Organisation du systéme de santé

Lequotidiendumedecin.fr : CPTS : rien ne vaut les retours de terrain

Juillet 2023, par infosecusanté

Lequotidiendumedecin.fr : CPTS : rien ne vaut les retours de terrain

PUBLIÉ LE 30/06/2023

Les CPTS, qui créent un nouveau maillage territorial de l’offre de soins, sont largement encouragés par les pouvoirs publics

Les communautés professionnelles territoriales de santé regroupent différents professionnels, au niveau d’un territoire. Ces derniers mois, elles sont d’ailleurs régulièrement citées comme échelle de coordination des soignants par les élus. Des prises de position auxquelles s’opposent les syndicats. Alors, face aux fantasmes des uns et aux oppositions des autres, plusieurs professionnels de santé parlent de la réalité du terrain.

Le docteur Jean-Luc Dinet est un médecin généraliste (MG) « heureux » d’exercer dans le nord de l’Yonne, à Saint-Clément, à côté de la ville de Sens. Et pourtant, ce département, selon ses dires, est « plus qu’un désert médical » tant les médecins se font rares. « Sens est une ville de 30 000 habitants. 8 000 d’entre eux vont à Paris tous les jours. Autour, la population est très rurale, avec de jolis villages entourés de champs », détaille-t-il. Fondée en 2019, la CPTS « Nord Yonne » compte 151 adhérents et il la préside. « Ce système permet de mieux nous organiser pour travailler ensemble. Heureusement que c’est le cas, sinon la situation serait très compliquée. Pour une population de 100 000 habitants, couvert par notre communauté professionnelle territoriale de santé, on ne compte que 24 MG en équivalent temps plein. C’est très peu. Mais la mise en réseau des informations, et les réunions fréquentes avec les autres professionnels de santé optimisent notre travail », confie-t-il. C’est en particulier vrai pour les relations ville-hôpital. « L’existence d’une CPTS permet d’avoir une relation plus construite avec les soignants avec les différents hôpitaux de proximité, à Sens, Joigny et Villeneuve-sur-Yonne. Cela nous permet aussi de mieux comprendre ce que font les Ehpad, et les autres acteurs du secteur médico-social. Nous sommes aussi beaucoup en contact avec les travailleurs sociaux du Centre communal d’action sociale, qui sont au cœur du territoire », précise le praticien.

Un financement en fonction de l’atteinte des objectifs

L’organisation en CPTS permet aussi d’avoir des financements non négligeables, versés par l’Assurance-maladie, en fonction d’objectifs à atteindre, en termes de santé publique. « Si on valide tous nos indicateurs, nous touchons environ 300 000 euros par an, pour faire fonctionner notre structure », ajoute le Dr Dinet. Parmi ces objectifs à atteindre, figure un meilleur accès aux médecins traitant, une bonne organisation des soins non programmés, mais aussi des idées innovantes, qui sont encouragées par les pouvoirs publics. « Nous donnons une place importante au rôle des usagers de santé, dans notre CPTS. C’est avec eux que nous avons participé à l’opération « septembre en or », avec l’hôpital de Sens, pour récolter des dons pour aider la recherche contre les cancers pédiatriques. Nous avons recueilli plus de 7 000 euros, en faveur de l’Institut Gustave Roussy », ajoute-t-il. Dans un autre domaine, une jeune psychomotricienne qui travaille au sein de la CPTS « s’est rapprochée des crèches pour faire du dépistage des troubles autistiques entre zéro et trois ans, une période précoce où il n’existe pas assez de détections », précise le président de la CPTS Nord-Yonne. Une politique de santé publique largement encouragée par l’Assurance-maladie.

Une dynamique d’adhésion ascendante

Après les CPTS des champs… Celle des grandes villes. Le contexte est très différent à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Dans cette grosse ville de 78 000 habitants, populaire, dont une partie importante de la population est issue de l’immigration, l’offre médicale est insuffisante pour faire face. « Avec 50 MG pour 100 000 habitants, on est en dessous du seuil du « désert médical », fixé à 60/100 000 habitants. Comme quoi… les déserts médicaux existent aussi dans les grandes villes », souligne le Dr Frédéric Villebrun, codirecteur de la CPTS. « Nous avons été la première structure de ce type à être créée dans le Val-de-Marne, en 2020. Elle regroupe 120 adhérents sur les 500 professionnels de santé de la ville », nous explique-t-il. Avant d’ajouter : « La crise du Covid a été un accélérateur. Avec les MG, les infirmiers et les pharmaciens, nous avons pu monter un centre de consultation en quelques jours ». L’offre de soin à Champigny comprend aussi un hôpital privé, deux centres municipaux de santé, une maison de santé pluriprofessionnelle, et trois centres de santé privés, et les libéraux. En vertu de l’accord conventionnel signé avec la CPAM, et l’atteinte de 90 % des indicateurs en santé publique, la CPTS de Champigny a obtenu un financement annuel de 250 000 euros.

« Pour le moment, 20 à 25 % des médicaux et des paramédicaux adhèrent à la CPTS. On est dans une dynamique ascendante », observe le Dr Villebrun. Mais pour lui il ne faut pas forcer la main aux récalcitrants. « Nous ne sommes pas favorables à l’idée de rendre cette adhésion obligatoire, comme le préconise la proposition de loi Valletoux, car à mon avis cela va davantage braquer les médecins opposants qu’améliorer la situation. On essaie de faire les choses ensemble. Il faut que l’on s’entende. Cela va dans la bonne direction », résume-t-il.

Identifie les facteurs-clés de succès

Les CPTS, qui créent un nouveau maillage territorial de l’offre de soins, sont largement encouragées par les pouvoirs publics. Le 6 mars dernier, Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, a confié une mission « Tour de France » pour les évaluer afin d’« identifier les facteurs-clés de leurs succès, là où elles fonctionnent bien, et nous faire des propositions pour accélérer leur généralisation ». Le rapport devait être rendu mercredi 28 juin. Il a été mené par Marie-Hélène Certain, qui exerce comme MG aux Mureaux (Yvelines), avec le directeur de la CPAM de l’Essonne, Albert Lautman, et Hugo Gilardi, DG de l’ARS des Hauts-de-France. « Au total, près de 20 d’entre elles ont été investiguées. Une par région y compris en outre-mer, et deux en Île-de-France. La mission a également auditionné de nombreux acteurs clés, experts, et personnes qualifiées », explique-t-on au cabinet d’Agnès Firmin Le Bodo. Actuellement, on compte 440 CPTS en France, 780 sont en projet, selon les données de la Fédération des CPTS (voir interview de son président David Guillet). Les pouvoirs publics espèrent qu’elles seront 1 000 d’ici à la fin de l’année.

Des structures qui ne font pas l’unanimité

Ces CPTS, qui ont pour ambition d’être plus pointues en matière de santé publique que ne le sont certains libéraux, irritent certains d’entre eux, qui leur reprochent d’être des usines à gaz, qui captent des subventions. Le collectif « Médecins pour demain » ne cache pas son hostilité : « la CPTS est un cheval de Troie pour infiltrer la médecine libérale, en imposant des protocoles, des parcours de soins, des transferts de tâches. Vers la Fin de la médecine libérale ? », écrit-il sur son compte twitter. D’autres estiment que c’est le bras armé de l’État pour mieux les contrôler.

Le fondateur d’une des premières CPTS, à Vénissieux (Rhône), le docteur Pascal Dureau, a un avis inverse : « Certains médecins pensent que c’est une atteinte à leur liberté. La liberté ne doit pas être brandie comme on agite un chiffon rouge, en jouant sur la peur. Nous leur disons plutôt : ne restez pas tout seul. Mais libre à eux d’adhérer ou pas ». À Vénissieux (Rhône), à côté de Lyon, la CPTS s’étend sur cette commune et celle, voisine, de Saint Fons, soit en tout une population de 90 000 habitants. « Nous rassemblons 230 professionnels de santé, sur les 300 de notre secteur », explique le Dr Dureau. À ses yeux, la CPTS permet notamment de travailler « de façon plus coordonnée, entre les médecins et les infirmiers en pratique avancée (IPA). Ils font du suivi de dossier médical, mais aussi des visites de patients à domicile, notamment pour faire des évaluations en gérontologie. Les IPA c’est très bien, lorsque c’est un exercice coordonné avec le médecin ». Tout l’enjeu des CPTS est d’améliorer la prise en charge de la santé publique, en partant des besoins des populations, et en s’organisant en conséquence. Cette tradition, peu ancrée en France, mais davantage développée dans d’autres pays, semble susciter maintenant une certaine adhésion.

Marc Payet