Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Reconfinement : un premier week-end à couacs

Mars 2021, par Info santé sécu social

SANTÉ NOTE DE VEILLE

21 MARS 2021 PAR PAULINE GRAULLE

Entre l’entrée en vigueur de mesures sanitaires complexes, l’énorme bévue gouvernementale sur les attestations de sortie, et la lassitude des Français face à ces nouvelles restrictions de liberté, le reconfinement s’annonce d’ores et déjà plus difficile à mettre en œuvre que l’an dernier.

Le printemps, la saison du redoux, de la montée de la sève et… du confinement. Pour la deuxième année consécutive, les habitants de l’Île-de-France, des Hauts-de-France, des Alpes-Maritimes, de la Seine-Maritime et de l’Eure sont, depuis samedi 20 mars, priés de mettre entre parenthèses leur vie quotidienne : outre les bars, les discothèques et les lieux culturels, fermés depuis plusieurs mois, les commerces dits « non essentiels » devront rester portes closes.

En plus du couvre-feu national – qui a été reporté d’une heure, à 19 heures –, les habitants des seize départements concernés se voient aussi empêchés de se déplacer dans un rayon de plus de dix kilomètres autour de leur domicile pendant au moins quatre semaines.

Deux confinements, deux ambiances. Deux jours à peine après les annonces du premier ministre, Jean Castex, sur les nouvelles mesures sanitaires mises en place, le confinement du printemps 2021 s’annonce en effet déjà bien loin du grand enfermement qui avait eu lieu l’an dernier, tant sur le fond que sur la forme.

Non seulement, il n’est plus question de se barricader chez soi. « On ne dit plus “restez chez vous” mais “chacun chez soi” ou “tous dehors”, mais sans se regrouper », a tenté d’expliquer le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, qui s’est embourbé dans un discours on ne peut plus confus sur l’autorisation pour les particuliers de recevoir, ou non, des amis à la maison.

Renseignements pris, il ne s’agit pas d’une recommandation mais d’une interdiction dans les 16 départements : 135 euros d’amende, que ce soit pour le déjeuner, le dîner, l’apéro, le goûter, le café.

Alors que la nécessité de « serrer la vis » face à la troisième vague déclenchée par le variant anglais était dans les tuyaux depuis au moins deux mois – le conseil scientifique avait ainsi suggéré, dès le 29 janvier, à Emmanuel Macron un « confinement strict » de quatre semaines, incluant la fermeture des écoles –, l’impréparation du gouvernement dans la conduite des événements est, ce week-end, apparue plus évidente que jamais.

Jeudi soir, lors de l’intervention poussive Jean Castex à la télévision, il fallait déjà faire preuve pour beaucoup de bonne volonté pour essayer d’y voir clair sur les règles de mise en œuvre des nouvelles mesures sanitaires.

Ces dernières vingt-quatre heures, c’est peu dire que, de couacs et rétropédalages, le brouillard s’est encore épaissi. Un flou qui rend les règles – déjà jugées par certains spécialistes trop « light » pour endiguer l’épidémie –, difficilement applicables. Avec les conséquences qui en découlent en termes d’efficacité quant à la lutte contre l’épidémie, mais aussi en termes de respect des directives, sachant que les sanctions demeurent : il en coûtera de 135 euros à six mois de prison aux Français contrevenant à une réglementation dont il faut bien avouer qu’elle s’avère de plus en plus difficile à comprendre.

Samedi, c’est tout d’abord le pataquès autour des attestations de déplacement qui a cristallisé les critiques. Mises en ligne vendredi soir, ces attestations, jugées à la fois incompréhensibles et kafkaïennes, ont illico déclenché un flot de moqueries sur les réseaux sociaux, les internautes s’en donnant à cœur joie pour pointer du doigt l’absurdité de la bureaucratie française.

« L’attestation comport[ait] des incohérences, comme celle de sortir son animal de compagnie, pour de brefs déplacements, dans un rayon de seulement 1 km autour de son domicile mais, dans le même temps, la possibilité de se promener en famille, sans restriction de temps, dans un rayon de 10 km autour de chez soi », expliquait par exemple France Info, ce dimanche, dans un article narrant par le menu comment « le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis ».

Après avoir reconnu la « complexité » du document samedi matin, l’exécutif a finalement fait machine arrière dès samedi midi, et indiqué qu’il suffirait de porter sur soi une attestation de domicile pour les déplacements ayant en journée dans un rayon de 10 km.

Mais trop tard : en plus de semer le trouble dans les esprits, l’affaire a réveillé l’opposition. À droite comme à gauche, tout le monde a tiré à boulets rouges contre ce « Concours Lépine de l’absurde et de l’inutile » (Bruno Retailleau, sénateur LR), ou ce document « totalement délirant » (Éric Ciotti, député LR). « Ils niaient tout. Ils n’ont donc rien prévu, rien organisé. Retour au Moyen Âge : le confinement. Puis déconfinement. Puis reconfinement. La vis sans fin », avait quant à lui raillé Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, après les annonces de Castex.

Comme si cela ne suffisait pas, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, déjà vertement critiquée pour sa gestion du secteur culturel, s’est retrouvée en bien mauvaise posture. Après s’être fait prendre en photo, chaleureuse et tactile, avec le chanteur Michel Sardou, vendredi, lors d’une cérémonie pour lui remettre les insignes de commandeur de la Légion d’honneur, la locataire de la Rue de Valois a annoncé, le lendemain, qu’elle avait été testée positive au Covid.
Problème : la ministre avait aussi rencontré, vendredi soir, plusieurs personnes de l’Opéra de Paris ne portant pas le masque, lors d’une représentation filmée, tenue en présence de quelques rares privilégiés.

Libération raconte ainsi la scène : « Roselyne Bachelot surgit de derrière le rideau, félicite chaleureusement les uns et les autres, avant de poser pour deux photos en rangs serrés avec les protagonistes du spectacle, dans le halo rosé des lumières du plateau. Sur les clichés, on verra se prêter au jeu le chef d’orchestre Lorenzo Viotti et une demi-douzaine de solistes tout sourire, parmi lesquels les stars Benjamin Bernheim et Ermonela Jaho, cette dernière enlaçant une ministre dont l’hilarité se lit à travers le masque – le seul arboré sur la photo. »

Si la ministre a, depuis, supprimé de son compte Instagram les photos où elle s’affichait avec les artistes, le malaise généré par l’affaire – une ministre contaminant peut-être des dizaines de personnes au moment même où le gouvernement restreint les libertés de ses concitoyens au nom de la santé des Français – n’est, lui, pas prêt de se dissiper…

Un week-end cauchemardesque pour le gouvernement. Et qui n’augure rien de bon quant à l’acceptabilité des nouvelles mesures sanitaires, alors que les manifestations se sont multipliées, samedi, dans plusieurs pays du monde contre la « dictature » des restrictions sanitaires contre la pandémie.

Notamment à Londres (Royaume-Uni), où au moins 36 personnes ont été arrêtées et des policiers blessés, et à Cassel, dans le centre de l’Allemagne, où des affrontements se sont produits et les forces de l’ordre ont fait usage de gaz au poivre, matraques et canons à eau.

Après les polémiques de l’automne autour du périmètre des commerces dits « essentiels », le gouvernement français, redoutant sans doute de voir se lever une nouvelle fronde, a finalement décidé de laisser ouverts, en plus des supermarchés, tabacs ou pharmacies, les libraires, disquaires, salons de coiffure, fleuristes, chocolatiers, cordonniers, concessions automobiles, et visites de biens immobiliers (lire ici).

Une main tendue qui risque d’être insuffisante pour calmer les mécontentements, rapporte, dimanche, Le Monde. Dans un reportage à Rouen, le quotidien du soir raconte la manière dont les petits commerces tentent, pour passer entre les gouttes de la fermeture, de contourner les règles en vigueur.

L’article se conclut ainsi : « L’imbroglio autour de la ténébreuse attestation de déplacement, obligatoire dans un premier temps, puis annulée samedi après-midi, pour les trajets de moins de 10 kilomètres, ne semble, elle, pas avoir vraiment perturbé les Rouennais. Et pour cause : en ce premier jour de reconfinement, beaucoup avouent ne pas l’avoir remplie. »