Le social et médico social

Médiapart - Macron confie les HLM aux maires et ouvre la porte à l’arbitraire

Juillet 2023, par Info santé sécu social

HABITAT ANALYSE

Après la révolte des quartiers, le chef de l’État a souhaité déléguer aux élus locaux l’attribution des logements sociaux. Un demi-tour sur le chemin de la mixité sociale : depuis des années, de nombreux maires se servent du levier locatif comme d’un instrument de clientélisme et de maintien de l’entre-soi.

Ilyes Ramdani et Faïza Zerouala
13 juillet 2023

DansDans les tuyaux depuis plusieurs mois, la mesure a été dégainée par Emmanuel Macron à la faveur des révoltes des quartiers populaires. Le président de la République a annoncé aux 220 maires qu’il recevait, le 4 juillet dernier à l’Élysée, sa volonté de « remettre dans leurs mains l’attribution des logements sociaux ». Le chantier est censé avancer « d’ici à la fin de l’été », indique l’entourage présidentiel, dans le cadre des solutions destinées à « éviter » une nouvelle flambée des banlieues.

Loin de Roubaix ou de Bobigny, c’est à Bercy que la nouvelle a fait le plus d’heureux. Le ministère de l’économie et des finances plaide de longue date pour un désengagement de l’État des politiques de logement. « On dépense beaucoup plus que nos voisins européens sans que les résultats soient meilleurs », déplorait le ministre des comptes publics, Gabriel Attal, en mai dernier sur CNews. Une option partagée par Emmanuel Macron, qui souhaite redonner aux collectivités toutes les prérogatives en la matière : construction, attribution, zonage fiscal…

La plupart des associations d’élu·es accueillent aussi la nouvelle avec satisfaction. « C’était une de nos vieilles revendications, salue Gil Avérous, maire (Les Républicains) de Châteauroux (Indre) et président de Villes de France. Il est logique de décentraliser la politique de logement et de la confier à ceux qui connaissent le mieux leur territoire et ses besoins, à savoir les maires. » Pour le pouvoir, qui vient également d’assouplir les contraintes liées à la circulation automobile, c’est aussi une manière de caresser dans le sens du poil des élus locaux appelés à renouveler, dans deux mois, la moitié des sièges du Sénat.

L’attribution des logements sociaux par les maires est pourtant, sur le fond, loin de faire l’unanimité. « Cette décision irait à rebours de l’histoire, avertit Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Depuis vingt ans, le mouvement va plutôt vers une attribution au niveau intercommunal et ça a du sens. » Comme d’autres, il considère que la décision présidentielle ouvre la porte à un certain nombre d’excès, au premier rang desquels les discriminations en tous genres.

« Les maires ont déjà une place centrale dans l’attribution des logements sociaux, note le politiste Fabien Desage, maître de conférences à l’université Lille-II et spécialiste de la question. Souvent, leur pouvoir en la matière leur permet de faire de la préférence communale, de façon informelle et pas toujours assumée. »

En prétextant privilégier des familles liées à la commune (parce qu’elles y habitent ou qu’elles y travaillent), nombre d’élus locaux attribuent les logements sociaux selon une logique de peuplement, donc de sélection sociologique. « La préférence communale revêt un côté antisocial très clair », abonde Manuel Domergue.

Fervente défenseure de la mesure, l’extrême droite a bien saisi l’enjeu d’une telle prérogative. Encore en mai dernier, lors d’un débat à l’Assemblée nationale, le député Rassemblement national (RN) Philippe Lottiaux regrettait que les maires se voient « imposer la venue d’habitants extérieurs ». En 2022, dépositaire d’une proposition de loi sur le sujet, son collègue Sébastien Chenu y voyait la possibilité de « s’opposer à l’attribution d’un logement à une famille dont l’un des membres est défavorablement connu des services de police ».

La préférence communale, pratique illégale mais encore à la mode
À l’université de Lille-II, les travaux de Fabien Desage documentent depuis des années les sous-titres de tels critères. « L’argument territorial fait office de raccourci pour évincer qui l’on veut évincer, décrypte-t-il. En disant qu’on veut appliquer la préférence communale, on englobe souvent sans le dire les critères de race et d’origine. Il n’y a même pas besoin de préciser qu’on ne veut pas de personnes racisées ou de familles de tel quartier. Mettre en avant le territoire suffit à maintenir l’entre-soi. »

Actuellement, l’attribution des HLM est partagée, selon le niveau de financement de chaque acteur, entre les mairies, les intercommunalités, les bailleurs sociaux, Action Logement (représentante des entreprises) et les services de l’État. Ceux-ci sont notamment chargés de l’hébergement d’urgence et des familles éligibles au droit au logement opposable (DALO), donc des publics les plus fragiles. « Les maires nous mènent déjà la vie dure pour ne pas accueillir de publics DALO, qu’ils accusent de tous les maux, pointe un préfet. C’est très étrange de leur en confier la responsabilité. »

Un autre haut fonctionnaire, professionnel des questions de logement, abonde dans ce sens. « La mixité sociale a été dévoyée, regrette-t-il. Elle s’est retournée contre les personnes pour lesquelles elle avait été pensée. Maintenant, on ne dit pas “je ne veux pas de pauvres et de Noirs dans mon parc”, on dira “je veux préserver la mixité sociale”. Et les maires qui jouent le jeu récupèrent tous les ménages DALO, ce qui crée des effets de concentration de la pauvreté. »

En remettant le maire au cœur du dispositif, on va [...] empêcher d’autres acteurs d’agir sur les mécanismes de ségrégation socio-spatiale.
Fabien Desage, maître de conférences à l’université Lille-II

Dans les services de l’État, des communes ou des bailleurs sociaux, la voie de la décentralisation esquissée à l’Élysée en fait transpirer plus d’un. « Ce sont les maires des communes privilégiées qui, aujourd’hui, bloquent le système en s’opposant à ce que leur population change, rappelle Fabien Desage. En remettant le maire au cœur du dispositif, on va renforcer la préférence communale et empêcher d’autres acteurs d’agir sur les mécanismes de ségrégation socio-spatiale. »

Gil Avérous, le maire de Châteauroux, savoure quant à lui la fin de « la toute-liberté laissée aux bailleurs ». « Régulièrement, on est sollicités sur des situations très difficiles, raconte l’élu LR. Des gens nous interpellent, en situation de handicap ou avec d’autres fragilités. Parfois, le bailleur nous dit qu’ils ne cochent pas toutes les cases, qu’ils ne sont pas tout à fait dans les clous. Là, au moins, on pourra fixer une priorité. » Dans une vie municipale où le soupçon de clientélisme n’est jamais loin, d’autres redoutent que cela renforce le levier électoraliste de l’attribution des logements sociaux.

Un maire pointe, sous couvert d’anonymat, « le non-sens » que revêt selon lui l’ambition du chef de l’État. « Quel est lien entre ce qu’il s’est passé dans les banlieues et le système actuel d’attribution des logements sociaux ? Il n’y en a aucun, peste cet élu de gauche, en première ligne sur cette thématique. En quoi changer cela va résoudre le problème ? En fait, c’est un moment de crise sociale que le président de la République utilise pour que l’État se débarrasse totalement des politiques du logement. »

À Gennevilliers (Hauts-de-Seine), le communiste Patrice Leclerc voit cela d’un œil presque blasé. « Emmanuel Macron nous renvoie la responsabilité de la pénurie mais il ne règle pas le problème, souligne l’édile. Dans la métropole du Grand Paris, l’attente moyenne pour un logement social est de 11 ans. Vous vous rendez compte ? Donc la question, ce n’est pas qui attribue mais qu’est-ce qu’on attribue. Il faut vite construire du logement pas cher et, pour ça, augmenter l’aide à la pierre. Tout le reste, c’est du pipeau. »

Ilyes Ramdani et Faïza Zerouala