Les Ehpads et le grand âge

Le Monde.fr : Orpea, ses loyers à la hausse, ses effectifs de soignants à la baisse

Février 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Orpea, ses loyers à la hausse, ses effectifs de soignants à la baisse

Le groupe français de maisons de retraite et de cliniques privées, dont les méthodes de gestion ont fait l’objet d’un récent scandale, a connu, ces dernières années, une expansion internationale fulgurante.

Par Béatrice Jérôme

Publié le 24/02/2022

Toutes les heures, Orpea exploite un lit de plus dans le monde depuis 2015. Le premier groupe européen de maisons de retraite et de cliniques privées a connu, ces dernières années, une expansion internationale fulgurante. Quitte à réduire le nombre de soignants au chevet de ses résidents âgés ou de ses patients, révèle une étude du Center for International Corporate Tax Accountability and Research (Cictar), rendue publique jeudi 24 février par les fédérations santé-sociaux de la CGT et de la CFDT.

Cictar expertise les circuits financiers et fiscaux des grandes entreprises. Basé en Australie, l’organisme est notamment financé par des cotisations de syndicats de plusieurs pays dont La CGT et la CFDT. Les deux centrales françaises, qui dénoncent depuis longtemps l’ostracisme d’Orpea envers leurs adhérents et les carences de soins envers les résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ont commandité à Cictar une enquête sur sa structuration financière.

Qu’il soit propriétaire ou locataire des murs de ses établissements, Orpea fait peser sur leur budget des charges financières sous forme de loyers pour financer ses investissements immobiliers.

Cictar prend ainsi l’exemple de Residenz Gruppe, une entreprise allemande de trente-six Ehpad rachetée par Orpea en 2015 via un crédit-bail. Selon ce mécanisme, Orpea verse des loyers au vendeur pour finir par en devenir propriétaire. Residenz Gruppe verse ainsi « près de 20 millions d’euros par an » selon Cictar en loyers à son ancien propriétaire.

« Moins d’infirmiers et d’auxiliaires de soins »
Pour construire de nouveaux établissements sous la bannière de Residenz Gruppe, Orpea a également contracté des emprunts à hauteur de 40 millions d’euros. « Les loyers et les paiements d’intérêts s’élèvent pour Residenz Gruppe à près de la moitié du montant de sa masse salariale », indique Cictar. Dans le même temps, « le nombre de salariés de Residenz Gruppe a diminué de 10 % entre 2015 et 2019 alors qu’Orpea, ajoute l’étude, exploite deux maisons de retraite supplémentaires ». « Nous avons découvert en analysant les comptes de Residenz Gruppe une baisse sensible des effectifs que ce soit du personnel infirmier ou des auxiliaires de soins », explique Mike Lewis, analyste financier et auteur de l’étude.

« Le lien de cause à effet entre le développement du parc immobilier et la baisse de la qualité de la prise en charge des résidents d’Orpea n’est pas établi », relève Françoise Geng, vice-présidente CGT de la Fédération syndicale européenne des services publics. Mais « l’on a la preuve que ce groupe consacre plus d’énergie et de moyens à valoriser ses biens qu’à prendre soin des personnes ».

Interrogé par Le Monde Orpea répond que « de manière tout à fait logique, lorsque le groupe loue un bâtiment, le loyer est pris dans les charges ». Et ne donne aucune explication sur l’évolution des effectifs de Residenz Gruppe.

Mike Lewis, auteur de l’étude n’a pas pu étudier le même exemple en France non parce qu’il n’existe pas mais parce que les Ehpad hexagonaux sont pour beaucoup répartis dans des sociétés civiles immobilières (SCI) qui ne sont pas tenues de rendre publics leurs comptes contrairement aux institutions allemandes. Outre les crédits-bails, les Ehpad d’Orpea payent pour beaucoup d’entre eux, aussi, des loyers à des particuliers qui ont acquis des chambres au titre d’un placement immobilier défiscalisé.

Plus-values
Depuis 2015, Le groupe accélère la vente d’une partie de ses actifs immobiliers pour rembourser une dette qui dépasse les 7 milliards d’euros. Son endettement total a doublé depuis 2015. Mais les établissements cédés versent aussi un loyer au nouveau propriétaire afin de continuer à y exercer leur activité de maison de retraite. Ces charges grèvent leurs dépenses et les incitent à réaliser des économies par ailleurs. D’autant qu’ils reçoivent des primes, indexées essentiellement sur leurs bons résultats financiers.

Le rapport de Cictar montre qu’Orpea a vendu ces établissements à des filiales qui les achètent et les vendent par le biais d’actions du groupe. Ces filiales sont pour quarante d’entre elles basées au Luxembourg. Rien d’illégal, rappelle Cictar mais « céder des établissements par le biais de vente d’actions d’une société luxembourgeoise peut présenter des avantages fiscaux tant pour l’acheteur que pour le vendeur », indique Mike Lewis. « Le contribuable, lui, est de ce fait perdant dans ce cas », abondent la CGT et la CFDT.

Ces dernières années, Orpea a cédé beaucoup d’actions de ces filiales au Luxembourg ou ailleurs à des investisseurs immobiliers. Parmi eux Icade, la société immobilière d’investissement de la Caisse des dépôts et consignations a ainsi acheté onze maisons de retraite en Allemagne et une à Marseille. « Au moins trois de ces ventes ont été réalisées en cédant à Icade des actions de trois filiales d’Orpea au Luxembourg », affirme Cictar. Aux douze Ehpad d’Icade, Orpea verse désormais des loyers.

Orpea n’est pas le seul opérateur privé lucratif dans le secteur du soin à dégager des plus-values en achetant et en vendant des biens avec si possible de l’optimisation fiscale. Mais chez Orpea « l’information financière est nettement moins transparente que celle d’entreprises cotées comparables », observe Cictar.

Filiales au Luxembourg
En 2014, dans ses comptes publics, le groupe faisait état de 314 filiales. Par la suite, Il n’en a plus mentionné que 123. Sur quarante filiales au Luxembourg, selon Cictar, trente-sept ne sont pas répertoriées dans ses documents officiels. « Les actionnaires ne peuvent pas savoir qui détient les actifs, quel est leur volume exact ni qui sont les bénéficiaires des biens immobiliers vendus », remarque M.Lewis. Un constat qui devrait interpeller, selon l’étude, l’Autorité des marchés financiers.

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Avant de rendre public son rapport, jeudi, Cictar a soumis une liste de questions à Orpea qui n’y a pas répondu. Le groupe a annoncé, mercredi, que la publication complète des comptes 2021 initialement prévue à la mi-mars, était reportée à une date ultérieure.

Béatrice Jérôme