Les deserts médicaux

Le Monde.fr : Contre les déserts médicaux, des pistes et des impasses

Avril 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Contre les déserts médicaux, des pistes et des impasses

Erigée en priorité par le gouvernement, la politique visant à améliorer l’accès aux soins, adossée à plusieurs leviers, tarde à se concrétiser. Le règlement arbitral, attendu ce lundi, doit permettre de relancer le dialogue avec les médecins libéraux.

Par Camille Stromboni et Mattea Battaglia

Publié le 24/04/2023

Aucune mesure, à elle seule, ne saurait répondre à la désertification médicale, qui s’aggrave. Le constat fait consensus chez les acteurs de la santé et résonne jusqu’au ministère de la santé. Il n’empêche, un an après avoir fait de l’accès aux soins une promesse phare de campagne, Emmanuel Macron peut difficilement, à ce stade, se prévaloir d’avancées concrètes. La convention médicale a échoué, les grèves de médecins se sont multipliées, des textes de loi ont braqué la profession, des élus continuent d’agiter le chiffon rouge d’une contrainte à l’installation…

Dans un entretien aux lecteurs du Parisien, dimanche 23 avril, le chef de l’Etat s’est inquiété de ne « plus [avoir] assez de soignants dans le pays », avant d’invoquer une « réponse multifactorielle » sur la santé, passant, entre autres, par la formation de plus de professionnels.

Un nouveau chapitre doit s’ouvrir, lundi, avec la présentation aux syndicats de la médecine de ville du règlement arbitral – sorte de convention minimale entre médecins libéraux et Assurance-maladie – en attendant de nouvelles négociations. Tour d’horizon des pistes dessinées par le gouvernement pour lutter contre les déserts médicaux et des points de blocage rencontrés.

Un médecin pour chaque malade chronique
Pas un patient en affection de longue durée (ALD) sans médecin traitant. Le président de la République en a fait la promesse lors de ses vœux au monde de la santé, le 6 janvier. Embourbé dans la crise des retraites, il l’a de nouveau mise en avant, lors de son allocution télévisée du 17 avril : « D’ici à la fin de cette année, 600 000 patients atteints de maladie chronique, qui n’ont pas de médecin traitant, en disposeront. » L’Assurance-maladie en comptabilise même 714 000, un chiffre qui pourrait passer à 800 000, fin 2023, si rien n’est fait, alerte-t-elle.

Depuis début avril, l’institution a enclenché un mouvement : chaque caisse primaire d’assurance-maladie doit contacter les patients et organiser, avec les médecins du territoire, une réponse au cas par cas. Ce « démarchage » commence à faire ses preuves dans les départements expérimentateurs. La Seine-Saint-Denis, qui recense 24 000 patients en ALD sans médecin traitant – un record –, en fait partie. Depuis janvier, quelque 5 800 patients ont ainsi pu trouver un médecin référent. La moitié d’entre eux voyait déjà un médecin de temps à autre, sans avoir un médecin traitant déclaré, l’autre moitié n’en trouvait pas.

« Cela ne peut être la seule solution, mais c’est une “action coup de poing” pour enrayer une dynamique inquiétante », fait valoir Marguerite Cazeneuve, la numéro 2 de l’Assurance-maladie, qui rappelle « la période de transition difficile » qu’il faut réussir à passer en attendant les effets de la réforme, enclenchée en 2020, d’ouverture du numerus clausus pour former plus de médecins. Quelque 6 millions de personnes, au total, n’ont pas de médecin traitant.

Un climat conflictuel avec les médecins
Problème : en face, bon nombre de praticiens libéraux sont échaudés. « On nous demande des solutions dans l’urgence, tout ça pour tenir l’objectif présidentiel, épingle Romain Bossis, généraliste à La Roche-sur-Yon. Mais on ne va pas pouvoir prendre en charge des patients en plus sans moyens en plus, c’est complètement déconnecté du terrain. » Dans les rangs syndicaux, on brocarde ainsi une « opération de communication » et une « rustine » qui ne résout pas le « problème de fond » : de plus en plus de patients âgés et malades, et de moins en moins de médecins.

L’échec de la convention médicale est encore dans tous les esprits. Ce contrat censé régir pour cinq ans le fonctionnement entre médecins libéraux et Assurance-maladie avait pour priorité l’accès aux soins. Après quatre mois de négociations, tous les syndicats ont refusé de parapher le document fin février.

Les tarifs de consultation proposés – 26,50 euros chez un généraliste, contre 25 euros actuellement – ont été accueillis comme une « provocation ». Mais c’est le contrat d’engagement territorial qui a suscité un tollé : il entendait conditionner d’autres revalorisations plus élevées à l’acceptation de nouvelles missions (plus de patients, plus de journées travaillées, etc.).

La tentative du gouvernement d’introduire ce même contrat d’engagement via un amendement à un projet de loi déjà polémique – celui porté par la députée Renaissance Stéphanie Rist et visant à ouvrir un « accès direct » à plusieurs professions paramédicales – a transformé le tollé en conflit ouvert. Le 14 février, jour de l’examen de ce texte au Sénat, toutes les organisations représentatives ont appelé à manifester à Paris.

Libérer du « temps médical »
Passer, à l’horizon 2024, de 4 000 à 10 000 assistants médicaux – ces personnels administratifs permettant de suivre plus de patients – fait partie des leviers-clés avancés pour lutter contre les déserts médicaux. L’Assurance-maladie vient d’accroître son soutien au dispositif et de le simplifier. L’outil fait largement consensus, quand bien même les médecins rappellent les freins rencontrés à l’embauche (locaux, formation, etc.).

Une autre piste a été, en revanche, violemment rejetée : la délégation de tâches au bénéfice d’autres professions de santé. Le sujet, technique, a pris un relief politique quand le chef de l’Etat, à l’automne 2022, en a fait un élément central de sa stratégie : « On va donner plus de responsabilités à nos infirmières et infirmiers, à nos kinés, à nos pharmaciens et pharmaciennes, à tous nos paramédicaux (…) pour que beaucoup de tâches qui sont faites par nos médecins puissent aller vers ces derniers. »

Les médecins ont surtout retenu l’absence de garantie de rester le « chef d’orchestre » du parcours de soins, leur faisant craindre une « médecine low cost », à deux vitesses. Leur opposition a porté ses fruits : la proposition de loi de Stéphanie Rist sur « l’accès direct », adoptée à l’Assemblée nationale, a été en grande partie vidée de sa substance lors de son examen au Sénat, mi-février. L’accès direct aux kinés ou encore aux infirmiers en pratique avancée sera limité à ceux « qui exercent en association avec des médecins ». Autrement dit, à la portion congrue.

« On doit accélérer la délégation d’actes. (…) On est en train de le faire », a défendu le chef de l’Etat, dans Le Parisien. « Je me tape les corporatismes », a-t-il lâché face aux lecteurs du quotidien.

Miser sur les internes de médecine générale
« On ne jouera pas les bouche-trous dans les déserts médicaux. » La colère des internes n’est pas retombée depuis que le gouvernement a fait inscrire, dans le projet de loi de financement de la « Sécu » pour 2023, l’ajout d’une quatrième année d’internat en médecine générale « en priorité dans les zones où la démographie médicale est sous-dense ».

Quatre experts ont été missionnés, un rapport commandé… et depuis, silence. Le ministère de la santé n’a toujours rien annoncé, même s’il assure que le chantier « avance ». « On demande le retrait, et a minima le report de cette réforme », s’énerve Raphaël Presneau, porte-parole du syndicat d’internes de médecine générale, en insistant sur un calendrier qui n’est pas tenu, alors que les étudiants doivent faire leur choix de spécialité dès juin. « A l’aveugle », dénoncent-ils. Les internes appellent à la mobilisation le 28 avril.

Chez les médecins, on redoute déjà les conséquences sur l’attractivité de la médecine générale, alors que cela ne fait que quelques années que tous les postes au concours sont pourvus. « A force de signaux négatifs, on va les dégoûter », craint Luc Duquesnel, des Généralistes-CSMF.

Le « chiffon rouge » de la contrainte à l’installation
Face à leurs administrés, les élus de tous bords réclament, depuis des années, que l’Etat intervienne sur les lieux d’installation des médecins. Et semblent de plus en plus nombreux. Avenue de Ségur, François Braun écarte néanmoins cette option de la « coercition », se plaçant résolument du côté des médecins qui arguent de l’inefficacité de la mesure en temps de pénurie médicale. Le ministre de la santé souhaite faire émerger des solutions sur chaque territoire, une « boîte à outils », grâce aux conseils nationaux de la refondation « santé », dont on attend très prochainement le bilan.

M. Macron, lui, a été plus ambigu sur la question, en 2022, évoquant une « régulation ». « C’est un tabou politique, les gouvernements ont toujours reculé sur ce point, raconte Claude Pigement, ancien responsable santé au Parti socialiste. On imagine mal que ce front dur puisse être ouvert en pleine crise des retraites et face à une unanimité syndicale inédite parmi les médecins. » Dans Le Parisien, le chef de l’Etat a évoqué plutôt la nécessité de « créer des incitations pour régler les déserts médicaux ».

En faveur d’une régulation, la proposition de loi « transpartisane », portée par le député socialiste Guillaume Garot, n’a pas réussi à être inscrite à l’agenda parlementaire. « Il est temps de réguler l’installation des médecins comme cela a été fait pour d’autres professions de santé », défend inlassablement le Mayennais. Un autre texte, défendu par le député de la majorité Frédéric Valletoux (Horizons, Seine-et-Marne), semble, à ce stade, avoir plus de chances d’être débattu. Il prévoit, selon nos informations, la mise en place d’une obligation de participer à la permanence des soins et devrait revenir sur l’idée de « régulation ». Les professionnels de santé seraient appelés à apporter des réponses locales pour assurer une « juste répartition » des médecins sur leur territoire, sous peine de voir s’appliquer une solution contraignante. « Nous faisons tout pour trouver l’équilibre qui permettra d’obtenir le plus de soutiens », assure le parlementaire. Le texte pourrait être examiné dans l’Hémicycle dès la semaine du 12 juin.

Camille Stromboni et Mattea Battaglia