Aide Médicale d’Etat (AME)

Mediapart : Un nouveau rapport propose de compliquer un peu plus l’accès à l’AME

il y a 4 mois, par infosecusanté

Mediapart : Un nouveau rapport propose de compliquer un peu plus l’accès à l’AME

L’ancien socialiste Claude Évin et Patrick Stefanini, membre du parti Les Républicains, ont rendu lundi 4 décembre un rapport sur l’aide médicale d’État. S’ils en défendent le principe, ils avancent une série de propositions qui risquent d’accroître le non-recours à cette aide.

Caroline Coq-Chodorge

4 décembre 2023

L’aide médicale d’État (AME), qui assure un accès aux soins aux étrangers et étrangères en situation irrégulière, gratuit mais sous conditions, est « un dispositif sanitaire utile, maîtrisé pour l’essentiel » : c’est la mise au point préalable d’un nouveau rapport sur l’AME, rendu public lundi 4 décembre par le ministère de la santé. Il prend ainsi une nette distance avec la suppression de l’AME le 9 novembre dernier par les sénateurs et sénatrices. Le Palais du Luxembourg souhaite son remplacement par une aide médicale d’urgence, c’est-à-dire une prise en charge des seuls soins urgents et vitaux, des soins liés à la grossesse et ses suites, des vaccinations et des examens préventifs de médecins.

Les deux auteurs du rapport sont de sensibilités politiques différentes : Claude Évin fut député socialiste et ministre de la santé sous la présidence de François Mitterrand, et Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l’immigration sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Tous deux affichent des « visions différentes », mais sur des points de détail.

Ils sont d’accord sur le constat d’une augmentation mesurée des dépenses, portée par l’augmentation des bénéficiaires : + 39 % entre fin 2015 et mi-2023. Grâce à l’AME, l’accès aux soins des étrangers et étrangères en situation irrégulière est vertueux : la part des dépenses hospitalières, les plus onéreuses, diminue, et celle des soins de ville progresse.

Claude Évin et Patrick Stefanini témoignent aussi du fort attachement des soignant·es au dispositif : « Tous les médecins » qu’ils ont rencontrés leur « ont affirmé qu’ils soigneraient tout patient, quel que soit son statut, qui se présenterait à eux en invoquant une difficulté de santé ».

Même constat du côté de l’administration de la santé : à la Direction générale de la santé, à la Sécurité sociale, dans les agences régionales ou à la direction des hôpitaux, tous leurs interlocuteurs et interlocutrices « ont exprimé de fortes inquiétudes vis-à-vis des conséquences que ferait peser sur le système hospitalier le remplacement de l’AME par une aide médicale limitée aux soins urgents ».

Pour tous ces acteurs chargés notamment de maîtriser les dépenses de santé, l’inquiétude est également économique : « Tout ce qui risque de se traduire par un moindre accès à la prévention, au dépistage, au diagnostic précoce et à la médecine ambulatoire d’une manière générale pèserait défavorablement sur l’état de santé des personnes d’une part, sur la santé publique d’autre part (risques infectiologiques en particulier) », ainsi que sur la capacité du système hospitalier à « prendre en charge plus de patients à l’état de santé dégradé dans le cadre des soins urgents et vitaux ».

En ce qui concerne les fraudes à l’AME, elles paraissent marginales. L’accès à cette aide est contrôlé a priori par les caisses primaires d’assurance-maladie (CPAM) : 13 % des demandes sont rejetées. Et les contrôles a posteriori, sur 14 % des dossiers, ne relèvent des anomalies que dans 3 % des cas, un taux comparable à celui des autres assuré·es. Les contrôles ont été fortement renforcés par la précédente réforme de 2020 : les demandeurs et demandeuses doivent se présenter en personne, et la Caisse nationale d’assurance-maladie a accès à la base de données sur les visas.

Les auteurs du rapport reconnaissent cependant « l’importance des ruptures de droits » dans l’accès aux soins des étrangers et étrangères, qui passent, selon l’évolution de leur statut, d’un dispositif à un autre : AME ou protection universelle maladie (PUMa) pour celles et ceux qui demandent l’asile ; droit commun en cas de titre de séjour. Une étude de la Caisse nationale d’assurance-maladie, réalisée à leur demande, révèle que « la durée moyenne de rupture de droits est de près d’un an pour les demandeurs ». Pour fluidifier l’accès aux droits, les deux auteurs proposent donc d’ouvrir l’AME aux demandeurs et demandeuses d’asile.

S’ils confortent ainsi l’AME, Claude Évin et Patrick Stefanini cèdent aussi à ses contempteurs en proposant un nouveau durcissement de l’accès à cette aide.

Lutte contre la fraude et contrôle des étrangers
À leurs yeux, « des progrès en matière de maîtrise des risques et des fraudes peuvent encore être réalisés ». Ils proposent que les demandes de renouvellement soient déposées, comme les premières demandes, en mains propres, dans les Caisses primaires d’assurance-maladie.

Ils balaient ainsi les alertes des associations – le Comité pour la santé des exilé·es (Comede), La Cimade, Médecins du monde, le Secours catholique – qui ont dénoncé les difficultés d’accès aux CPAM pour les demandeurs et demandeuses de l’AME : dans certains départements, seules quelques agences traitent ces dossiers, et une seule en Seine-Saint-Denis. Début janvier 2023, les délais d’attente pour un rendez-vous étaient en moyenne de dix jours, et jusqu’à vingt-quatre jours dans le Val-d’Oise. Et plus de la moitié des demandeuses et demandeurs se voient refuser leur dossier, en raison de pièces manquantes ou parce que l’accès à l’agence leur a été refusé.

Évin et Stefanini intègrent aussi les principales critiques formulées contre l’AME, notamment celle selon laquelle elle ouvre des droits à des soins jugés « non urgents ou non essentiels » : la kinésithérapie, l’optique, les appareils auditifs, les prothèses dentaires, les soins chroniques.

« S’ils n’étaient pas pris en charge financièrement », préviennent-ils, cela « conduirai[t] à voir se dégrader des situations de santé ». Mais ils évoquent la possibilité d’une « mise sous entente préalable » ; soit une « vérification de nécessité et de proportionnalité par le service médical de l’assurance-maladie ». Cela représenterait un nouveau fardeau administratif pour les bénéficiaires de l’AME et leurs soignant·es.

Surcroît de travail administratif
Les auteurs veulent encore conditionner l’AME à la prise en compte des ressources « de l’ensemble du foyer lorsque les personnes sont conjoints, partenaires de Pacs ou concubins ».

Toutes ces évolutions représenteraient un surcroît de travail administratif, que les rapporteurs proposent d’alléger en étendant à deux années, au lieu d’une aujourd’hui, les droits à l’AME, avant un réexamen.

Claude Évin et Patrick Stefanini ont également tenté de dresser un comparatif avec les dispositifs similaires dans d’autres pays européens. S’il s’avère difficile, ils relèvent que la France a une particularité : c’est un des rares pays à conditionner l’AME à un plafond de ressources, 809,90 euros par mois pour une personne seule depuis avril 2023. Est également imposée une résidence continue en France depuis plus de trois mois. « Cette situation, de nature à entraîner du renoncement aux soins, n’est pas sans soulever des interrogations en matière de santé préventive, d’accès aux soins curatifs et de santé publique vis-à-vis de la population. »

L’un des deux rapporteurs, sans doute Patrick Stefanini, avance une autre proposition non consensuelle : que « le premier renouvellement du bénéfice de l’AME » soit conditionné « à la présentation par le demandeur d’une décision de refus de séjour datant de plus de trois mois et de moins de six mois ». L’autre rapporteur, probablement Claude Évin, s’oppose à cette proposition, qui ferait de l’AME un nouveau dispositif de contrôle de la régularité des séjours des étrangères et étrangers en France, dans un dangereux mélange des genres.

Caroline Coq-Chodorge