remettre en mouvement. Certains sont pétrifiés, n’osent plus sortir de chez eux. Certains sont en détresse psychologique. Il faut apprendre à vivre avec ce virus. Mais pour les personnes obèses morbides, la peur est aussi rationnelle. Il faut l’entendre, aménager leurs conditions de travail pour les protéger. »

D’autres malades se sentent trahis par les associatifs. Les témoignages affluent sur les groupes Facebook de personnes paniquées à l’idée de revenir physiquement sur leur lieu de travail. Les témoignages les plus émouvant sont ceux de parents d’enfants malades, qui craignent de les contaminer. En quarante-huit heures, une pétition a déjà recueilli plus de 4 000 signatures.

Pour les malades sortis de la liste, le médecin du travail n’est même plus un recours. Gérard Lucas, pour le Conseil national professionnel de médecine du travail, s’en félicite : « Jusqu’au 31 août, nous pouvions rédiger des arrêts de travail. Mais cela nous obligeait à en dévoiler les raisons à l’employeur, ce qui était une manière de lever le secret médical. Notre mission aujourd’hui est de nous assurer que la distance physique est assurée et que les locaux sont bien aérés. Nous sommes particulièrement vigilants dans les espaces de travail partagés où les circuits de renouvellement de l’air sont fermés. »

Le seul recours est le médecin traitant, qui peut prescrire un arrêt de travail. Pour le syndicat de médecins généralistes MG France, ceux-ci se retrouvent dans une position difficile : « Les malades ne comprennent pas ce changement de doctrine, raconte Margot Bayart, vice-présidente de MG France : pourquoi étaient-ils vulnérables hier et ne le sont-ils plus aujourd’hui ? Ils ont peur d’attraper cette maladie. Et quand ils nous demandent un arrêt maladie, on se pose des questions. Cette année, on en a prescrit un nombre effarant, on est conscients du coût pour la société. Par ailleurs, l’Assurance maladie peut nous contrôler. Si le patient affirme que son employeur ne respecte pas les mesures barrières, qu’est-ce qui me le prouve ? Je suis du côté de mes patients. Mais la peur peut aussi les faire dériver. »

Jean-François Thébaut, le porte-parole de la Fédération française des diabétiques (FFD), reconnaît que l’incertitude est totale sur le niveau de risque pris par les malades. « Si la situation épidémique se dégrade vraiment, il faudra revenir en arrière », prédit-il.