Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - « Tester, tracer, isoler » : la légèreté du scénario de sortie de crise en France

Avril 2020, par Info santé sécu social

15 AVRIL 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Les chercheurs sont catégoriques : sortir de déconfinement exige une politique ambitieuse non seulement de tests, mais aussi de traçage des contacts et d’isolement des cas positifs. À défaut, la France connaîtra d’autres vagues épidémiques.

Le président de la République l’a dit dans son allocution, lundi 13 avril : « L’utilisation la plus large possible des tests et la détection est une arme privilégiée pour sortir au bon moment du confinement. » Seulement, dans ce message d’« espoir » à l’adresse des Français, il n’a rien dit de la hauteur du défi, comme si les Français étaient incapables d’en saisir la portée. Le scénario de sortie de crise qu’il a dessiné ne paraît pas non plus fondé sur la connaissance scientifique du virus et des politiques de santé les plus efficaces pour maîtriser l’épidémie.

« Lever le confinement sans stratégie de sortie de crise conduirait à une seconde vague qui submergerait largement le système de santé », ont pourtant mis en garde les chercheurs de l’Inserm, le plus grand organisme public français de recherche sur la santé dans une étude (en anglais), parue le 12 avril et consacrée à « L’impact attendu du confinement en Île-de-France et les possibles stratégies de sortie ».

La vision du président de la République est a contrario minimaliste : « Le 11 mai, nous serons en capacité de tester toute personne présentant des symptômes. Nous n’allons pas tester toutes les Françaises et tous les Français, cela n’aurait aucun sens. Mais toute personne ayant un symptôme doit pouvoir être testée. Les personnes ayant le virus pourront ainsi être mises en quarantaine, prises en charge et suivies par un médecin. »

Les chercheurs de l’Inserm, conduits par Vittoria Colizza, spécialisée dans la modélisation des épidémies, ont testé, à partir de la situation épidémique en Île-de-France, plusieurs modèles de déconfinement : un recours plus ou moins grand au télétravail, à l’isolement des personnes âgées, la fermeture totale ou partielle des activités non essentielles, et enfin la mise à l’isolement des cas positifs, à partir d’une politique de test plus ou moins ambitieuse, capable de traiter 25 et 75 % des cas réels.

Si l’objectif reste de contenir l’épidémie dans des limites supportables pour notre système de santé, la seule voie de sortie possible est « une politique très large de tests » de la population et d’« isolement » des cas positifs, en dehors de leur domicile, pour éviter une contagion à l’intérieur du cercle familial. Pour l’Inserm, c’est la seule manière de relâcher le confinement général de la population. Mais les chercheurs posent deux exceptions : « Les écoles doivent rester fermées, et les personnes âgées confinées. » La première de ces deux conditions n’a pas non plus été retenue par le président de la République.

Alors que le président de la République a caressé lundi un certain « espoir », les chercheurs de l’Inserm préfèrent au contraire mettre en garde : « Des formes intensives de distance sociale restent nécessaires dans les prochains mois, en raison de la faible immunité de la population. » Ils estiment entre 1 et 6 % la proportion de la population française qui a été touchée par le virus, même sans avoir développé de symptômes, et immunisée.

Les premiers résultats des tests sur l’immunité des populations touchées par l’épidémie sont en effet décourageants. En Allemagne, une étude sérologique – qui consiste à rechercher dans le sang de la population les anticorps développés par le système immunitaire après avoir rencontré ce coronavirus – a été pratiquée dans la ville de Gangelt, qui a été un foyer de l’épidémie. Elle montre que 14 % seulement de la population a développé une immunité. À ce rythme, selon une étude co-écrite par l’épidémiologiste américain Marc Lipsitch et publiée par Science, des mesures de distance sociale permanentes ou intermittentes devront être maintenues… jusqu’en 2022. C’est évidemment un scénario pessimiste, sans vaccin contre ce coronavirus.

Mais la vie ne va pas revenir à la normale rapidement. Et il faut s’inspirer des pays asiatiques qui ont su contenir le coronavirus. Les experts de l’Organisation mondiale de la santé, de retour d’un voyage en Chine du 16 au 24 février, ont documenté la stratégie chinoise : la Chine n’a cessé d’« améliorer la rapidité de la détection des cas, de leur isolement et de leur prise en charge médicale », écrivent-ils. Elle a aussi développé « la politique de confinement d’une population la plus ambitieuse, évolutive et agressive de l’histoire », jusqu’à interdire la circulation automobile, ou les sorties du domicile, à l’exception d’une seule personne, tous les trois jours, pour faire les courses. Dans la province du Hubei, les malades ont été isolés de leur famille, installés dans des hôtels, des écoles, des centres de congrès.

L’épidémie en Chine a, un temps, semblé être éradiquée. Mais le pays-continent est aujourd’hui confronté à une nouvelle vague à partir de cas importés de l’étranger. Elle teste donc systématiquement toutes les personnes revenant de l’étranger, qui sont mises en quarantaine. Et les cas positifs sont également placés à l’isolement.

Plutôt qu’à la Chine, l’épidémiologiste de l’université de Genève Antoine Flahault invite plutôt à s’intéresser « aux modèles de distanciation sociale personnalisée mis en pratique avec succès par les autres pays asiatiques : Hong Kong, Singapour, la Corée du Sud, le Japon, Taïwan. La plupart de ces pays n’ont pas fermé leurs écoles et leurs commerces. Ils ont simplement interdit les rassemblements, développé une distance sociale de manière volontaire, en appelant la population au civisme. Et ils ont testé massivement, et isolé dans des hôtels les cas positifs. Les cas contacts sont tracés, également testés et mis en quarantaine. » Il résume ainsi la politique à suivre : « tester, tracer, isoler ».

La France a pris énormément de retard dans cette politique de test de la population, comme le prouve ce travail collaboratif et international de collecte des données sur les pratiques de tests, réalisé par des chercheurs réunis sur le projet Our world in data. Cette carte montre que la France est, avec le Royaume-Uni, le pays qui teste le moins parmi les pays les plus touchés, très loin derrière l’Allemagne et l’Italie.

Cette carte est cependant à lire avec précautions, car en réalité les chiffres communiqués par Santé publique France sont partiels et difficiles à exploiter. François Blanchecotte, le président du Syndicat des biologistes (SDB), estime que les laboratoires privés ont réalisé la première semaine d’avril « au moins 120 000 tests ». Selon Santé publique France, les laboratoires hospitaliers ont de leur côté réalisé 80 000 tests. Cela correspond aux chiffres avancés hier sur RTL par le ministre de la santé Olivier Véran : « Nous sommes en train d’aller vers les 200 000 tests par semaine. L’Allemagne, qui est le pays qui teste le plus, est un peu en dessous des 300 000 tests par semaine. »

Pour François Blanchecotte, le principal frein au développement des tests tient aujourd’hui « aux moyens humains de prélever. Dans la Région Centre, l’Agence régionale de santé me demande de réaliser 55 000 tests dans les Ehpad. Cela va prendre un certain temps… ». Selon lui, l’objectif à atteindre est de « tester tous les cas symptomatiques, tout l’entourage des cas positifs, ainsi que toutes les personnes vivant ou travaillant dans des milieux collectifs fermés ».

Dans son avis du 2 avril, le Conseil scientifique écrit être confiant dans « la montée en puissance rapide des capacités diagnostiques », et ce « bien avant l’échéance de la levée du confinement ». Devrait alors devenir possible le dépistage des « personnels soignants au contact des populations fragiles », des « suspicions d’infection dans les Ehpad et les établissements médico-sociaux », ainsi que « dans les prisons et autres établissements fermés ». Pour François Blanchecotte, « si on avait fait cela depuis le début, on n’en serait pas là ».