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Le Monde.fr : Aurélien Rousseau, ministre de la santé : « On ne peut se satisfaire d’avoir des endroits où les urgences restent portes closes la nuit »

Juillet 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Aurélien Rousseau, ministre de la santé : « On ne peut se satisfaire d’avoir des endroits où les urgences restent portes closes la nuit »

Dans un entretien au « Monde », le nouveau ministre de la santé et de la prévention défend ses priorités, sur le travail de nuit à l’hôpital, la prévention et la coopération entre professionnels de santé.

Propos recueillis par Camille Stromboni et Mattea Battaglia

Publié le 31/07/2023

Aurélien Rousseau, nommé il y a une semaine à la suite du remaniement, était auparavant directeur de cabinet de la première ministre, Elisabeth Borne, et directeur de l’agence régionale de santé de la région d’Ile-de-France pendant la crise due au Covid-19. Il reconnaît que « la situation est extrêmement tendue » à l’hôpital cet été.

L’hôpital vit de nouveau un été sous haute tension avec des services d’urgence qui ferment faute de médecins. Quel est votre diagnostic ?
La situation est extrêmement tendue en effet. Nous sommes sur le pont, au ministère comme dans chaque agence régionale de santé. On ne s’en sortira qu’en étant extrêmement transparent sur ce que l’on traverse.

La crise estivale a été mieux anticipée, il y a désormais la régulation par le 15 pour accéder aux urgences. Il y a aussi le déploiement des services d’accès aux soins [SAS], mêlant SAMU et médecine de ville pour orienter les patients, qui avancent rapidement et couvrent d’ores et déjà plus de la moitié de la population. Cela permet de ne pas avoir un service qui « tombe » d’un coup.

Mais il est certain que c’est parfois un fonctionnement dégradé. On ne peut se satisfaire, dans notre pays, d’avoir des endroits où les urgences restent portes close la nuit, il n’est pas possible d’en faire durablement une solution.

Avez-vous identifié les points de tension ?
C’est souvent dans les hôpitaux où il y avait le plus d’intérimaires [dont la rémunération est plafonnée depuis avril] que les tensions sont les plus fortes. La carte extrêmement fine sur laquelle a travaillé mon prédécesseur, François Braun, qui a mené cette réforme indispensable et courageuse de l’intérim médical, nous sert aujourd’hui à piloter et identifier les risques de l’été.

Que comptez-vous faire pour sortir de cette crise qui s’éternise ?
Je suis convaincu que le travail de nuit est un sujet majeur, alors que les hôpitaux peinent à trouver des médecins, des infirmiers, des aides-soignants… Il y a un an, le président de la République a validé des revalorisations du travail de nuit, prolongées depuis. Je présenterai dans les prochaines semaines un plan de mesures pérennes sur ce sujet et celui de la permanence des soins.

Bien que fondamentales, les revalorisations massives du Ségur de la santé de l’été 2020 n’ont pas, à elles seules, suffi à rétablir l’attractivité. Mais le curseur financier ne peut être le seul pour changer radicalement la donne : il y a un sujet managérial, sur l’encadrement des équipes, l’organisation des plannings, l’autonomie laissée à l’échelle des services…

Nous sortons d’une année particulièrement difficile, avec un effet de décompensation post-Covid. Les soignants se confrontent à nouveau à des obstacles qu’ils pensaient derrière eux. Ils sont fatigués des discours héroïques sur leur métier, ils veulent des actes, des perspectives, de la reconnaissance et, surtout, pouvoir faire leur travail : soigner.

Comme votre prédécesseur, vous êtes ministre de la santé et de la prévention. Cette double casquette, qu’est-ce que cela change ?
J’ai moi-même défendu ce nouvel intitulé lors du premier gouvernement d’Elisabeth Borne [en tant que directeur de cabinet de la première ministre]. Ce ne sont pas que des mots : c’est l’avenir du système de santé qui est en jeu. La France est très en retard sur ce plan. On voit encore la prévention comme la « cerise sur le gâteau », ce que l’on peut faire « une fois qu’on aura fait tout le reste », alors qu’elle a un rôle central, elle est au cœur de la lutte contre les inégalités sociales et territoriales.

Concrètement, nous lancerons cet automne les rendez-vous de prévention aux âges-clés de la vie, portés par mon prédécesseur. Sur le plan vaccinal, nous disposons de nouveaux outils inouïs, avec la vaccination contre le papillomavirus au collège [elle est proposée aux élèves], ou encore des anticorps monoclonaux contre la bronchiolite, sur lesquels miser. Cet hiver, 45 000 nourrissons ont été hospitalisés du fait de la bronchiolite. On peut éviter cela grâce à la prévention !

Vous héritez d’un dossier sensible : la régulation de l’installation des médecins, qui divise le monde politique. Quelle est votre position, à l’heure où les déserts médicaux progressent ?
Je fais partie de ceux qui pensent que la coercition n’est pas la solution, parce qu’elle ne fonctionne pas quand il n’y a pas assez de médecins. Elle provoque, au contraire, un phénomène de fuite. Notre vrai défi, en attendant que la levée du numerus clausus fasse ses effets, c’est de développer des solutions pour libérer du temps médical, c’est permettre à la médecine de ville d’avoir un exercice professionnel collectif, dans le dialogue avec l’hôpital et les autres professions. La coopération entre professionnels est un puissant levier de changement, de même que le partage de tâches, ou encore le recours à des assistants médicaux pour soulager le travail des médecins libéraux.

Sur ce sujet comme sur d’autres, je ne crois pas à la « cathédrale » législative : pour avancer, il faut convaincre et partir du terrain. Nous avons rarement vécu un tel alignement des planètes, une telle conscience de tous les acteurs qu’il faut faire bouger les lignes. Quand bien même c’est sous la pression.

Camille Stromboni et Mattea Battaglia